Déclaration publique de Carmen Gloria Quintana

2015/08/18 | Par Carmen Gloria Quintana

Santiago, Chili, 11 août 2015

La mort du général Manuel Contreras signifie seulement la mort d’une des têtes invisibles d’une politique systématique de violations des droits humains et la répression de la dictature qui a gouverné notre pays pendant 17 ans. Est mort un homme qui a incarné la méchanceté et la cruauté comme peu d’êtres humains dans l’histoire de l’humanité.

Manuel Contreras avait la responsabilité de planifier et d’exécuter la politique d’extermination des opposants à Pinochet et à sa dictature ; il a accompli les basses œuvres dictées par le dictateur. Les deux ont utilisé les Forces armées et les « Carabineros » (corps policier national) pour satisfaire l’ambition de Pinochet de se maintenir au pouvoir et d’éradiquer toute la résistance au modèle de société que la Junte militaire et la droite économique ont imposé ensemble.

Ma question morale et éthique est qui va payer les 500 ans de peine auxquels fut condamné Manuel Contreras pour tous les crimes qu’il a ordonnés et commis, ce qui a détruit des milliers de familles. Contreras est-il comme un dément qui tire à bout portant sur les élèves dans une école nord-américaine ? Ou bien s’agit-il de quelqu’un qui appliquait un ordre, spécifiquement un ordre du dictateur, commandant en chef des Forces armées ?

Personne ne peut nier que les Forces armées ont été liées à cette politique, en conséquence, en tant qu’institution, elles sont responsables face à la justice, à l’histoire et en fin de compte face à tous les Chiliens et toutes les Chiliennes. C’est aujourd’hui que les Forces armées, les « carabineros » du Chili et la police des renseignements récupèrent leur honneur face à la société chilienne. Qu’ils nous démontrent s’ils nous appartiennent ou surtout à ceux qui ont collaboré avec la dictature. Qu’ils démontrent s’ils endossent ou non la conviction du respect strict des valeurs démocratiques et des droits humains !

Notre société affronte une dangereuse croisée des chemins à savoir constater si les Forces armées, les « Carabineros », surtout l’armée du Chili, sont ou non soumis à l’État de droit et à l’autorité civile. Jusqu’à aujourd’hui, l’armée a démontré le contraire, à preuve on maintient l’hommage aux assassins et on protège plusieurs gradés qui ont tué et torturé… La société civile ne peut plus en endurer davantage.

Je suis préoccupée du fait que le gouvernement nous dise que Contreras a apporté de précieuses informations dans sa tombe qui aurait permis de connaître la vérité et d’établir la justice. En réalité, ce n’est pas vraiment ça. Contreras était le bras exécutant le plus important, mais pas le seul, car il était l’un des membres de la machine d’extermination des Forces armées. Tout le monde sait que l’armée tout autant que les Forces armées sont des institutions qui fonctionnent d’une manière hiérarchique d’une manière verticale et ordonnée.

Le cas de Rodrigo Rojas Denegri et le mien illustrent clairement de ce fait. Il est évident, une fois de plus, que des renseignements existent, mais ils les révèlent seulement dans la mesure où ils sont découverts. C’est un procédé immoral, non éthique. L’évidence nous montre que depuis le dictateur, ses ministres (Garcia, Carvajal, Cuadra et les autres), le général Santiago Sinclair, les officiers membres des Forces armées et aussi les civils, ont tous conspiré pour cacher la vérité et maintenir l’impunité. Nous ne pouvons permettre que l’armée maintienne cette position… C’est l’autorité civile qui a la capacité de changer l’indifférence de leurs ordres devant l’évidence de leur complicité actuelle avec ceux qui ont tué et infligé des cruautés indescriptibles à des milliers de Chiliens et Chiliennes.

C’est ainsi qu’a fonctionné l’armée et qu’elle a gaspillé des millions de pesos pour camoufler le crime commis contre Rodrigo Rojas Denegri et moi-même ; elle l’a fait ainsi et continue à le faire avec des milliers de compatriotes victimes de violence… L’immoralité et la lâcheté sont intolérables à l’intérieur de l’armée chilienne.

Je fais appel aux lâches qui marchent en rang afin qu’ils assument leur responsabilité et, comme il se doit, qu’ils deviennent des soldats vaillants et honorables afin de recréer le respect de l’armée de O’Higgins et Carrera.

C’est honteux pour le Chili et les Forces armées que le dictateur et Contreras meurent en gardant leur rang de général même s’ils ont commis un génocide contre l’humanité. C’est inconcevable et honteux que la bibliothèque de l’École militaire porte le nom de Augusto Pinochet sans mentionner d’autres lieux et objets qui rendent hommage aux génocidaires.

J’exige que le ministre de la Défense émette un décret prohibant toute apologie du dictateur et des violeurs des droits humains.

C’est l’unique manière de faire pour que la société civile retrouve la confiance en ses institutions et que l’armée nous regarde plus comme son peuple que comme un ennemi interne qu’il faut attaquer.