Un nouveau cycle pour la question de l’indépendance

2015/09/17 | Par Claudette Carbonneau

L’auteure est la nouvelle présidente de OUI Québec

L’assemblée de fondation de la Table régionale des OUI QUEBEC de l’Outaouais qui s’est déroulée le 13 septembre 2015 est la première que je couvre comme présidente des OUI QUEBEC. Ce que j’y ai vu cet après-midi-là me convainc encore plus du caractère essentiel et de l’utilité du travail que nous faisons comme organisation citoyenne vouée à la promotion de l’indépendance. Surtout, la vitalité dont les gens ont fait preuve et leur ouverture à se renouveler, pour être toujours plus pertinents et plus efficaces, sont porteuses d’espoir.

Je voudrais partager avec vous la lecture que je fais de la conjoncture sur la question de l’indépendance du Québec. Sincèrement, je crois que nous entrons dans un nouveau cycle où la question de l’indépendance semble vouloir sortir d’une longue dormance pour s’imposer à nouveau dans l’arène public. J’en veux pour preuve un certain nombre d’évènements, qui mis ensemble, changent le paysage, mais nous imposent aussi de nouvelles exigences et de nouveaux défis.

D’abord, il y a eu destiNation, ce grand rassemblement citoyen des indépendantistes de toutes tendances et de toutes sensibilités, qui a réuni 1,000 personnes à l’instigation d’une modeste organisation citoyenne, le Conseil de la souveraineté. Ce rassemblement s’est conclu sur des pistes d’orientations ambitieuses, qui ont été à la base de la transformation du Conseil de la souveraineté en une nouvelle organisation, celle des OUI QUEBEC. Ce changement n’avait rien de cosmétique : affirmation du caractère citoyen et non partisan de l’organisation, projet d’une fondation pour l’indépendance, volonté d’attirer dans nos rangs plusieurs organisations de la société civile de façon à élargir les appuis à l’indépendance, priorité accordée à la convergence entre tous les indépendantistes, développement de tables régionales pour rayonner partout au Québec, renouvellement du discours et de l’argumentaire indépendantiste, mobilisation et j’en passe.

Bien sûr, il reste encore beaucoup de pain sur la planche pour opérer complètement le virage souhaité. Cependant, le plan de match est clair et on progresse lentement mais sûrement vers l’objectif.

Hier encore, le camp fédéraliste ne manquait pas une occasion de brandir l’arrêt de mort de la souveraineté. Surprise, le nouveau chef du PQ en fait son cheval de bataille et semble déterminé à passer dès maintenant et très systématiquement à l’offensive. De son côté, QUEBEC SOLIDAIRE a fait de l’indépendance du Québec l’objet d’une tournée spécifique cet été. OPTION NATIONALE commence à inonder le Québec d’un nouvel argumentaire avec son livre qui fait dire OUI. Le BLOC QUÉBÉCOIS accorde à la question de l’indépendance une place de choix. Sans y aller d’une consigne de vote, jugée contraire à notre caractère non partisan, les OUI QUEBEC mènent actuellement une campagne résolument indépendantiste en profitant de la campagne électorale fédérale pour faire une sévère critique du régime canadien.

Dans l’autre camp, le Premier ministre Couillard a cessé de répéter à satiété que personne ne s’intéresse à cette question et décide au contraire d’accréditer le débat, en déclarant vouloir nous répondre systématiquement pour ne pas laisser un pouce aux souverainistes! Même François Legault comprend désormais qu’il précipiterait son parti dans les limbes, s’il continuait à faire l’impasse sur la question nationale et conséquemment il a décidé de doter la CAQ d’un nouveau programme nationaliste, tout en affirmant sa foi fédéraliste. À croire qu’il s’est donné comme mission de faire la démonstration de ce que nous savons déjà, quant au caractère irréformable du fédéralisme canadien!

Bien sûr, cette nouvelle donne amène avec elle son lot d’exigences. Plus que jamais il faudra nous mettre en mode addition, sortir de notre zone de confort, aller vers les sceptiques, rafraîchir et renouveler l’argumentaire, débattre, convaincre, rallier et mobiliser.

Vingt ans se sont écoulés depuis le référendum de 1995. Le monde a beaucoup changé. Une majorité de Québécois n’ont pas connu le temps où les Canadiens français étaient cantonnés dans les emplois subalternes. Plusieurs ne se sont jamais sentis aliénés par la majorité anglaise du ROC. Les jeunes ne se reconnaissent pas dans le rôle de victime. Nous sommes entrés dans l’ère de la mondialisation qui sans cesse nous rappelle que, dans le monde d’aujourd’hui, il n’y a de place que pour les États et que les peuples sans État ne pèsent d’aucun poids. La crise environnementale est à nos portes et nous ne détenons pas tous les moyens pour agir selon notre volonté et nos valeurs. La population s’est diversifiée, mais plusieurs parmi les nouveaux arrivants connaissent l’importance d’un pays qui peut se gouverner librement, si tant est qu’on puisse les rejoindre et qu’on veuille les inclure dans notre projet. Les femmes demeurent sous-représentées et pas assez visibles dans notre mouvement. La question autochtone ne cesse de rebondir et il y a là des alliances à saisir avec ces peuples en quête, eux aussi, de reconnaissance, de dignité et d’autonomie gouvernementale.

Bref, il ne suffira plus de clamer notre droit à un pays normal, ou encore de démontrer notre capacité économique et financière de voler de nos propres ailes. Il faudra démontrer aussi que l’indépendance est un projet, non pas tourné vers le passé, mais vers l’avenir, qu’il est inclusif et qu’il améliore notre mieux-être collectif.

Ce que j’ai observé en Outaouais l’après-midi du 13 septembre est prometteur. De plus en plus, les gens s’affichent comme indépendantistes dans cette région longtemps jugée hostile à la cause. Ils font des liens entre les nouvelles préoccupations populaires et le projet d’indépendance. Voilà une attitude décomplexée, qui met de la chair autour du projet de pays.

Le travail en concertation qui est au cœur de la mission des OUI QUEBEC n’est pas de tout repos. Il force chacun d’entre nous à sortir de sa zone de confort, à parler à des non convaincus, à composer avec des groupes qui portent aussi d’autres préoccupations que l’indépendance, à reconnaître que les indépendantistes ne pensent pas tous la même chose, non seulement sur la question sociale, mais aussi sur le chemin à prendre pour arriver à l’indépendance.

Malgré les divergences et les heurts que cela peut parfois provoquer, nous devons demeurer en mode addition des appuis, pas en mode soustraction. Nous devons demeurer en position de faire la promotion de l’indépendance hier, demain et après-demain. Se donner comme objectif de convaincre tout un peuple, c’est nécessairement accepter de composer avec les différences.

Pour ce faire, il faut miser sur nos convergences et sur ce qui nous unit. Il faut accepter que chacun conserve une large marge d’autonomie. Celle-ci est d’ailleurs un atout qui permet, selon les préoccupations et sensibilités de chacun, de bien faire ressortir tous les « possibles » qui peuvent s’ouvrir en nous donnant notre indépendance. Ce qui doit nous rassurer, c’est qu’aussi différents que nous soyons, nous demeurons unis et animés d’un fort désir de pays pour sortir du non-être et de l’insignifiance, pour déployer tout notre potentiel, être plus libres, mieux développés et plus heureux.

L’humanité a grandi en se battant très fort pour conquérir les grandes libertés : liberté d’opinion et d’expression, abolition de l’esclavage, droit de vote, droit d’association, etc. Pourquoi devrait-il en être autrement de notre droit collectif de décider de toutes nos lois, de percevoir tous nos impôts et de nous représenter nous-mêmes sur la scène internationale?

Je vous laisse sur cette percutante citation de René Lévesque. Elle demeure le ciment qui doit nous unir et sur lequel nous pourrons enfin construire. « Une population dont le territoire est planifié par d’autres, aménagé par d’autres, géré par d’autres, exproprié par d’autres dans un but et une perspective établis par d’autres et au profit de d’autres est réduite à l’insignifiance ».

Le peuple québécois n’a rien d’un peuple qui se laissera aller à l’insignifiance, après 400 ans de luttes pour se construire comme nation, trouver sa place au soleil et apporter sa contribution au monde de demain. C’est la responsabilité qui revient désormais à chacun d’entre nous. Nul doute que nous saurons relever ce défi!