Déshabiller Jean pour mieux vêtir John

2016/01/11 | Par Éric Bouchard

L’auteur est directeur général du Mouvement Québec français

Depuis le rapport Chambers de 1992 sur le réseau scolaire anglophone, les représentants des groupes de pression anglophones ne cessent d’intervenir dans les médias pour nous expliquer la décroissance de leurs effectifs et la mort imminente de leurs institutions.

Dernièrement, le maire de Montréal, Denis Coderre, la ministre de l’Immigration, Kathleen Weil, et Susan Stein, présidente de la Commission scolaire Lester B. Pearson, voulaient une dérogation à la loi 101 pour que les jeunes réfugiés syriens aillent à l’école anglaise, et ce, sans aucune justification valable.

Comme disent les Anglais, « The squeaky wheel gets the grease ». Plusieurs représentants de la majorité canadienne-anglaise sont revenus à la charge pour nous dire que Pierre Curzi, anciennement du PQ, et la coalition contre les écoles passerelles avaient crié au loup en 2010 à la suite des mesures annoncées par le PLQ pour fermer la brèche qui aurait fait fuir des effectifs vers le réseau scolaire anglais. Les groupes anglophones en ont profité pour nous redire jusqu’à quel point leur réseau institutionnel en éducation était mal en point en 2016. Qu’en est-il vraiment ?

Au Québec, il y a 8 % de gens dont la langue maternelle est l’anglais et 11 % de tous les élèves du primaire et du secondaire étudient dans une institution anglophone. Au collégial, 16 % des étudiants fréquentent un cégep anglophone, soit le double du poids démographique des anglophones. Chez ceux qui font des études préuniversitaires, 23 % le font dans des collèges anglophones, soit près du triple du poids relatif des anglophones. À l’université, le quart des étudiants font leurs études supérieures dans une institution anglophone et 29 % de tout le financement va à McGill, Concordia et Bishop’s.

Plus le niveau d’éducation est important, plus les effectifs des institutions anglophones sont, de façon relative, beaucoup plus importants que les effectifs des institutions francophones. Ceci a un impact direct sur la langue de travail, puisque 50 % des francophones et 75 % des allophones qui font leurs études supérieures en anglais vont faire usage de cette langue toute leur vie au travail.

Si les effectifs des institutions universitaires anglophones étaient de 11 % comme au primaire-secondaire, c’est plus d’un milliard par année qui irait aux institutions universitaires francophones. Avec ce milliard supplémentaire annuel investi, nous aurions, au bas mot, deux des trois meilleures universités francophones de la planète, ce qui nous permettrait d’avoir un avantage comparatif pour attirer, et surtout garder, beaucoup des 230 millions de cerveaux francophones.

Cependant, le Quebec Community Group Network, qui reçoit cinq millions par année de Patrimoine Canada – donc de nos poches – ne parle jamais de rétablir l’équilibre dans le financement des institutions d’enseignement supérieur. Ce qui est plus grave, c’est qu’aucun recteur d’université ni directeur de cégep francophone n’en parle. Pire, aucun professeur d’université ou représentant d’association étudiante n’en souffle mot.

Pour qu’une langue soit en santé, elle a besoin de deux choses : le poids du nombre et des institutions publiques qui fonctionnent dans cette langue.

Malgré le fait que le français soit la sixième langue la plus parlée au monde et probablement la deuxième d’ici 30 ans, les francophones ne font pas le poids en Amérique.

Au Canada anglais, où il y a très peu d’institutions publiques francophones, le taux d’assimilation est effarant. Au Québec, il faut donc nous prévaloir d’institutions publiques puissantes qui utiliseront et feront vivre le français. Bien que majoritaires, les anglophones l’ont compris depuis longtemps. C’est pourquoi ils financent goulûment les groupes qui combattent la loi 101 et qui font pression pour convaincre les politiciens de prendre les effectifs de Jean pour habiller John.