La dispersion du vote indépendantiste

2015/10/27 | Par Paul de Bellefeuille

Le Bloc a réussi, après une excellente campagne électorale, à faire élire dix députés. Mais les adversaires de l’indépendance du Québec y voient tout de même un signe de l’affaiblissement progressif du mouvement indépendantiste compte tenu d’une diminution du pourcentage de votes obtenus. Allons y voir d’un peu plus près avant de sonner le glas de la cause du Québec pays.

Chaque élection se fait dans un contexte social et politique particulier. Et ce contexte porte, en grande partie, les explications du vote obtenu par les différents partis politiques en lice.

La stratégie et le discours des différents partis expliquent aussi les résultats obtenus par les uns et les autres.


 

Stop Harper!

L’objectif général de cette élection consistait à arrêter Harper. Le NPD en a fait son slogan. Thomas Mulcair, lors de ses sorties publiques, était toujours accompagné d’un groupe de militants qui secouaient une petite affiche sur laquelle on pouvait lire Stop Harper. *

Le NPD a voulu tabler sur ce ras-le-bol généralisé pour tenter de prendre le pouvoir. Plusieurs groupes de la société civile avaient lancé le mot d’ordre qui a été suivi, au départ, dans les sondages. Le NPD menait largement la course.

Un nombre important d’indépendantistes progressistes se sont laissés prendre dans ce filet et ont certainement maintenu leur adhésion au NPD jusqu’à la fin de la campagne. Mais il n’est pas interdit de croire que certains d’entre eux ont quitté le navire quand Thomas Mulcair a pris résolument le chemin du centre de l’échiquier politique et promis qu’il ne ferait pas de déficit s’il était élu. Vive l’austérité!

Mal lui en prit. Justin Trudeau et ses conseillers ont rapidement sauté sur l’occasion de combler le vide immense laissé sur la gauche traditionnellement occupée par le NPD. Ils ont saisi cette opportunité de se montrer rempli de compassion en promettant de réaliser des déficits, de modifier les règles du programme d’assurance-emploi, de baisser les impôts de la classe moyenne et d’augmenter ceux des plus fortunés.

Justin Trudeau a compris le message de grandes organisations internationales, comme l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) et l’OMC (Organisation mondiale du commerce) que l’État devait soutenir une économie qui tarde à prendre du mieux. De plus, les politiques d’austérité n’ont pas la cote actuellement au sein d’une grande partie de la population.

Le glissement des votes du NPD vers le PLC s’est donc réalisé lentement mais sûrement tout au long de cette campagne électorale d’une durée inhabituelle.

Il ne faut pas non plus oublier qu’un nombre important de fédéralistes libéraux sont revenus sagement à la maison suite à leur fugue lors de l’élection précédente. Certains partisans des Libéraux ne pouvaient, lors de l’élection de 2011, moralement voter pour le PLC plombé par différents scandales, dont celui des commandites qui étaient encore frais à leur mémoire. Le NPD avait profité de cet état d’esprit qui habitait alors certains partisans des Libéraux avec les résultats que l’on sait.

L’arrivée d’un sauveur auréolé par la pureté de la jeunesse, et précédé par la mémoire d’un père admiré chez les Canadiens, a suffi à faire sauter le verrou de la morale qui pesait sur la conscience de fédéralistes libéraux à cette élection-ci.

Il faut aussi toujours garder à l’esprit que les Québécois souhaitaient se débarrasser de Harper lors de l’élection du 19 octobre 2015. Ils ont alors déserté le navire NPD pour celui du PLC au dernier moment parce que, stratégiquement, c’était la bonne décision à prendre. Certains candidats vedettes du NPD, comme Alexandre Boulerice ou Hélène Laverdière, ont été réélus mais le vote du NPD, en général, s’est effondré au profit du PLC. D’ailleurs Maria Mourani, transfuge bloquiste, fut défaite dans sa circonscription par la Libérale Mélanie Joly.

Il est probable qu’une partie des électeurs indépendantistes, soucieux de se débarrasser stratégiquement de Harper, aient accordé leur vote au PLC parce qu’il constituait une alternative progressiste au gouvernement Harper et parce que le NPD n’incarnait plus cette idée de justice sociale comme autrefois.

Ce qui ne signifie nullement que ces indépendantistes aient abandonné l’idée de faire du Québec un pays. Un pourcentage non négligeable de la population du Québec continue de soutenir un parti indépendantiste au parlement du Canada. Le vote de certains indépendantistes, accordé au NPD et au PLC, ne signifie nullement l’affaiblissement de la cause indépendantiste dans le cœur des Québécois.

Le vote accordé au PLC et au NPD est conjoncturel. Il n’est en rien structurel comme veut le laisser croire Justin Trudeau en déclarant que le Québec a réintégré le Canada. Il est tout au plus l’illustration de la dispersion du vote indépendantiste au Fédéral. D’ailleurs, ce phénomène s’observe aussi au Québec à l’intérieur même du mouvement indépendantiste.

On ne peut donc en conclure que la cause indépendantiste soit en train de se liquéfier. Le vote indépendantiste s’est dispersé, ce qui traduit une grande capacité d’adaptation du peuple québécois à la conjoncture politique. Toutefois, cela ne signifie nullement que les indépendantistes ont perdu de vue le grand objectif de se donner un pays. À bon entendeur…
 

Paul de Bellefeuille

  • Pour la petite histoire, cette affiche avait été inspirée par cette jeune page qui avait soulevé une pancarte rouge au centre du Parlement canadien en juin 2011 lors du premier discours du trône et sur laquelle on pouvait y lire Stop Harper!