Le libre-échange à l’Assemblée nationale : une démarche insolite

2015/06/08 | Par Jacques B. Gélinas

Le 12 mai dernier, la ministre des Relations internationales, Christine St-Pierre, a déposé à l’Assemblée nationale une série de motions visant l’approbation en file de sept accords de libre-échange signés par le gouvernement fédéral de janvier 2008 à septembre 2014. Des accords déjà en vigueur, les uns depuis six ans. La ministre évoque l’article 22.3 de la Loi sur le ministère des Relations internationales – telle que modifiéeen 2002 - pour justifier cette démarche.

Démarche insolite, en vérité, car cette procédure d'approbation n'existe nulle part dans le système parlementaire britannique qui est le nôtre. En effet, dans les pays de tradition britannique, dont le Canada, la conclusion d’accords internationaux est une prérogative de la Couronne.

L’exécutif fédéral, à titre de représentant de la souveraine, exerce cette prérogative régalienne sans l’intervention du parlement et, cela, du début à la fin du processus : depuis les négociations jusqu’à l’entrée en vigueur d’un accord.

Le Parlement canadien n'intervient qu’après sa conclusion, pour adapter la législation existante à l’accord déjà signé par le premier ministre ou par un membre de l'exécutif qu’il a désigné. C'est là une incroyable originalité de notre système politique, génétiquement marqué au coin de l’absolutisme monarchique1.

Aux États-Unis, qui sont une république, les choses se passent de façon très différente. Le Congrès intervient dans le processus de négociation et de conclusion d’un accord international, du début à la fin. Il peut exiger des modifications dans la définition du mandat de négociation, et il lui arrive de refuser la ratification d’un accord international signé par le président.

Exceptionnellement, le Congrès peut accorder plus de latitude au président moyennant une loi spéciale, qualifiée de fast track; en tel cas, il n’intervient pas dans le processus de négociation, mais peut refuser en bloc un accord déjà signé.

Selon l’esprit de l’article 22.3 évoqué par la ministre, ce que revendique le Québec, c’est en réalité un droit de regard préalable à la conclusion d’un accord international, plutôt que l’approbation a posteriori d’un accord déjà négocié, signé et mis en vigueur par le gouvernement fédéral.

L’article 22.1 de la même loi stipule que le gouvernement du Québec «doit donner son assentiment à ce que le Canada exprime son consentement à être lié par un accord international».

Par ailleurs, l’article 22.2 indique que le dépôt du texte de l’accord doit être «accompagné d’une note explicative sur le contenu et les effets de celui-ci […] incluant le cas échéant des réserves». En somme, explique le constitutionnaliste Daniel Turp, ces dispositions «visent pour l’essentiel à faire savoir au Canada que le Québec n’acceptera d’exécuter des accords internationaux auxquels le Canada entend devenir partie que s’il exprime son consentement préalable2».

Avant 2002, le Parlement du Québec n'intervenait que pour adapter sa législation existante aux accords signés par Ottawa, comme ce fut le cas, par exemple, pour l'ALENA en 1994.

La modification de Loi sur le ministère des Relations internationales du Québec est survenue en 2002 dans la foulée du Sommet des Amériques tenu à Québec l’année précédente. Elle se voulait une réponse aux protestations de la société civile contre les effets néfastes du chapitre 11 de l’ALENA et de l’accord continental alors en négociation, la ZLEA (Zone de libre-échange des Amériques).

Louise Beaudoin, la marraine de cette modification, voulait donner plus de pouvoir au gouvernement du Québec en matière d’accords internationaux.

En sortant de son contexte l’article 22.3 de la loi, le gouvernement affaiblit plutôt ce pouvoir et s’avilit, car il approuve en bloc des accords déjà négociés et signés par un autre gouvernement sans sa participation. Aucune autre province n’a fait, ni fera cette démarche servile et inutile.

Dans une entrevue au Devoir, Louise Beaudoin se dit fort déçue de l’usage que le gouvernement Couillard fait de cet article de la loi : «Mon idée, à l’époque, était de les prendre [les accords internationaux] au fur et à mesure et de savoir de quoi l’on parle3».

En déposant son projet de loi en 2002, l’ex-ministre d’État aux Relations internationales avait dit : «Le gouvernement du Québec ne donnera son assentiment à aucun nouveau traité comprenant des dispositions relatives aux investissements, si celui-ci met en péril la capacité de légiférer du gouvernement du Québec dans l’intérêt public4».

Les motions ont été adoptées et lesdits accords de libre-échange «approuvés» dans la semaine du 1er juin, pratiquement sans débat. La plupart de nos élus ignoraient complètement ce qu’ils faisaient. Pardonnez-leur…

Ils ignoraient que dans notre démocratie monarchique – véritable oxymoron –, ni le parlement d’Ottawa ni celui de Québec n’ont à approuver ou ratifier un accord international signé par le premier ministre canadien. Mieux informés, plus conscientisés, ils auraient dû profiter de l’occasion pour dénoncer le caractère monarchique de ce système qui a enfermé le Québec dans une «maison de fous», comme le soulignait René Lévesque ?

 

1 Voir l’étude bien documentée, intitulée Les traités internationaux : la pratique canadienne, produite par la Direction des recherches parlementaires, Ottawa, le 3 avril 2000. Pour plus de précisions et une illustration de cette pratique, voir mon livre Le néolibre-échange, L’hypercollusion business-politique, p. 49-51.

2 Daniel Turp, «Le consentement de l’État du Québec aux engagements internationaux et sa participation aux forums internationaux», dans Sienbo Yee et Jacques-Yvan Morin (dir.), Multilateralism and International Law, Koninklijke Brill, Pays-Bas, 2008.

3 Citée par Éric Desrosiers, «Québec enchaîne l’adoption [sic] de sept traités de libre-échange», Le Devoir, le 28 mai 2015.

4 L’aut’ journal, juin 2004.