Le vote stratégique est de rigueur

2015/10/09 | Par Pierre Dubuc

Rompant avec une longue tradition d’appui au Bloc Québécois, les organisations syndicales recommandent à leurs membres et à la population de voter pour le candidat ayant les meilleures chances de battre le candidat du Parti Conservateur.

Dans certaines circonscriptions, les dirigeants syndicaux préconisent même de voter pour le candidat libéral, quitte à se boucher le nez, s’il est le mieux placé pour battre Harper.

L’approche syndicale est compréhensible. Avec les lois sur la transparence syndicale, le vote obligatoire pour les accréditations syndicales, la définition des services essentiels dans la fonction publique fédérale, le gouvernement Harper mène une guerre ouverte contre les syndicats.

Pas nécessaire d’être devin pour imaginer que la prochaine étape sera l’abolition de la formule Rand pour les syndicats relevant du Code du travail fédéral. Une telle mesure entraînerait l’écroulement, voire la disparition, de nombreux syndicats.

Dans ces conditions, sur la base des résultats de la dernière élection et des premiers sondages, il n’est pas étonnant que les candidats du NPD aient bénéficié d’un préjugé favorable des organisations syndicales.

Cette position a valu aux dirigeants syndicaux une volée de bois vert en provenance de certains milieux souverainistes. Particulièrement, de ces mêmes milieux qui ont mené campagne tambour battant pour l’élection à la tête du Parti Québécois de Pierre Karl Péladeau, le champion des lock-out.

Évidemment, d’un point de vue souverainiste, Thomas Mulcair est l’ennemi juré. Ancien avocat d’Alliance Québec, figure de proue du camp du Non lors du référendum de 1995, Mulcair est à la tête du parti fédéraliste le plus centralisateur.

Pour nombre d’indépendantistes, le choix est simple. La relance du mouvement vers l’indépendance passe par l’élection de candidats bloquistes. Une analyse qui n’est cependant pas partagée par tous. Québec solidaire ne donne son appui à aucun des partis politiques en lice.

L’élection fédérale illustre éloquemment l’éclatement du mouvement souverainiste, mais également la marginalisation du Québec sur l’échiquier politique canadien.

À ceux qui n’en seraient pas convaincus, nous conseillons le nouveau livre de Martine Tremblay, La Rébellion tranquille. Une histoire du Bloc Québécois (1990-2011).

La création du Bloc, au lendemain de l’échec de l’Accord du Lac Meech, s’est produite dans un extraordinaire climat d’effervescence politique. Le Bloc a été l’occasion d’une incroyable coalition politique, dont le spectre allait d’anciens marxistes-léninistes comme Gilles Duceppe et Pierre-Paul Roy – qui deviendra un des principaux conseillers de Lucien Bouchard – à des transfuges libéraux comme Gilles Rocheleau et Jean Lapierre.

Particulièrement passionnante est la description de l’activisme de Jean Lapierre dans la création du Bloc, avec l’appui du Premier ministre Robert Bourassa.

Martine Tremblay explique que l’échec de Meech faisait craindre deux choses à Robert Bourassa.

« La première, c’est que les députés démissionnaires à Ottawa abandonnent aussi leur siège de député. Avec le niveau d’impopularité des conservateurs, au Québec comme au Canada anglais, les comtés ainsi devenus vacants auraient de fortes chances de passer, à court terme, aux mains des libéraux de Jean Chrétien », qui venait d’être élu à la direction du Parti Libéral canadien.

Le rapport de force de Bourassa face à Ottawa serait alors vite réduit à néant. Il fallait donc tout faire pour que les huit indépendants restent députés le plus longtemps possible.

« L’autre danger qui pointe à l’horizon pour le Premier ministre, poursuit Martine Tremblay, c’est que Lucien Bouchard soit tenté de passer de la scène fédérale à la scène québécoise ».

Bourassa se sert de Jean Lapierre. « Il va l’encourager fortement à donner suite à son projet de constituer, autour de Lucien Bouchard, un groupe de députés déterminés à faire entendre la voix du Québec sur la scène fédérale », raconte Martine Tremblay.

Avec l’appui des centrales syndicales, de personnalités du milieu des affaires comme Claude Béland, du Mouvement Desjardins, de politiciens comme Mario Dumont et Jean Allaire, le Bloc récoltera, à l’élection de 1993, 49,3% des suffrages exprimés, fera élire 54 candidats sur 75 et deviendra l’opposition officielle à Ottawa.

Aujourd’hui, on imagine mal Philippe Couillard intervenir sur la scène fédérale en soutien à un parti politique – que ce soit le Bloc ou le NPD – pour « faire entendre la voix du Québec sur la scène fédérale »!

Au contraire, depuis son élection, Couillard multiplie les initiatives pour « faire entendre la voix d’Ottawa sur la scène québécoise ». La dernière en date est la proposition de la Commission Robillard d’éliminer la déclaration d’impôt québécois pour confier à Ottawa la totalité de la perception des impôts au Québec.

À la vielle du référendum de 1995, Lucien Bouchard a déclaré, rapporte Martine Tremblay: « Moi, je suis à Ottawa et je sais ce que pense le Canada anglais. Si on dit non à la souveraineté, on va en manger une maudite ! ».

C’est effectivement ce qui s’est produit. Au plan législatif avec la Loi sur la clarté, au plan diplomatique avec l’offensive de Paul Desmarais auprès de Nicolas Sarkozy et d’autres personnalités politiques françaises pour miner l’appui de la France au mouvement souverainiste, au plan économique avec le démantèlement du Québec Inc., etc., l’offensive fédéraliste a frappé tous les aspects de la société québécoise.

Il était en quelque sorte inévitable que cela se répercute sur la scène politique, comme ce fut le cas avec la déconfiture du Bloc à la faveur de la « vague orange » à l’élection de 2011.

Dans son livre sur Stephen Harper, le journaliste John Ibbitson raconte que Jack Layton s’était laissé convaincre par Stephen Harper qu’il était dans l’intérêt commun des Conservateurs et du NPD de coincer les Libéraux et, par le fait même, de marginaliser le Bloc Québécois.

Ibbitson rappelle que, dès 1989, Stephen Harper avait développé, dans un mémo à Preston Manning, sa pensée sur la façon dont le Québec empêchait la politique canadienne d’évoluer vers un système à deux partis. Autrement dit, Harper et Layton se sont entendus pour que l’axe droite-gauche remplace l’axe souverainiste-fédéraliste. Un message que les médias présentent depuis comme une « évolution positive » et la « normalisation » du système politique canadien.

Nous en sommes rendus là! Devant ce que Jacques Parizeau appelait « un champ de ruines ». Alors, que faire?

À court terme, battre Harper pour, entre autres, préserver la base organisationnelle la plus importante du mouvement social et du mouvement indépendantiste : les organisations syndicales.

En même temps, s’assurer d’une présence souverainiste minimale à Ottawa. Il faut 12 députés pour être reconnu comme parti politique à la Chambre des communes.

Concrètement, cela signifie de voter pour les candidats du Bloc Québécois dans les circonscriptions où ils ont des chances de remporter la victoire. Dans les autres comtés, voter pour le NPD, même si on le fait à reculons.

À moyen terme, comme nous l’avons développé dans le numéro précédent de l’aut’journal, le mouvement ouvrier et les indépendantistes doivent se doter d’un journal numérique de masse pour développer un point de vue indépendant des deux empires néolibéraux Gesca et Québecor sur les différents aspects de la vie sociale, syndicale et politique et organiser le débat qui va nous permettre de sortir de la confusion actuelle.

C’est d’ailleurs dans cette perspective que nous publions dans les pages centrales, à titre de contribution au débat, le compte-rendu d’un livre important de la sociologue Sophie Bessis sur la question de la laïcité.