Tout ça pour ça!

2015/11/13 | Par IREC

L’analyse nous conduit à remettre en question les ambitions véritables du gouvernement et l’efficacité du Plan d’action sur l’électrification des transports à répondre aux objectifs de la lutte aux changements climatiques et de la réduction de la dépendance énergétique. Le Québec méritait mieux; l’urgence d’agir exigeait plus.

Après plusieurs mois d’attente, le gouvernement Couillard vient de lancer son Plan d’action sur l’électrification des transports (PAÉT) 2015-2020. Il n’impressionne guère, ni par la profondeur de l’analyse ni par l’ambition. Son horizon est trop court, il reste prisonnier d’une approche sectorielle limitée et les moyens qu’il mobilise sont insuffisants.

Dans cette note d’intervention, nous allons réagir aux grandes lignes de ce plan d’action en nous appuyant sur le récent rapport que nous avons produit sur le financement de la transition dans les transports. Une véritable stratégie de transition dans les transports ne peut pas reposer sur une approche en silo et sur des mesures partielles de court terme, comme le fait le PAÉT 2015-2020. Le document gouvernemental reste superficiel : le propos n’est pas appuyé sur une solide documentation et il n’est pas vraiment en phase avec le Plan d’action sur les changements climatiques (PACC) 2012-2020. Derrière les formules creuses, l’ambition manque et les moyens sont inadéquats.

 

Un horizon trop court, une vision trop étroite

Contrairement au Plan d’action sur les véhicules électriques (PAVÉ) du gouvernement Charest, qui portait sur un horizon d’une dizaine d’années, le nouveau plan se limite à 5 ans, soit à peine plus long qu’un mandat électoral normal. Pourtant, dans ce domaine hautement stratégique pour l’avenir du Québec, dans un contexte mondial de transition vers une économie à faible intensité carbone, une stratégie québécoise d’électrification des transports devrait obligatoirement viser des objectifs à court, moyen et long termes en se donnant des cibles sur des horizons de 5, 10 et 15 ans (2020 – 2025 – 2030).

D’un point de vue financier, l’effort fourni par le nouveau plan d’action apparaît bien faible. Alors que la Stratégie d’électrification des transports 2013-2017 du gouvernement Marois proposait un budget de 516 millions $ sur 4 ans (130 M$/an), le PAÉT 2015-2020 s’élève à seulement 420 millions $ sur 5 ans, soit un maigre 85 M$/an. Cette baisse de 35 % s’accorde mal avec la volonté déclarée, surtout pour une politique si importante.

Le montant de 93 millions $ alloué au programme Roulez électrique – aide financière aux véhicules électriques et hybrides rechargeables – est difficilement compatible avec l’objectif de 100 000 VE sur la route en 2020. Nos calculs indiquent que le montant prévu à ce volet serait dépensé en 2016 et 2017, pas au-delà. Selon une étude de SECOR-KPMG, les estimations de vente de VE pour l’ensemble du marché canadien sont de 100 000 pour 2020, dont 40 % seraient au Québec. Pourquoi alors viser une cible plus basse que le « cours normal des affaires »?

 

Changements climatiques : une goutte dans un verre d’eau

Le manque d’ambition du PAÉT 2015-2020 est encore plus flagrant en ce qui a trait à la lutte aux changements climatiques. La cible de réduction des émissions annuelles de gaz à effet de serre (GES) produites par les transports qui est proposée dans ce plan est totalement insignifiante. Les quelques chiffres suivants en font la preuve :

  • la cible de réduction de 150 000 tonnes de GES ne représente qu’un demi de 1 % des 27,3 Mt de CO2 émises par le transport terrestre en 2012;

  • il faut rappeler que la cible de réduction du Plan d’action sur les changements climatiques à l’horizon 2020 est de -20 % sous le niveau de 1990, c’est-à-dire une baisse de 10,2 Mt de CO2 (p/r au niveau atteint en 2012);

  • or, si la cible de 2012 (-6 % sous le niveau de 1990) a été atteinte, et même dépassée, malgré la poursuite de la hausse des émissions dans le secteur du transport, celle de 2020 (à 12 points de % supplémentaires, elle représente le double de l’effort) ne peut l’être qu’en effectuant une réduction substantielle des émissions du transport terrestre.

Pour atteindre la cible de 2020, ce sera maintenant au secteur des transports de contribuer à l’effort commun, au minimum à hauteur de sa contribution aux émissions. Puisque le secteur du transport représente 44,7 % des émissions (en 2012), sa contribution devrait représenter une baisse de 4,5 Mt de CO2. La cible du PAÉT (0,15 Mt de CO2) ne représente donc qu’un maigre 3,3 % de cette contribution. Ce qui est nettement insuffisant, c’est le moins qu’on puisse dire.

Pour donner l’impression que les impacts du PAÉT sont quantitativement très importants, le document gouvernemental change de registre de référence en mentionnant qu’il permettra de réduire de 66 millions le nombre de litres de carburant consommés annuellement au Québec. Or, une baisse de 66 millions litres par rapport aux 11 milliards de litres (essence et diesel) consommés en 2013 ne représente que 0,6 % des carburants consommés dans le secteur du transport terrestre. Par ailleurs, nos estimations nous amènent à conclure que si rien n’est fait pour réellement changer les tendances actuelles, la consommation d’essence devrait continuer de croître de façon importante. Autrement dit, plutôt que contribuer à la cible de réduction des émissions du PACC 2012-2020, le Plan d’action sur l’électrification du transport ne parviendrait dans les faits qu’à légèrement ralentir l’augmentation des GES émis par le transport terrestre au Québec, faisant passer cette dernière de 1,9 à 1,75 Mt de CO2 d’ici 2020.

 

Développer la filière industrielle : des vœux pieux

En matière de développement industriel associé à l’électrification des transports, les cibles du gouvernement nous apparaissent tout à fait questionnables. On a beau insister sur le « savoir-faire reconnu mondialement dans la production, le transport de l’électricité et le développement de technologies connexes (motorisation, batteries, TIC) » ainsi que sur « la disponibilité de matières premières rares utilisées dans la fabrication des batteries (lithium, graphite, cobalt, etc.) », la réalité est bien loin du compte. L’actualité récente nous montre que, sous les gouvernements libéraux, le savoir-faire québécois a été la plupart du temps abandonné aux forces du marché sans trop d’égard pour l’intérêt national. Le cas de la coentreprise formée de TM4 et de Prestolite Electric Beijing Limited (PEBL) dont l’usine a été installée en Chine et celui du transfert de technologie des batteries à base de lithium-fer-phosphate (LFP) développés par l’IREQ vers la région Aquitaine en France nous font nous interroger sur la véritable stratégie du gouvernement : veut-on monnayer au plus offrant les innovations d’HQ de manière à maximiser ses rendements et les revenus du gouvernement?