Yannis Varoufakis soutient la liberté d’information

2015/11/06 | Par Marie-Laure Coulmin Koutsaftis

Entretien réalisé par Marie-Laure Coulmin Koutsaftis

Cet article est paru dans le Quotidien l’Humanité du mercredi 4 novembre 2015

L’ancien ministre des Finances grec soutient la campagne du site « The Presse Project.gr » pour créer en Grèce une presse d’information indépendante. À l’occasion de notre entretien, il tire le bilan des mois derniers.

 

Vous faites partie du nouveau Mouvement 1101 (voir ci-dessous ). Pourquoi?

Yanis Varoufakis : Ce n’est pas le mouvement que j’annonce depuis des mois, mais j’ai décidé de soutenir une équipe de journalistes indépendants dans leur tentative de créer un site indépendant d’informations sur Internet, qui existe déjà sous forme gratuite, « ThePressProject.gr  http://www.thepressproject.gr/en/ ». Il faut les aider financièrement en s’abonnant.

 

Pourquoi est-il si important pour vous de soutenir les médias indépendants?

Yanis Varoufakis : Le processus électoral est nécessaire mais pas suffisant pour établir la démocratie. Il peut être détourné par ceux qui manipulent l’opinion publique et se livrent au lavage de cerveau, en terrorisant les gens, à travers de la propagande et des mensonges, grâce aux médias qui servent l’oligarchie ou lui appartiennent.

Pour que la démocratie soit vivante, il faut que l’information soit libre et directement accessible aux citoyens, sans qu’elle soit relue à travers le prisme déformant de ceux qui veulent usurper la démocratie pour leurs intérêts immédiats. Et c’est pourquoi je m’intéresse aussi à WikiLeaks. Je travaille avec Julian Assange dans cette direction.

 

En France, certains considèrent que vous avez trahi Alexis Tsipras au pire moment.

Yanis Varoufakis : Je n’ai pas abandonné Tsipras. Au contraire, j’aurais voulu rester au gouvernement et continuer à l’aider. Mais depuis le début, nous nous étions promis de ne rien signer qui ne soit viable. Le peuple grec nous avait confié un mandat, en tant que gouvernement souverain, pour dire non à cet accord, qui venait d’être reconfirmé par un 62 % au référendum.

Je ne voulais pas soudain transformer ce «non»-là en un «oui», le lendemain même des résultats. Donc j’ai démissionné, pour rester cohérent avec mes engagements publics, mon idéologie et ce que j’avais promis à mes électeurs.

Parce que lors du référendum, le peuple grec nous a dit : «Obtenez un accord honorable à l’intérieur de l’euro, mais s’ils vous menacent de toutes sortes de choses, ne vous rendez pas.» La trahison était de se rendre.

 

Était-ce une erreur de laisser les anciens cadres en place dans les ministères?

Yanis Varoufakis :  Non.

 

Mais le gouvernement avait-il vraiment le contrôle du pouvoir au sein des ministères?

Yanis Varoufakis :  Le problème n’était pas tant les cadres de l’administration que les grands commis non élus, que nous n’avions pas nommés. Ils nous ont opposé beaucoup de résistance, dans le privé comme dans le public, par exemple, les grands banquiers privés de Piraios et d’autres banques commerciales.

L’État grec a déjà recapitalisé ces banques avec 40 milliards, empruntés auprès des contribuables européens, alors que nous étions en faillite. Pourtant, la Troïka empêche l’État de congédier ces banquiers, même s’il a la majorité des parts dans les banques. Le «printemps d’Athènes» a montré que les banques centrales nationales n’opèrent pas dans l’intérêt des États-nations.

C’est un problème pour tous les pays européens, parce que dans l’Eurosystème toutes les banques centrales nationales dépendent de la Banque centrale européenne (BCE). Or une banque centrale doit être là pour aider le gouvernement même si elle garde son indépendance. Même s’il est important de sauver les banques, recapitaliser sans s’occuper des prêts toxiques non remboursés mènera à la même impasse qu’en 2013. Et les créanciers commettront à nouveau la même erreur.

 

Dans une Europe dominée par les banques, comment démocratiser l’Europe?

Yanis Varoufakis : Dans la crise de l’euro, les États et les banques sont en faillite et se renflouent les uns les autres, au détriment des contribuables et des services publics. Donc, il faut briser ce cercle vicieux.

Il faudrait créer une juridiction purgatoire spéciale au sein de l’eurozone, dans laquelle la BCE nommerait à la tête des banques en faillite un nouveau directoire, provenant d’un pays tiers, qui aurait pour mission de les nettoyer et de les remettre à flot en douze mois.

On recapitaliserait ces banques directement, avec de l’argent venant du mécanisme européen de stabilité (MES), et ensuite on les revendrait pour que le MES récupère son argent. Ça contribuerait à la démocratisation parce que les contribuables de Grèce ou de France ne paieraient plus pour les banques, qui génèrent sans fin un trou noir.

En même temps, on empêcherait les mêmes banquiers de commettre toujours les mêmes erreurs, éternellement refinancées par les États. Et les banquiers ne pourraient plus financer les médias supportant les politiciens qui les soutiennent, au détriment de la démocratie.

 

Que pensez-vous de l’attitude de l’Union européenne dans la crise des réfugiés?

Yanis Varoufakis : Les institutions de l’Union européenne abandonnent aux États nationaux la solution des problèmes européens les plus courants, car elles sont incapables de les traiter de manière coordonnée. C’est ce que la débâcle lamentable de la crise des réfugiés révèle sur la crise de l’Eurozone. Et tout le monde essaie de repousser le problème dans la cour des autres.

À mon sens, seule Mme Merkel essaie de faire quelque chose, même si on la soupçonne d’un calcul cynique, pour améliorer l’image de l’Allemagne ou sa démographie, parce que l’économie allemande a besoin de travailleurs plus jeunes, etc., je continue à la féliciter.

Pour une presse libérée.  Soutenue par Yanis Varoufakis, la campagne «1101» a été lancée par le site d’information « Thepressproject.gr »  http://www.thepressproject.gr/en/  en réaction à la propagande médiatique du Oui pendant le référendum grec. C’est un appel aux abonnements citoyens pour permettre à ce site de produire une information indépendante, cruciale dans un pays où les médias sont contrôlés par les banques et les grandes entreprises proches de l’oligarchie politique et financière. À terme, Thepressproject.gr veut créer un code de déontologie, un institut pour le journalisme d’investigation et aider Wikileaks.