Raccourcis commodes et désinformation

2015/12/08 | Par Louis Duclos

L’auteur est ex-député fédéral de Montmorency-Orléans

Le texte du ministre Jean-Marc Fournier intitulé « Être Québécois, notre façon d’être Canadiens » paru dans l’édition du Devoir du 5 novembre dernier comporte un certain nombre de raccourcis commodes, quand il ne s’agit pas carrément de désinformation, dont quelques-uns méritent d’être mis en lumière.

Ainsi, le ministre décrit en ces mots les progrès accomplis par le français au Québec depuis la Révolution tranquille, et ce, avec un triomphalisme mal contenu: « Les immigrants ont intégré les écoles françaises, puis les commerces se sont affichés en français. Les jeunes anglophones de moins de trente ans sont bilingues. Le français a pris sa place. Nos compatriotes l’ont reconnu; nous devrions les saluer ».

Voilà des propos étonnants de la part d’un élu dont la formation politique à laquelle il appartient, en l’occurrence le Parti libéral du Québec (PLQ), a combattu avec férocité l’adoption de la loi 101 en s’alliant aux éléments les plus fanatiques de la communauté anglophone, certains d’entre eux ayant même eu l’effronterie de qualifier de nazi le père de la Charte de la langue française, le regretté Camille Laurin.

Or, sans la loi 101, le Québec serait aujourd’hui au plan linguistique à mille lieues de ce que décrit avec tant d’enthousiasme le ministre Fournier.

Il faut être joliment culoté pour passer sous silence le rôle de la loi 101 dans les avancées de la langue française dont ce dernier semble si fier.

Cela étant dit, il est évident que le ministre ne semble pas comprendre ou fait semblant de ne pas comprendre que rien n’est acquis définitivement quant à la place du français chez nous.

En fait, la situation actuelle du français au Québec, qu’il perçoit à travers le prisme de ses lunettes roses, n’est pas aussi reluisante qu’il le proclame, et ce, en dépit des effets salutaires de la loi 101.

D’ailleurs, le Conseil supérieur de la langue française et des démographes réputés estiment même que notre langue est en déclin au Québec, particulièrement dans la région de Montréal.

Quant à la bienveillance que manifesteraient les anglophones à l’égard du français dont Jean-Marc Fournier fait état, il s’agit là d’une affirmation plutôt osée. À ce sujet, il suffit de se rappeler la virulence avec laquelle The Gazette avait accueilli la réforme bien timide de la loi 101 qu’avait proposée le gouvernement du Parti Québécois en 2013, réforme qui visait surtout à renforcer la place du français dans le monde du travail.

Il faut aussi se rappeler que le PLQ se fit alors l’écho à l’Assemblée nationale de cette hostilité de The Gazette à une plus grande utilisation du français comme langue de travail dans les P.M.E. Bref, ces propos du ministre Fournier ne tiennent pas plus la route que ceux relatifs à la santé du fait français en Ontario où, malgré le combat historique mené par les élites franco-ontariennes, plus de 40% des citoyens dont le français est la langue maternelle sont incapables de fonctionner dans cette langue dans leur vie de tous les jours. Et ce taux d’assimilation est encore plus élevé ailleurs au Canada anglais, sauf en Acadie.

Par ailleurs, le ministre Fournier, à l’instar de Philippe Couillard et de certains soi-disant experts de la politique québécoise, y va d’une explication plutôt boiteuse quant à la signification des résultats du dernier scrutin fédéral pour l’avenir du mouvement souverainiste. Il écrit en effet: « Notre jeunesse repense notre avenir collectif. Les dernières élections fédérales l’ont démontré ».

Quel manque de rigueur dans l’analyse du comportement de l’électorat québécois le 19 octobre dernier !

Il tombe pourtant sous le sens que les Québécois avaient alors comme principal objectif de montrer la porte au premier ministre Harper. C’est pourquoi, ils ont d’abord flirté avec le NPD tant que ce parti semblait le plus susceptible de renverser les Conservateurs. Toutefois, quand il est ensuite apparu dans les sondages que les libéraux de Justin Trudeau étaient en position de mettre fin au règne de Stephen Harper, ils se sont par nécessité ralliés à ceux-ci.

Bref, ce fut une consultation populaire ayant eu peu à voir avec l’appui des Québécois au projet d’indépendance nationale.

Le ministre Fournier devrait savoir qu’il est pour le moins prématuré de publier l’avis de décès du mouvement souverainiste.

En effet, à la lumière des résultats de tous les sondages effectués par les firmes CROP et Léger Marketing depuis le début de 2015, il apparait que les partis souverainistes (PQ, QS, ON) récoltent en moyenne des appuis s’élevant à 43 %, appuis qui dépassent légèrement les 50 % chez les francophones.

D’ailleurs, ces appuis au mouvement souverainiste sont confirmés par le plus récent sondage de Léger Marketing réalisé à la mi-novembre. Or, il ne faut pas oublier qu’en 1976, le Parti Québécois avait pris le pouvoir avec seulement 41% du vote populaire.

D’autre part, si on analyse les résultats des élections partielles tenues dans quatre circonscriptions électorales, dont trois châteaux forts libéraux, le 9 novembre dernier, on constate que les partis souverainistes ont obtenu en moyenne 38% des suffrages exprimés comparativement à 33% aux élections générales d’avril 2014.

Toutes ces données démontrent clairement que les forces souverainistes sont loin d’être en déroute, ce qui devrait inciter le ministre Fournier à ne plus prendre ses rêves pour la réalité.

 

Ste-Pétronille de l’ile d’Orléans