Arbitraire de la catégorisation des causes à la régie du logement

2015/06/10 | Par Claire Abraham

Les résultats d’une étude statistique portant sur les décisions de la Régie du logement ont été dévoilés aujourd’hui à l’UQÀM en présence d’avocats, d’organismes communautaires et de chercheurs universitaires. Ces résultats montrent que la mise au rôle des causes effectuée par la Régie s’appuie sur une interprétation arbitraire de la notion de préjudice sérieux.

 À la Régie du logement, la priorité des causes mises au rôle est déterminée par un système de catégorisation et de hiérarchisation. Les demandes d’expulsion sont par exemple mises dans un ”silo” distinct de celles portant sur la salubrité des logements. « Ce système, qui détermine les délais d’attente qui peuvent dépasser deux ans pour des locataires aux prises avec des problèmes d’insalubrité, est très opaque », explique Claire Abraham, organisatrice communautaire à Projet Genèse. En effet, les critères qui permettent à la Régie de catégoriser les demandes des locataires en matière de salubrité restent inconnus.  À partir de combien de temps ou de quelle étendue, par exemple, un problème de moisissure devient urgent pour la Régie du logement ?


 Des délais moyens de 762 jours pour des causes de moisissures

 C’est ainsi que les chercheurs et chercheuses du Département des sciences juridiques de l'UQAM, en collaboration avec Pro Bono UQAM et Projet Genèse, ont entrepris une étude des jugements de la Régie du logement. L’analyse des délais d’attente pour les années 2011-2013 révèle que la Régie requiert, en moyenne, 762 jours pour rendre un jugement lorsque des problèmes de moisissures sont allégués. « Même dans les cas où les locataires réussissent à prouver le mauvais état du logement dans lequel ils et elles continuent d’habiter, les délais sont tout aussi longs » explique Jessica Leblanc, étudiante en droit à l’UQAM.

 Les délais que subissent les locataires à la Régie du logement ne sont pas une fatalité » déclare Martin Gallié, professeur de droit au Département des Sciences juridiques de l’UQÀM et un des auteurs de la recherche. « Il s’agit d’un choix politique et administratif qui vise à accorder - méthodiquement et systématiquement - une priorité de traitement aux causes de non-paiement du loyer. Concrètement, après trois semaines, deux dollars (2 $) non payés sur un mois de loyer, suffisent aux propriétaires pour demander et obtenir la résiliation du bail et l’expulsion du locataire - un mois et demi plus tard, en moyenne, ils obtiendront un jugement de la Régie. En revanche, nous avons démontré qu’en matière de moisissures, les locataires devront attendre, en moyenne, plus que 700 jours avant d’avoir un jugement. »

 « Le droit à la santé a été reconnu comme un droit constitutionnel par la Cour suprême dans la décision de Chaoulli en 2005 », déclare Lucie Lemonde, de la Ligue des droits et libertés. «À la lumière des résultats de cette recherche, il y a lieu de se demander si la Régie remplit son mandat de protéger le droit à la santé des locataires. »

 Me Manuel Johnson, avocat aux Services juridiques communautaires de Pointe Saint-Charles et Petite Bourgogne, se demande si la Régie répond à son mandat initial : « Ayant pour objectif d’équilibrer et de favoriser la réconciliation des droits opposés des locataires et des propriétaires, la Régie du logement ne traite pourtant pas les demandes des deux types de parties de la même façon. Cela n’est pas justifiable, car, les obligations des propriétaires et locataires sont d’une intensité équivalente ».

 Josephine Casipe, une locataire qui a attendu deux ans et six mois avant son audience à la Régie du logement, témoigne du trou dans le plafond de son logement, des inondations et de la moisissure qui en résultait : « Every time when I came home at night and I opened the door the floor was flooding because the hole from the kitchen ceiling was constantly leaking ».

 « L’accès à la justice pour un locataire est fortement compromis par ces délais d’attente » renchérit Andrée Bourbeau, de l’Association des juristes progressistes « Nous dénonçons la priorité donnée à la sécurité financière des propriétaires par rapport à la sécurité, la santé mentale et la santé physique des locataires ».


 Des statistiques indépendantes

 C’est la première fois que les délais d’attente et les décisions de la Régie du logement font l’objet d’une recherche approfondie. « Ça fait longtemps que les comités logement dénoncent les délais d’attente à la Régie du logement, et là nous avons des chiffres qui parlent hauts et forts » dit Abraham. « Il faut que le ministre Pierre Moreau réagisse en mettant en place des solutions aux délais d’attente qui règlent l’iniquité évidente au sein de ce tribunal ». 

 Le rapport est désormais disponible en ligne au http://socialtravail.uqam.ca/