L’inexplicable « Trumpism »

2015/09/28 | Par Rose St-Pierre

L’auteure étudie présentement la politique américaine et les changements climatiques, en Floride dans le cadre d’un échange étudiant.

Le 16 septembre dernier se tenait le deuxième débat entre candidats républicains pour la présidence des États-Unis à la Ronald Reagan Library en Californie. Encore une fois, selon plusieurs médias et sondages réalisés le soir même, il semble que ce soit le multimilliardaire Donald Trump qui ait remporté le débat.

Aux yeux de plusieurs analystes pourtant, sa performance était loin d’être éloquente. Disparaissant pendant de longues minutes, il a fait peu d’interventions et n’arrivait pas à répondre aux attaques de ses collègues par un manque de connaissance sur les politiques publiques.

Pourtant, cela ne ralentit pas le gain de popularité de l’homme d’affaires qui mène toujours dans la course pour les primaires républicaines en vue de l’élection présidentielle de 2016.

Le phénomène Trump porte déjà son nom au sein des médias américains : le « Trumpism ». L’expression demeure toutefois contestée, car plusieurs remettent en question l’idéologie promue par le candidat.

 

En effet, Donald Trump ne semble pas posséder de plateforme idéologique claire. Bien sûr, il s’oppose farouchement à l’Obamacare, s’affiche clairement antiavortement et souhaite faire la guerre à l’immigration illégale, mais il défend également certaines idées traditionnellement associées à la gauche.

C’est ainsi que le candidat déclarait, lors du précédent débat, qu’il n’a aucune opposition à ce que les riches paient davantage de taxes sans nécessairement bénéficier d’autant de services sociaux que l’Américain moyen.

Cela dit, cette prise de position n’est peut-être qu’une autre manière pour le magnat de l’immobilier d’insister sur sa fortune comme une preuve de notoriété, de professionnalisme et de réussite. Trump ne manque pas de se vanter de son indépendance économique, alors qu’il ne dépend d’aucun soutien financier pour mener sa campagne et répète fréquemment qu’il peut obtenir « ce qu’il veut ».

Car le phénomène Trump se fait surtout remarquer pour cette raison : son autoritarisme et son machisme. En 2004, Donald Trump déclarait au Daily Show que « toutes les femmes flirtaient avec lui », qu’« elles le veulent ou non ». En 2006, commentant un article sur l’apparence de sa fille, Trump affirmait que si « Ivanka n’était pas ma fille, peut-être que je la fréquenterais. »

Certains se souviendront que, suite au premier débat républicain le 6 août dernier, alors que le candidat n’avait pas apprécié les questions de la journaliste Megyn Kelly, il a déclaré sur les ondes de CNN qu’il n’avait « pas beaucoup de respect pour elle » et que lors du débat, « on pouvait voir du sang sortir de ses yeux, du sang sortir de son… où que ce soit. » La remarque avait créé la consternation même dans les rangs conservateurs.

La description du « phénomène » ne serait pas complète sans parler du penchant nativiste et populiste de Donald Trump. L’immigration illégale demeure son sujet de prédilection et le candidat avance comme solution la construction d’un mur entre le Mexique et les États-Unis (qui serait d’ailleurs financé par le Mexique!).

« Plus de sécurité – moins d’immigration » clame-t-il, en affirmant d’une même voix que le Mexique n’envoie « que de la drogue et des violeurs aux États-Unis. »

Les citations de ce genre ne manquent pas dans le cas de Trump. En fait, on y dédit même des sites internet complets, recensant chacune des interventions choquante, vexante, raciste, sexiste et toutes les publications douteuses qu’il partage sur les médias sociaux.

Alors qu’une seule de ces citations pourrait ruiner la campagne d’un candidat, comment expliquer que ce sont ces messages et publications qui semblent faire de Trump le meneur de la course?

La popularité de Trump s’appuie probablement en grande partie sur sa forte présence dans les médias sociaux et traditionnels. Le 16 septembre dernier, durant le débat, le mot-clic #Trump était l’un des plus populaires sur Twitter. Les conférences de presse du candidat demeurent les plus achalandées, peut-être parce qu’elles sont les plus « spectaculaires ».

Trump veut faire parler de lui, en bien ou en mal; il veut seulement faire parler de lui. Car s’il y a une chose qu’il a saisie dans la dynamique actuelle entre médias et politique, c’est que l’important est de communiquer. Qui ne communique pas dans ce monde 2.0 n’existe pas.

Alors que plusieurs candidats mettent leurs efforts sur les campagnes de terrain, fréquentant marchés publiques et serrant des mains, Trump compte sur des affirmations qu’il sait scandaleuses pour occuper tout l’espace médiatique.

C’est pourquoi plusieurs journalistes se questionnent sur leur couverture du « phénomène ». Plusieurs n’y voient qu’un cirque et se sentent manipulés. Des journalistes américains du New York Times et du Washington Post ont d’ailleurs décidé de ne plus écrire d’article au sujet de Donald Trump, affirmant que les médias seraient en partie responsables de la popularité dérangeante de l’homme et que les journalistes ne feraient preuve d’aucune conscience sociale.

À cela, d’autres journalistes répondent que l’attention médiatique n’aide pas toujours un candidat. Elle peut aussi (et souvent) lui nuire. Pourquoi cela ne s’applique pas au géant de l’immobilier? Peut-être parce que l’homme d’affaires, couronné de succès, fascine les Américains.

D’ailleurs, comme l’ont rapporté John Dickerson de CBS News et Nate Silver de FiveThirtyEight, les recherches Google au sujet de Donald Trump n’ont pas significativement augmentées depuis le début de la campagne; elles sont toujours aussi nombreuses.

Cela dit, historiquement, plusieurs candidats suscitant la controverse ont mené en début de parcours lors des primaires américaines. Néanmoins, les longues campagnes à la présidence ont finalement eu raison d’eux. Peut-être assisterons-nous aujourd’hui au même phénomène. Pendant ce temps, Donald Trump mène la plus grande campagne de relations publiques de sa vie.