Bombes à sous-munitions : honte à Harper!

2015/09/18 | Par Pierre Jasmin
Une victime des bombes à sous-munitions (photo site Handicap international), en quelque sorte commanditée par la Banque Royale et la Financière Sun Life qui financent ces bombes
Puis-je vous avouer que la photo de cette victime m’obsède depuis des mois? Et son frère aîné s’il en a un, d’après vous, sera-t-il tenté de s’inscrire aux Artistes pour la Paix ou de se joindre à l’Armée Islamiste? Si les pacifistes avaient quelque influence en notre société (combien de membres? combien de nos articles acceptés par les grands médias?), sa décision pourrait être plus rationnelle et plus pacifique. Hélas, pour le moment je crains fort qu’il désespère de l’efficacité de l’ONU.

Un serviteur de la fonction publique, Earl Turcotte, ami des Artistes pour la Paix, nous écrivait jeudi le 10, se souvenant de l’accueil que nous avions fait à ses prises de position (voir http://artistespourlapaix.org/?p=6998) mais impuissant, comme nous, à secouer l’indifférence des médias.

Earl avait joué un rôle majeur aux côtés de Robin Collins pour l'établissement et la gouvernance du Traité d'Ottawa contre les mines anti-personnel par le gouvernement Jean Chrétien, pour ensuite diriger la délégation canadienne au cours de la négociation de la Convention sur les Munitions à Fragmentation (Cluster Munitions).

Director of the Mine Action Team of DFAIT 2005-2011, il a démissionné de la Fonction publique canadienne en 2011 pour protester contre la honteuse loi canadienne. Il nous envoyait sa lettre indignée  à lire ici qui a sans doute aidé au dénouement heureux hier de la Conférence sur les bombes à sous-munitions et peut-être même inspiré la sortie de Jean Chrétien sur la gouvernance honteuse de Stephen Harper.

Voici la traduction de la lettre d’Earl Turcotte par notre secrétaire Jean-François Garneau:

 

Le gouvernement Harper fait honte au Canada sur la scène mondiale… encore une fois.

Les bombes à fragmentation figurent parmi les plus injustes et les moins fiables des armes conventionnelles qu’on ait inventées. Plus de 95 % de leurs victimes sont civiles – surtout des enfants et des fermiers pauvres tués ou grièvement blessés, souvent des années après les conflits en cause.

Cette situation horrible a incité la plupart des pays, dont le Canada, à négocier en 2008 un traité historique qui, inter alia, bannit à jamais la production, le stockage, le transfert et l’usage de bombes à fragmentation. La Convention on Cluster Munitions interdit aussi, en toutes circonstances, d’aider, d’encourager ou d’influencer quiconque quant à la production, au transfert et à l’usage de bombes à fragmentation.

L’Article 21 de la Convention va plus loin et impose l’obligation aux États signataires “…d’encourager les États non signataires de la Convention à la ratifier, l’accepter, l’approuver ou à accéder à ses demandes…”, ainsi “…qu’à s’efforcer de décourager l’usage de bombes à fragmentation par les États qui n’ont pas signé la Convention.”

Cela semble assez clair, n’est-ce pas? Pas pour les Conservateurs de M. Harper.

Après avoir adhéré au texte négocié avec 107 autres pays et avoir officiellement signé la Convention en 2008, les Conservateurs ont commencé à reculer. Au cours des trois années suivantes et malgré une ferme opposition au Canada et à l’étranger, ils ont développé des lois nationales qui laisse le Canada libre de soutenir l’usage de bombes à fragmentation quand il s’associe aux opérations militaires de pays non-signataires, comme les États-Unis. Incroyablement, la loi canadienne inclut des clauses explicites concernant les officiers canadiens qui, en tant que commandant d’opérations militaires multinationales, “dirigeraient” l’usage de bombes à fragmentation par les forces d’États non-signataires.

Sans surprise, cette loi du Canada a été très critiquée partout dans le monde, y compris de la part du Comité international de la Croix rouge (ICRC). Malgré tout, le gouvernement Harper a persisté et adopté cette loi pendant la dernière session du Parlement.

Cette semaine, la First Review Conference de la Convention on Cluster Munitions aura lieu à Dubrovnik, en Croatie – réunissant les 117 pays qui ont signé la Convention jusqu’à maintenant, les États observateurs, les agences de l’ONU, l’ICRC et les centaines d’organisations non-gouvernementales qui forment la coalition International Campaign to Ban Landmines and Cluster Munitions.

Comme d’habitude pour de tels événements, une Déclaration a été transmise aux États participants par le Président de la Conférence pour qu’ils l’examinent à l’avance. Ces déclarations importent, car elles reflètent les convictions les plus sincères des participants et, idéalement, sont reprises par toutes les délégations des États.

La déclaration préliminaire de cette première Review Conference comprend des termes qui condamnent “tout usage de bombes à fragmentation par tout acteur”… On s’attendrait à ce que toute nation participante dénonce publiquement un usage qui cause tant de morts et de souffrance qu’il a été banni à jamais. Pourtant le Canada, dans son allocution d’ouverture lors de la Conférence, a exprimé des réserves, suggérant qu’une dénonciation compromettrait sa capacité d’engagement dans des opérations militaires conjointes avec des États non-signataires. Le Canada s’oppose maintenant directement à plus de 100 autres pays, aux agences de l’ONU, à l’ICRC et à la société civile, qui ont tous accueilli le texte comme faisant partie intégrale d’un fort énoncé diplomatique émanant de la conférence.

Alors que j’allais exprimer ma honte devant une autre atteinte du Canada à sa propre diplomatie, j’ai compris : comment Stephen Harper pourrait-il logiquement agir autrement? Le Canada peut-il vraiment condamner l’usage d’armes que Mr. Harper et compagnie se sont (illégalement) réservé le droit de diriger? Pas par nos propres forces, remarquez, ce qui serait inacceptable, mais par les forces de pays non-signataires — qui pourraient agir sous les ordres d’un commandant canadien!

Sur quelle étroite corniche Mr. Harper a-t-il perché le Canada! Quelle honte! Je regrette sincèrement la livraison d’un tel message par la délégation canadienne devant la communauté internationale. S’il s’agissait d’un colloque moins civilisé, les membres de la délégation canadienne se feraient jeter à la rue alors que la Conférence ne fait que commencer!

Je recommande au Premier ministre d’émettre de nouvelles instructions à notre délégation, mais bien sûr, il ne le fera pas. Je trouve un certain réconfort en sachant que, si tout va bien, quelqu’un d’autre formulera les instructions après le 19 octobre, et que les diplomates canadiens pourront bientôt agir comme… eh bien… des Canadiens.