Non à l’engrenage de la guerre

2015/11/19 | Par Pierre Dubuc

Après l’horreur des attentats à Paris, il était prévisible que des hommes politiques, des éditorialistes, des chroniqueurs et des caricaturistes de nos grands médias adoptent une posture guerrière de circonstances.

Ils sont nombreux à inciter le gouvernement Trudeau à se montrer « solidaires de nos alliés de l’OTAN », à renier sa promesse de retirer les CF-18 du théâtre des opérations et à participer allègrement aux bombardements en Syrie.

Des bombardements dont la principale conséquence est d’alimenter le flux de réfugiés qui est en train de provoquer l’éclatement de l’Union européenne.

Des bombardements dont le général en chef de l’armée américaine Martin Dempsey a souligné l’inefficacité, sans la présence de « bottes au sol ».

L’échec de l’intervention aérienne en Libye, tout comme les échecs probants de l’envoi de troupes en Afghanistan et en Irak devraient pourtant pousser à la réflexion. Plutôt que d’éradiquer le terrorisme et son idéologie, l’islamisme radical, ces interventions l’ont nourri.

Selon une maxime bien connue, la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. Pour déterminer le caractère d’une guerre, son caractère juste ou injuste, il faut analyser la politique qui a conduit à la guerre.

Dans tous les conflits d’importance survenus depuis la Seconde Guerre mondiale, les va-t’en-guerre ont étiqueté l’ennemi de « fasciste » afin de justifier une coalition des Grandes Puissances pour lui faire la guerre. Ceux qui s’y sont opposés ont systématiquement été taxés de « munichois », en référence à la politique d’« apaisement » envers le Troisième Reich défendue à Munich par le premier ministre Neville Chamberlain en 1938.

La Seconde Guerre mondiale était une guerre juste des démocraties occidentales contre les puissances de l’Axe fasciste (Allemagne, Italie, Japon), dont l’objectif était d’imposer à l’échelle du monde une dictature terroriste des éléments les plus réactionnaires du capital financier.

Mais, aujourd’hui, le groupe armé État islamique, tout comme auparavant Al-Qaïda, les talibans et Saddam Hussein, n’a ni le potentiel économique ni la puissance militaire pour imposer son idéologie barbare sur l’ensemble de la planète.

En fait, la situation actuelle ressemble beaucoup plus à celle qui prévalait à la veille de la Première Guerre mondiale. L’enjeu était le repartage du monde entre les Grandes Puissances impérialistes et la guerre était une guerre injuste. Elle a éclaté dans les Balkans où les conflits interethniques étaient aussi inextricables qu’ils le sont aujourd’hui au Moyen-Orient.

Violence extrême, terrorisme, affrontements sanglants entre musulmans et chrétiens, écheveau compliqué d’alliances et de contre-alliances étaient la norme comme le rappelle Mme Margaret MacMillan dans le chapitre consacré aux Balkans dans son livre The War that ended Peace. The Road to 1914 (Penguin Random House).

À l’époque, les Grandes Puissances s’étaient fermement opposées à toute modification de frontières dans les Balkans, résultant de la guerre que s’y livraient les différents pays. Mais, rapporte Mme MacMillan, un diplomate français à St-Pétersbourg avait une vision plus réaliste des choses. Il déclarait : « Pour la première fois de l’histoire de la question orientale, de petits pays ont acquis une telle indépendance à l’égard des Grandes Puissances qu’ils ont l’impression de pouvoir agir complètement sans eux et même de les contrôler ».

Un sentiment semblable semble se dégager aujourd’hui avec la Turquie, l’Arabie saoudite, le Qatar, trois pays officiellement membres de la Coalition contre l’État islamique. L’Arabie saoudite et le Qatar l’ont financé et armé. La Turquie, qui est membre de l’OTAN, laisse transiter par son territoire les armes, les combattants et le pétrole de l’EI, et bombarde les Kurdes qui l’affrontent.

Mais, comme autrefois les pays des Balkans, il s’avèrera qu’ils ne sont que des joueurs secondaires dans la lutte pour le nouveau partage du monde – et plus particulièrement des riches champs pétroliers de la région – qui met aux prises les États-Unis, l’Europe, la Russie et la Chine.

La situation actuelle est particulièrement complexe avec d’étonnants renversements d’alliances. Le dernier en date étant la décision de la France de se rallier à la position de la Russie et de ne plus exiger le départ de Bachar al-Assad.

Dans cette guerre, les groupes terroristes sont aujourd’hui instrumentalisés par les puissances régionales et les Grandes Puissances en fonction de leurs intérêts et des conjonctures.

Dans ce contexte, la défense des valeurs universelles par les Grandes Puissances serait plus crédible si elle ne s’accompagnait pas de juteux contrats de ventes d’armes aux protagonistes. Le Canada, par exemple, a conclu en 2014 un accord avec l’Arabie saoudite pour la vente de véhicules blindés légers d’une valeur de 15 milliards $.

Il faut s’opposer dès maintenant à l’engrenage de la guerre qui va conduire inexorablement à mettre des « bottes au sol » et pourrait bien dégénérer en conflit mondial.

Combattre efficacement l’EI serait de demander l’annulation du contrat de vente d’armements et rompre les relations diplomatiques avec l’Arabie saoudite, ce pays qui est responsable, historiquement, de la diffusion à l’échelle mondiale du wahhabisme, cette version de l’islam qui a donné naissance à Al-Qaïda et au groupe armé État islamique.

Combattre efficacement l’EI serait de forcer la Turquie à fermer sa frontière avec la Syrie pour empêcher le trafic d’armes, l’entrée des recrues islamistes et la sortie du pétrole produit par l’EI.

Combattre efficacement l’EI et son idéologie serait de diffuser et défendre véritablement les valeurs universelles héritées du Siècle des Lumières, la liberté, l’égalité, la justice, la fraternité, mais avant tout la laïcité.

« Pas la laïcité positive, pas la laïcité inclusive, pas la laïcité-je-ne-sais-quoi, la laïcité point final, comme l’écrivait Charlie Hebdo, dans l’éditorial du numéro spécial produit après l’attentat dont il a été victime. Elle seule permet, parce qu’elle prône l’universalisme des droits, l’exercice de l’égalité, de la liberté, de la fraternité, de la sororité. Elle seule permet la pleine liberté de conscience. Elle seule permet, ironiquement, aux croyants, et aux autres, de vivre en paix ».

Nous ne croyons pas, à l’aut’journal, que ce débat sur la laïcité soit une simple « distraction », comme la direction du NPD a qualifié le débat sur le voile – et, conséquemment, sur la laïcité – lors de la dernière campagne électorale. Une « distraction » qui, selon les sondages, est en grande partie responsable de sa déconfiture au Québec.

Aujourd’hui, la « distraction » nous revient avec les attentats de Paris et le débat entourant l’accueil de 25 000 réfugiés syriens.

La droite et l’extrême droite en Europe – mais également aux États-Unis, au Canada et au Québec – fait ses choux gras de la question religieuse et identitaire, tandis que la gauche cherche à éviter la question, n’y voyant toujours qu’une « distraction ».

Si elle persiste dans cette position, la gauche québécoise est condamnée à la marginalisation, comme le démontre éloquemment l’exemple de la gauche européenne, incapable de proposer une alternative crédible pour contrer la montée de l’extrême-droite.

Les progressistes indépendantistes ne peuvent faire l’économie d’un véritable débat sur la laïcité. Leur unité future, essentielle à notre lutte de libération nationale et d’émancipation sociale, en dépend.

Pour relancer le débat sur la base, d’une part, des principes qui ont guidé historiquement les progressistes et, d’autre part, d’une analyse de l’émergence du fondamentalisme religieux dans le contexte de la mondialisation, l’aut’journal publie un carnet, La laïcité demeure l'enjeu majeur, qui comprend une réédition d’articles parus dans ses pages au cours des dernières années.

Pour se procurer ce carnet de 37 pages au coût de 6 $ (taxes et frais postaux inclus), cliquez ici.