Partenariat transpacifique : Triste journée pour la démocratie

2015/10/05 | Par RQIC

Si l’on voulait un portrait instantané de l’état de santé de la démocratie au Canada, la conclusion aujourd’hui du projet de Partenariat transpacifique (PTP) est parlante.

Liant 12 économies bordant l’océan Pacifique, les négociations des cinq derniers jours à Atlanta auront été à l’image des cinq dernières années de pourparlers, enveloppées de secret, menées derrière des portes closes.

« L’entente de principe annoncée aujourd’hui est une vraie gifle au visage de la démocratie », a affirmé Pierre-Yves Serinet, du Réseau québécois sur l’intégration continentale (RQIC), une vaste coalition qui tente de démocratiser les enjeux de commerce depuis 1986 et regroupe les divers secteurs de la société québécoise.

« Non seulement il s’agit d’un accord que personne n’a vu – plus de 75% de la population dit même n’avoir aucune idée que le Canada négociait le PTP selon un récent sondage –, mais les conservateurs de Stephen Harper endossent un traité dans un contexte d’élections fédérales où, par définition, ils n’ont transitoirement aucune légitimité ni autorité morale », dénonce le porte-parole.

Le déficit démocratique est tel qu’il fait fi d’un vote unanime de l’Assemblée nationale du Québec, le 30 septembre dernier, qui sommait Stephen Harper de ne faire aucune concession en matière agricole et de protéger intégralement la gestion de l’offre.

Laissant le soin aux agricultrices et agriculteurs québécois de faire entendre leurs voix, le RQIC tient toutefois à préciser « que les parts de marché accordés aux intérêts étrangers s’ajoutent aux importations prévues dans l’AÉCG avec l’Union européenne, approfondissant d’autant plus le démantèlement d’un système qui assurait un équilibre entre les prix aux consommateurs et un revenu décent pour les producteurs. Sans débat, on passerait donc à un régime agricole subventionné par des compensations, une promesse que Harper pourrait avoir tôt fait d’ignorer puisqu’elle va à l’encontre du laisser-faire qu’il préconise », souligne le coordonnateur du RQIC.

Le PTP appartient à une nouvelle génération d’accords de libre-échange, allant bien au-delà des enjeux de commerce et de tarifs, touchant des domaines névralgiques pour la société, comme le coût des médicaments, l’arrivée d’intérêts étrangers dans le domaine des services publics et des achats gouvernementaux, les sociétés d’État, la culture, l’octroi de « droits » accrus pour les entreprises transnationales.

« Il s’agit ni plus ni moins d’une renégociation déguisée de l’ALÉNA pour l’approfondir, en incluant des secteurs qu’on avait protégé à l’époque, en particulier des grandes entreprises des États-Unis ». 

Le PTP aura pour effet de hausser le prix des médicaments par une prolongation des brevets pharmaceutiques.

« On ne peut prendre au sérieux les conservateurs qui prétendent agir pour le bien des consommateurs d’un côté, et qui annoncent de l’autre un accord de libre-échange qui maintiendra le prix des médicaments élevé plus longtemps avant que des génériques puissent être produits à moindre coût », dénonce M. Serinet.

Faut-il rappeler que le Canada et le Québec paient près de 30% de plus que la moyenne des pays de l’OCDE pour nos médicaments. « Cela va coûter des milliards que devront assumer les provinces. C’est dans le sens d’un accès accru aux médicaments que le PTP devait aller et non pas dans celui de servir l’intérêt étroit des pharmaceutiques ». 

Comme avec l'AÉCG, un élément très inquiétant du PTP est certainement le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE) dont on élargit la portée.

Le RDIE accorde des «droits» démesurés aux entreprises transnationales en leur donnant le pouvoir de contester des politiques d’intérêt public, même adoptées démocratiquement, si celles-ci restreignent leurs ambitions de profits.

« Alors que nous sommes à quelques mois de la Conférence COP21 sur le climat, le PTP vient restreindre la capacité des États de prendre des engagements concrets pour protéger l’environnement, sous peine de voir leurs mesures être attaquées », s’inquiète M. Serinet.

Le cas de Lone Pine Resources est probant. Cette entreprise américaine poursuit le gouvernement canadien pour 250 millions de dollars pour le moratoire imposé par Québec sur l’exploration du gaz de schiste dans le golfe du Saint-Laurent, et ce, en vertu du chapitre 11 de l’ALÉNA, un chapitre qui a son équivalent dans le PTP.

« Il est grand temps de redonner préséance aux droits humains, économiques, sociaux, culturels et environnementaux sur les intérêts du privé», ajoute M. Serinet, rappelant le récent rapport de l’expert de l’ONU, Alfred De Zayas, qui expose l’impact néfaste du libre-échange sur les droits.

Pour briser le profond déficit démocratique entourant les négociations de libre-échange, le RQIC demande aux chefs des partis de s’engager à tenir des consultations publiques larges sur le PTP, ainsi que sur l’AÉCG conclu il y a un an, avant que ne puisse s’enclencher le processus de signature par le pouvoir exécutif fédéral et de ratification par les pouvoirs législatifs fédéral et provinciaux.

« Les divers secteurs de la société doivent être parties prenantes de ce qui affecte leur avenir, et non pas uniquement le monde des affaires comme cela a été le cas jusqu’ici. Pour cela, toutes et tous doivent avoir l’opportunité de faire entendre leurs points de vue, de partager leurs analyses et formuler des recommandations pour éclairer les décisions que les parlementaires seront appelés à prendre en leur nom. », a conclu le porte-parole du RQIC.

Le Réseau québécois sur l’intégration continentale (RQIC) est une large coalition multisectorielle regroupant plus de vingt organisations sociales du Québec, provenant des milieux syndicaux, communautaires et populaires, étudiants, environnementaux, de femmes, de droits humains, et de développement international. Les organisations membres du RQIC représentent plus d’un million de personnes.