Jacques Parizeau (9 août 1930-1er juin 2015)

2015/06/05 | Par Pierre Jasmin


De gauche à droite, debout, Jacques Parizeau, Lisette Lapointe, Daniel Paillé et son épouse (?), le maire de Ste-Adèle, Pierre Péladeau; assis, Maryvonne Kendergian et Pierre Jasmin (août 96)

Dès 7h 21 le 2 juin 2015, aussitôt la triste nouvelle connue, j’écrivais sur Facebook:

« Amoureux de la langue française, Jacques Parizeau la maniait avec une adresse consommée, avec une clarté parfois incisive, jamais hypocrite [« Ah ça oui ! C’était un bonheur de l’écouter », a renchéri la comédienne Danièle Lorain sur Facebook]. Parizeau croyait en l'indépendance, non pas tant par nationalisme que suite à un cheminement où l'avaient conduit sa vaste expérience et sa propre logique d'homme d'état. D'ailleurs, on se souvient de lui, plus que d'un chef de parti ou d'un leader charismatique, comme un homme d'état, au service de sa vision très haute de ce que l'état devait être. »


 

 







Il s’est établi à la mort de M. Parizeau une unanimité d’autant plus surprenante qu’il était vivement contesté de son vivant. « L’homme de la modernité, celui qui fut l’amorce de la réflexion qui m’a conduit à la politique » (Pierre Karl Péladeau), « le père de la fonction publique québécoise » (Lucien Bouchard), « un homme avec un rare sens de l’État » (Thomas Mulcair), « le plus grand ministre des Finances du Québec » (Mario Beaulieu), « l’un des derniers personnage-clés de la Révolution Tranquille, mais assez féministe pour appuyer la Marche Du Pain et des Roses en 1995 » (Françoise David, approuvée par Jean-François Lisée selon qui Parizeau a été « le plus féministe des premiers ministres »), « on lui doit d’abord un sens à notre existence collective : il nous a connectés à la planète » (Gérald Larose, qui aurait pourtant eu motif de lui en vouloir pour les coupes de salaires de 20% en 1983) et enfin « la mort de Monsieur nous force à prendre de la hauteur, à prendre le relais et à inventer le Québec de demain » (François Legault).

Son inlassable travail de ministre économique tous azimuts de 76 à 84, sa démission en opposition au « beau risque » et sa prise en charge, comme premier ministre, d’une nouvelle tentative de faire du Québec un pays, aux côtés de Mario Dumont et Lucien Bouchard, donnent la mesure de l’énergie et du caractère indomptables de ce grand homme politique.

Sa déclaration sur « l’argent et le vote ethnique » et son commentaire que nous, Québécois (sous-entendus de souche), n’avions qu’à nous rassembler à 61-64% pour un prochain référendum, m’avaient poussé, en tant que président des Artistes pour la Paix en 1995, à rédiger une lettre exigeant sa démission, devenue caduque avant même son envoi. Avait suivi mon récital (voir photo ci-jointe) qu’il avait honoré de sa présence, avec son épouse aimante Lisette Lapointe, témoignant de son goût pour la musique, en l’occurrence un programme élitiste de préludes et fugues de J. S. Bach. L’Arménienne Maryvonne Kendergian, présidente du jury des Prix du Québec et membre du C.A. des APLP, assise au premier rang, était indignée de l’accusation honteuse de racisme que la malheureuse déclaration passionnée de son ami avait suscitée à tort. Nous recevait Pierre Péladeau, dont Québecor, comme toutes les grandes institutions québécoises, avait profité du travail de titan de Parizeau, tant dans l’équipe libérale Lesage et l’équipe Daniel Johnson des années soixante, à titre de grand fonctionnaire, que dans l’équipe René Lévesque des années soixante-dix et quatre-vingt, avec la création d’institutions tels la Régie des rentes, le Régime d’Épargnes-Action et la Caisse de Dépôts et Placements qui portera dorénavant son nom. Daniel Paillé, qui prit la tête du Bloc Québécois après la démission de Gilles Duceppe, a écrit une lettre de reconnaissance adressée à son mentor :

« Monsieur, vous m’avez montré la rigueur, la nécessaire compétence, la détermination, le respect des principes, voire l’entêtement, le travail, le travail et encore le travail. (…) Garder un rythme d’enfer, fixer des objectifs, les atteindre, ce sont aussi vos enseignements. (…) Au dernier conseil des ministres de janvier 1996, vous nous avez défiés; après les deux échecs référendaires, il nous fallait non pas nous contenter de répéter le même message ou de changer le ton, mais revoir de fond en comble les tenants et aboutissants : «Retournez chacune des pierres de l’argumentaire. Des thèmes ne seront plus utiles et de nouveaux seront à bâtir pour convaincre une société changeante.» »

À ce sujet, les indépendantistes devront éviter l’erreur de bonne foi de Richard Le Hir d’un Livre Blanc trop détaillé sur l’armée d’un Québec souverain, où l’idée généreuse de Casques Blancs de l’ONU, émise par Charles-Philippe David et appuyée par feu Yves Bélanger, avait hélas été tassée au profit d’une sorte de Sûreté du Québec renforcée… et ce, malgré les dérives racistes de ses interventions désastreuses dans la réserve micmac de Listiguc en 1981 et à Kanesatakeh en 1990 : les Artistes pour la Paix y avaient fait une intervention de modération, avec Alanis Obomsawin, Gilles Carle et Myra Cree, alors que Parizeau, chef de l’opposition, n’eut guère le beau rôle dans cette crise sur laquelle les nationalistes québécois à la Gilles Proulx jetaient de l’huile sur le feu.

Condisciple du Collège Stanislas, tels aussi Richard nommé, Philippe Couillard, Raymond Bachand, Joseph Facal, Jacques-Yvan Morin (et son fils Christian, webmestre des APLP), Parizeau suscitait notre admiration, malgré les défauts de sa génération : exploiteur d’une centrale nucléaire et de mines d’amiante anti-écologiques, bâtisseur de grands barrages d’Hydro-Québec sans égards pour les autochtones (seulement plus tard, Bernard Landry allait signer avec les Cris la Paix des Braves), son entreprenariat le conduisit par contre à réaliser de grands projets artistiques (Stéphane Baillargeon du Devoir, 3 juin 2015) : « en six mois, le ministre de la Culture Parizeau a le temps de lancer la SODEC [de l’amie Monique Simard]et de forcer un virage vers les régions du CALQ, deux institutions imaginées par Liza Frulla. Il élargit le crédit d’impôt à la production d’émissions de variétés comme aux magazines ; lance un programme d’aide de 35 millions de $ à la restauration du patrimoine religieux ; redéfinit le mandat de Radio-Québec qui devient Télé-Québec ; appuie une vingtaine de projets immobiliers du secteur dont [la merveilleuse] salle de concert du Domaine Forget, l’agrandissement du TNM [réussi par Lorraine Pintal], le déménagement de la Cinémathèque [institution en péril aujourd’hui] et l’ouverture de neuf bibliothèques de régions. »

Impressionnant bilan de ce grand homme d’État ayant déclaré que la Révolution Tranquille aurait été accomplie par quatre ou cinq ministres, une vingtaine de fonctionnaires et 50 chansonniers ! On aurait toutefois espéré qu’à force d’exprimer auprès des plus pauvres de notre société la vérité du Québécois opprimé, il ait su tendre la main de la réconciliation avec les Amérindiens : qui sait si en faisant généreusement et publiquement preuve de cet humanisme dont il était pourtant imprégné, il n’aurait pas réussi à convaincre la moitié + 1 des cinquante mille voix qui manquèrent à la réalisation de son rêve ?