Le français et la citoyenneté canadienne

2015/09/28 | Par Charles Castonguay

La classe politique québécoise nous chante de concert, la main sur le cœur, que le français est la langue commune du Québec. Si l’on est sincère en affirmant cela, on devrait prendre tous les moyens à notre disposition pour s’assurer que tous nos nouveaux concitoyens connaissent cette langue.

Il n’existe qu’une seule façon vraiment efficace d’atteindre cet objectif. C’est de garantir que tout candidat à la citoyenneté canadienne qui réside au Québec connaisse le français.

Voilà des décennies que Jacques Godbout en a fait la proposition. Comment se fait-il, alors, qu’aucun de nos leaders politiques n’ait encore réclamé la collaboration d’Ottawa afin de faire en sorte que tout nouveau résident du Québec fasse preuve d’une connaissance appropriée du français avant d’obtenir la citoyenneté canadienne ?

La situation présente rend d’une criante urgence l’adoption d’une pareille mesure. En effet, le poids du français, langue maternelle aussi bien que langue d’usage, est depuis longtemps en chute libre à l’échelle de l’ensemble du Canada. À l’échelle de l’ensemble du Québec, depuis le début du nouveau millénaire, il recule à une vitesse jamais vue. C’est dire qu’il chute à pic à Montréal.

Il faut alors créer une nouvelle dynamique favorable au français. À tout le moins au Québec. Maintenir au Canada la viabilité de la dualité linguistique anglais-français qui, prétend-on, constitue un ingrédient essentiel de l’identité canadienne, exige la collaboration d’Ottawa en ce sens.

Que l’obtention de la citoyenneté canadienne passe, pour tout résident du Québec, par une connaissance préalable du français, doterait par ailleurs d’un minimum de concret la reconnaissance par Ottawa de la nation québécoise.

Il y a évidemment pour le Québec aussi d’excellentes raisons de voir à ce que tous ses nouveaux citoyens connaissent sa langue officielle et commune. Pour assurer, par exemple, sa cohésion sociale, notamment en garantissant à chacun la possibilité d’apprécier pleinement le débat public sur des questions de tout ordre, avant que de déposer son bulletin dans l’urne.

Savoir que tous leurs nouveaux concitoyens connaissent le français contribuerait également à guérir nombre de Québécois francophones du fâcheux réflexe de s’adresser aux nouveaux venus en anglais. Cela ferait aussi en sorte que les nouveaux arrivants seraient moins portés à percevoir les Québécois francophones comme une étrange tribu d’hurluberlus en matière de langue. De façon plus générale, la nouvelle mesure assainirait fondamentalement les rapports entre les uns et les autres.

Je me souviens d’une enquête menée dans les années 1980 selon laquelle 89 % des Québécois jugeaient que les nouveaux arrivants devaient connaître ou, sinon, apprendre le français. Cette opinion était donc largement partagée alors et ce, tant parmi les francophones que parmi les anglophones et allophones. Je suis persuadé que cela demeure tout aussi vrai aujourd’hui.

Pour faire en sorte qu’un nouvel arrivant domicilié au Québec soit tenu de connaître le français avant d’obtenir la citoyenneté canadienne, il ne serait pas nécessaire qu’Ottawa convoque une conférence constitutionnelle. Il lui suffirait de modifier en ce sens sa loi sur la citoyenneté.

Pareil geste introduirait certes un élément d’asymétrie dans la politique canadienne des deux langues officielles. Une semblable asymétrie se trouve cependant déjà comprise dans la Charte canadienne des droits et libertés. Celle-ci permet au Québec de gérer l’accès à ses écoles anglaises en fonction des dispositions de sa Charte de la langue française.

Il serait d’ailleurs toujours loisible à Ottawa de maintenir la symétrie de la condition linguistique pour devenir citoyen, en exigeant de tout nouveau candidat à la citoyenneté canadienne domicilié à l’extérieur du Québec qu’il connaisse l’anglais. Ce ne serait pas trop forçant, vu la nécessité incontournable de connaître un minimum d’anglais pour fonctionner en société dans les autres provinces canadiennes.

La connaissance du français exigée des candidats à la citoyenneté au Québec pourrait être du même niveau que celle du français ou de l’anglais qu’exige actuellement la loi sur la citoyenneté. Cela comporterait néanmoins une puissante charge symbolique qui orienterait sensiblement les esprits en faveur de l’usage du français comme langue publique commune.

Tout comme Québec a plaidé la nécessité de sa Charte de la langue française en soulignant l’anglicisation démesurée de ses nouveaux arrivants, il pourrait appuyer sa nouvelle revendication en faisant valoir que le poids de sa population francophone s’effondre maintenant comme jamais. Celui-ci a en fait atteint en 2011 son plus faible niveau enregistré depuis 1871.

Pour rassurer ceux qui pourraient s’inquiéter de l’avenir de l’anglais dans la province, Québec pourrait ajouter que depuis le début du nouveau millénaire, le poids de sa population de langue anglaise s’est, au contraire, stabilisé, voire évolue légèrement à la hausse. C’est du jamais vu aussi dans l’histoire des recensements canadiens.

Le français en tant que langue commune du Québec fait partie intégrante du discours de Philippe Couillard. Pierre-Karl Péladeau, lui, dirige un parti qui a porté haut et fort l’idéal du français, langue commune. Quand à François Legault, il cherche désormais à exercer un nouveau leadership dans le domaine identitaire.

Lequel des trois proposera aux autres de demander à Ottawa, par un vote unanime de l’Assemblée nationale, de rendre obligatoire la connaissance du français pour l’obtention de la citoyenneté au Québec ? Je ne vois pas Françoise David ou Amir Khadir s’opposer à une mesure visant à renforcer ainsi notre cohésion sociale.

Vous figurez-vous la tronche de Stephen Harper, de Thomas Mulcair ou de Justin Trudeau si Gilles Duceppe en avait fait un enjeu durant la présente campagne électorale ? Et si le débat des chefs à Radio-Canada avait consacré cinq minutes à cette revendication, comme il l’a fait pour la question du niqab ?

Que les nouveaux citoyens doivent connaître le français jouit sans doute au Québec d’un consensus encore plus large que le rejet du port du niqab lors de la prestation du serment de citoyenneté. Imaginez-vous comment cela aurait pu secouer les intentions de vote ?

Fin renard lorgnant le vote francophone au Québec, parrain de la résolution de la Chambre des communes selon laquelle « les Québécois forment une nation au sein d’un Canada uni », Harper aurait été tenté de s’exprimer en faveur d’une pareille mesure. Agir autrement serait confirmer que sa reconnaissance de la nation québécoise n’est qu’une coquille vide.

Ancien directeur des affaires juridiques à Alliance Québec, ne voulant pas, en même temps, paraître trop Québécois aux yeux du Canada anglais, Mulcair aurait été dans ses petits souliers. D’instinct, Trudeau fils se serait vite posé en champion du libre choix de l’anglais ou du français laissé en héritage par son père. Elizabeth May aurait peut-être formulé une position moins insignifiante que sa réaction à la question du niqab.

Rien de tout cela n’a eu lieu. Le français est une langue politiquement orpheline. Ceux qui se préoccupent du caractère français du Québec ou du Canada ont dû se rabattre sur les remontrances de la Fédération des communautés francophones et acadiennes devant l’évacuation totale de la question linguistique du débat.

Inutile de se fixer sur les prévisions démographiques. Le français est en pleine dégringolade, ici et maintenant. Il faut imaginer des solutions inédites et agir sans tarder.

Il n’y a plus de temps à perdre. Il n’y a que du temps perdu.