Négos du secteur public : Le rapport de force et la négociation

2015/10/20 | Par Paul de Bellefeuille

Le rapport de force est l’élément clé pour faire avancer une négociation qui tarde à donner des résultats. La construction d’un rapport de force est donc déterminante dans un processus de renouvellement d’une convention collective. C’est le cas actuellement dans la négociation de l’État-employeur avec ses employés syndiqués. Les conventions collectives des travailleuses et travailleurs de l’État sont expirées depuis le mois de mars 2015.

Le président du Conseil du trésor, Martin Coiteux, a bien appris son texte. Il devait passer l’été à négocier sans relâche. Effectivement, il n’a rien lâché. La négociation est au point mort à peu près partout.

Les syndicats ont donc décidé de passer en deuxième vitesse. La construction du rapport de force implique la mobilisation des travailleurs et travailleuses en soutien aux syndicats négociateurs.

Les employés de l’État ont été rencontrés au cours de l’été et en ce début d’automne. Ils étaient nombreux au rendez-vous dans les assemblées syndicales. Il s’agit là d’une étape importante qui témoigne d’une force qui se met en mouvement.

Le gouvernement a intérêt à en être pleinement conscient et à accorder, conséquemment, à ses mandataires aux tables de négociation l’autorité nécessaire pour faire avancer les négociations.

La manifestation de 150,000 travailleurs et travailleuses de l’État le 3 octobre dernier est aussi l’illustration concrète que la tournée du Front commun auprès de ses membres s’est traduite par une forte mobilisation.

La dernière manifestation de grande envergure avait été celle du Front commun le 20 mars 2010. 75,000 travailleurs et travailleuses du secteur public de tout le Québec s’étaient alors mobilisés dans les rues de Montréal.

Cette manifestation de 2010 avait donné le coup de pouce nécessaire pour faire débloquer la négociation à la table centrale et aux tables sectorielles de négociation.

Le contexte politique actuel démontre encore une fois que les employés de l’État devront passer à l’attaque, et de façon encore plus déterminée, face à un gouvernement qui a fait de l’austérité une vérité quasi biblique.

Les ministres économiques de ce gouvernement ont monté de toutes pièces un scénario catastrophe autour de la dette publique. Ils tentent ainsi de convaincre et même de conditionner l’opinion publique que le gouvernement n’avait pas le choix d’exercer les coupures dans les services publics et dans les conditions de travail de ses employés.

Est-ce que les moyens d’actions classiques (manifestation, grève, occupation de bureaux) seront suffisants pour faire reculer le gouvernement? Est-ce que le mouvement syndical devra réfléchir à de nouveaux moyens d’actions afin d’augmenter son rapport de force?

Et les revenus de l’État?

La récente manifestation dans les bureaux de KPMG à Montréal a attiré l’attention sur les revenus de l’État qui disparaissent dans les paradis fiscaux.

Les services publics ne sont plus ce qu’ils étaient parce que le gouvernement n’a pas le courage politique d’aller chercher les revenus dont l’État a besoin pour donner des services publics de qualité et de justes conditions de travail à ses employés.

Tout à coup, le gouvernement n’est plus la seule cible responsable de la pauvreté de l’État. Selon une récente fiche technique de l’IRÉC, (Institut de recherche en économie contemporaine)* le gouvernement du Québec serait privé de un à deux milliards de revenus d’impôt à cause de l’usage des paradis fiscaux par les personnes et les entreprises qui en usent et en abusent.

La lutte des employés de l’État ne peut donc être dissociée d’une politique fiscale permettant à une société d’avoir les moyens de ses ambitions. Prétendre, comme le fait le gouvernement Couillard, que le Québec s’est donné des services publics trop généreux et qu’il est nécessaire de réduire en conséquence la taille de l’État et les conditions de travail de ses employés n’est pas la solution.

Le gouvernement doit plutôt avoir le courage politique de développer une fiscalité progressive en luttant contre les paradis fiscaux et en révisant le système d’impôt. Même Justin Trudeau l’a compris en déclarant, en campagne électorale, vouloir faire payer aux riches un impôt plus important.

L’exercice du rapport de force des employés de l’État s’attaque à juste titre à la question de la fiscalité et des paradis fiscaux dans cette négociation.

Les deux sujets vont de pair. Les revenus de l’État déterminent la capacité de l’employeur public d’offrir de bonnes conditions de travail à ceux et celles qui prennent soin de nous tous les jours.

Les services publics, ce sont essentiellement trois choses : être bien éduqué, être bien soigné et vivre dans une société en toute sécurité dans tous les aspects de notre vie individuelle et collective. Les employés de l’État méritent mieux qu’un recul important de leurs conditions salariales et de travail.

Toutefois, si le gouvernement ne change pas rapidement d’attitude, tant sur le plan des coupures dans les services publics que dans les négociations avec ses employés, il crée délibérément les conditions objectives d’une grave crise sociale.

 


 

Photo : Syndicat de Champlain