De l’État révolutionnaire à l’État Bombardier

2015/11/04 | Par Paul de Bellefeuille

Nous savons que le Parti libéral de Philippe Couillard n’est pas un partisan
de l’intervention de l’État dans l’économie. Nous savons aussi que les services
publics ne sont pas pour lui d’un grand intérêt. Son grand projet est de les
faire passer par le tamis de l’austérité et, idéalement, de les privatiser. Il
est en cela un digne successeur de Jean Charest qui pratiquait allègrement la
réingénierie de l’État.

La surprise est donc de taille quand on voit le PLQ accourir au chevet du
patient Bombardier afin de lui inoculer une transfusion salutaire de capitaux
pour sauver son bébé, l’avion Cseries.

D’un autre côté, cette intervention en urgence illustre concrètement le type
d’État souhaité par le gouvernement Couillard et de ses ministres-banquiers. Les
mots qui reviennent le plus souvent dans la bouche des ministres économiques
sont l’État partenaire ou encore l’État accompagnateur. Toutefois, dans le
dossier du Cseries de Bombardier, le terme le plus juste est certainement celui
d’État investisseur.

Le Parti libéral du Québec a de la suite dans les idées. On se rappellera
l’époque de l’État Provigo du ministre Paul Gobeil lors du retour de Robert
Bourassa au pouvoir en 1985. L’État providence, ou l’État social, avait fait son
temps. Il fallait l’abolir. Il fallait s’inspirer des pratiques du secteur privé
de l’économie pour gérer l’État. L’État n’était plus l’instrument de la mise en
application de politiques publiques. L’État devait être plus efficace. Il
fallait passer le bistouri dans les programmes gouvernementaux et rendre l’État
plus performant.

Ces termes sont plus que jamais d’actualité avec le ministre Martin Coiteux
au Conseil du trésor, comme autrefois, le ministre Paul Gobeil lui aussi au
Conseil du trésor. Ce qui est donc valorisé n’a rien à voir avec les valeurs
citoyennes de l’État social mais tout à voir avec un État aminci. L’État étant,
pour nos amis néolibéraux, obèse par définition. Cela était le cas sous le parti
Libéral de Robert Bourassa et c’est toujours le cas sous le parti Libéral de
Philippe Couillard.



De l’État révolutionnaire à l’État investisseur

Nous sommes définitivement à des années lumières de l’État maître chez nous
de la période de la Révolution tranquille. L’équipe du tonnerre de Jean Lesage
avait compris le rôle important de l’État pour le Québec. L’État était alors vu
comme un levier pour doter le Québec d’instruments politiques, culturels et
économiques dans le but de rattraper le retard du Québec sur le monde.

Ainsi furent créés la Caisse de dépôt et de placement, la Régie des rentes du
Québec, Hydro-Québec, le ministère de l’Éducation, le ministère des Affaires
culturelles, une fonction publique professionnelle, etc. Des hommes comme René
Lévesque, Jean Lesage, Paul Gérin-Lajoie, Georges-Émile Lapalme, dont on ne
parle pas assez, dessinaient l’État social.

Aujourd’hui, nous assistons à une véritable contre-révolution sous la
direction de Philippe Couillard, Martin Coiteux, Carlos Leitao et Jacques
Daoust. Nous passons d’un État entrepreneur à un État investisseur.

La création d’un partenariat public-privé au sein de la compagnie Bombardier
exprime la gêne, et le mot est faible, d’un gouvernement qui craint comme la
peste d’être un leader économique interventionniste. Le gouvernement Couillard
ne sera qu’un partenaire minoritaire au sein d’un segment particulier de la
compagnie Bombardier.

Le gouvernement et Bombardier ont créé une niche particulière pour le
programme Cseries. Le gouvernement n’a même pas obtenu, en échange d’un
investissement d’un milliard trois cent millions de deniers publics (un milliard
américain), une place au sein du conseil d’administration de Bombardier.

Le gouvernement, donc vous et moi, prend tous les risques en investissant un
milliard américain, et ce sans droit de regard sur les grandes orientations de
cette compagnie qui n’a de privé que le nom tellement elle bénéficie
continuellement du soutien de l’État.

D’ailleurs, comme il s’agit d’un investissement public, nous, les citoyens,
serions en droit de connaître le texte de l’entente entre le gouvernement et
Bombardier. Les médias nous ont informés sommairement de certaines conditions
liées à la création de ce nouveau partenariat public-privé. Toutefois, nous
n’avons pas vu le texte en entier. Il me semble qu’un gouvernement qui se targue
d’être transparent pourrait passer de la parole aux actes dans ce cas-ci.

L’État se résume donc à n’être qu’un investisseur sans droit de regard. De
plus, l’État-investisseur a une participation minoritaire dans Bombardier et
dans la division de son canard le plus boiteux. Et ce, dans un contexte où un
nouveau concurrent se pointe le bout du nez, la Chine, dans le même secteur
aéronautique que le Cseries avec un avion, le C919. Le carnet de
commande pour cet avion chinois serait déjà de 517 appareils uniquement sur le
territoire chinois.*

Je suis loin d’être convaincu, comme citoyen, d’avoir fait une bonne affaire
en investissant dans le segment Cseries de Bombardier. D’ailleurs, la Caisse de
dépôt et de placement du Québec n’y trempe que le bout des doigts. Ses
investissements dans Bombardier ne sont pas très élevés. Cela doit bien vouloir
dire quelque chose.

Bref, nous sommes devant un bel exemple de la privatisation des profits pour
Bombardier et de la socialisation des risques pour les citoyens contribuables.
J’ai jamais voté pour ça !