L’agent orange

2015/08/25 | Par Michel Rioux

Le web nous en fait voir de toutes les couleurs !

Par exemple, à Dubaï. Le système d’égouts répond aux besoins d’une population de 20 000 personnes. Quelque 30 000 personnes travaillent au fameux gratte-ciel Burj Khalifa, déposant en permanence 200 grammes de matière fécale chaque jour. Pour l’ensemble de l’île, il faudrait évacuer 50 tonnes l’heure. Un tsunami brun menace Dubaï.

Pour épargner aux touristes la vue des camions qui vident les fosses septiques, c’est la fin de semaine qu’on en réquisitionne 2000, chacun transportant 4,2 tonnes d’excréments ; 8400 tonnes se retrouvent dans le désert.

Cela vous remet le développement capitaliste sauvage en perspective, non ?

Dans un autre ordre d’idées, alors que le vote dit stratégique semble faire bien des victimes, j’ai retrouvé sur le web le dernier texte polémique du syndicaliste et écrivain Pierre Vadeboncoeur, un texte établissant la pertinence historique du Bloc québécois. Rédigé deux semaines avant sa mort survenue en février 2010.

Sous le titre Refus et résistance, Vadeboncoeur situe l’importance historique du Bloc sur une trajectoire dans laquelle le peuple québécois a « manifesté de manière soutenue une tendance à s’écarter de la norme constitutionnelle. Le Québec politique, quand il est conscient de lui-même, produit sur l’unité canadienne un effet de distorsion. Il trompe les calculs de l’ordre établi. Il dérange. Il fausse l’institution. »

Il ajoute que « le Bloc est la dernière expression du non-conformisme historique et de la déviance. Politiquement incongru, il illustre par cela même notre vérité, notre insoumission, notre perpétuelle tendance à nous soustraire à la logique de la politique dominante ».

Et que fait le Bloc aux yeux de Vadeboncoeur ? « Il dénonce par son fait le régime fédéral dans lequel les Québécois ne sauraient demeurer sans s’y perdre. » Mais l’écrivain, qui a eu la chance, en quelque sorte, de ne pas voir déferler la vague orange, demeurait lucide dans son analyse. « Dans la mentalité d’une partie des progressistes subsiste un curieux principe de freinage, écrit-il, comme si la réaction était toujours un peu dans notre caractère. »

Et pour éviter de regarder résolument l’Histoire en face, il se trouve des progressistes pour s’inventer encore une fois des faux-fuyants. Le NPD représente aujourd’hui le même miroir aux alouettes que l’ont été la menterie de Trudeau au référendum et l’illusion du French Power à Ottawa, sans parler des Laurier, des Lafontaine et des Cartier qui nous ont roulés dans la farine canadienne, avec notre assentiment en plus.

Comme l’écrivait Jonathan Livernois, biographe de Vadeboncoeur, nous sommes des spécialistes quand il s’agit de Remettre à demain, comme l’indiquait le titre de son dernier essai.

Mais en attendant d’avoir le courage de regarder l’Histoire dans le blanc des yeux, d’aucuns, y décelant une entreprise de diabolisation, soutiennent que l’orange serait soudainement devenue la couleur d’avenir du Québec.

Fermons les yeux, disent-ils, sur un chef qui, le vendredi, était conseiller juridique du Conseil de la langue française avant de se retrouver, le lundi suivant, conseiller juridique d’Alliance Québec pour attaquer la Charte devant la Cour suprême.

Oublions, disent-ils, que ce libéral a offert ses services aux conservateurs de Harper avant de défroquer NPD, ce qui représente quand même une aptitude certaine aux contorsions idéologiques.

Faisons l’impasse, disent-ils, sur la qualité du langage de celui qui a été condamné pour avoir traité un ancien ministre péquiste de « vieille plotte séparatiste ».

Faisons semblant, disent-ils, de ne pas avoir vu le retrait de toute référence au socialisme dans les statuts du NPD.

Fermons les yeux, disent-ils, sur l’apologie de Thatcher et sa fréquentation assidue de l’Institut économique de Montréal.

Gommons, disent-ils, ce cri du cœur du NPD – Un grand jour pour le Canada – quand le chantier maritime Davie n’a rien reçu d’un contrat de 34 milliards.

Bouchons-nous le nez, disent-ils, sur ce que disent Tom et Thomas du pipeline.

Ne faisons pas de cas, disent-ils, de ce que Tom ait voté pour Couillard l’année dernière, privilégiant les fédéralistes aux progressistes.

Vadeboncoeur a aussi publié Un génocide en douce. Les autres n’auront peut-être plus besoin de faire la job. Il se pourrait que nous nous en chargions nous-mêmes !

La dernière ligne de Vadeboncoeur : «  Nous n’avons pas dit notre dernier mot ! » Il faut y croire. Ce peuple est trop jeune pour se suicider.

J’allais l’oublier. La couleur des camions, à Dubaï ? Orange…