Burkina Faso : victimes héroïques

2016/01/22 | Par Pierre Jasmin

Nos condoléances vont aux familles Carrier-Talbot-Chamberland-Bernier terriblement éprouvées : les assassinats par des djihadistes de travailleurs humanitaires exemplaires construisant une école ont révolté les Artistes pour la Paix, comme tous les Québécois. À Radio-Canada dès dimanche matin, une responsable d’Uniterra, au Centre d’Étude et de Coopération Internationale (CECI), en direct de l’Afrique, expliquait la situation tendue des coopérants québécois à la suite de la mort de six d’entre eux par une explosion djihadiste au Burkina Faso et le lendemain, Michèle Asselin a parlé au nom de l’Association Québécoise des Organismes de Coopération Internationale (AQOCI). Essentiels reportages pour mieux comprendre l’importance primordiale de travailler à changer la situation explosive de pauvreté extrême en Afrique.

Mais dès dimanche, des commentateurs déclarèrent à Radio-Canada « la lune de miel Trudeau des selfies » terminée : il est grand temps, dirent-ils, qu’il dirige son gouvernement du côté de l’ordre et de la sécurité, dossier qu’ils identifièrent sans vergogne au gouvernement Harper. Le député et une meute d’éditorialistes se sont ensuite employés à entretenir les mêmes préjugés (illustrés sur un mode humoristique par Garnotte du Devoir).

Une absence de mise en perspective politique perdure hélas depuis 2011, au sujet de l’expédition de bombardements menée par l’OTAN de mars à septembre 2011 sur la Libye : commandée par le général canadien Charles Bouchard, son mandat était de protéger les insurgés islamistes à Benghazi1. Au lieu de quoi, le général2, sans nul doute influencé par Harper, a choisi de bombarder le gouvernement Kadhafi jusqu’à son anéantissement. Il a trahi, ce faisant, le mandat qui lui avait été confié par le Conseil de Sécurité de l’ONU, causant une totale perte de confiance de la part de la Chine et de la Russie.

L’unanimité du Conseil de sécurité n’est hélas pas la seule victime de ces bombardements : les armes de la Libye se sont toutes retrouvées dans les mains des groupes islamistes nord-africains, se frayant un chemin à travers le Niger et le Mali jusqu’au Burkina Faso limitrophe (et aussi en Tunisie, en Égypte, au Soudan, au Yémen en guerre civile etc.).

Constatant ces quatre derniers jours les massacres perpétrés par les djihadistes en Indonésie (Djakarta), en Syrie (de 143 à 300 morts) et au Burkina Faso, l’opinion publique canadienne volatile réclame le lynchage des terroristes et met la pression sur le gouvernement Trudeau pour réagir militairement, favorisant ainsi l’achat de cent milliards de $ des bombardiers F-35 contre lequel notre premier ministre s’était prononcé en campagne électorale : voir notre dossier sur http://www.artistespourlapaix.org/?p=8859.

En mai dernier, les Artistes pour la Paix imprimaient à leurs frais cinq mille cartes postales représentant Gaza détruite par les bombardements israéliens bénis par le premier ministre Harper. Nous y posions la question : « Que reste-t-il à bombarder ? ». Après Ouagadougou, la question perdure, entière. Nous demandons au député Pol-Hus et au premier ministre Couillard d’ajuster leurs selfies d’indignation militariste avec l’analyse ci-haut et les conséquences funestes des bombardements massifs en Afghanistan, en Irak, en Syrie et en Libye : des millions de morts et de réfugiés (sur ce sujet, l’accueil du premier ministre québécois reste méritoire). La guerre aux terroristes ne peut pas être menée comme une guerre traditionnelle : les bombardements du haut des airs sur des populations ne font que créer davantage de terroristes vengeurs.

Enfin, nous adressons la prière suivante aux familles québécoises éprouvées : plutôt que de recourir aux armes, vos enfants ont préféré prendre en mains des outils de paix. Ils sont nos héros, qu’aucune guerre ne vengera. Car construire des écoles reste la meilleure réponse à apporter contre le fanatisme destructeur des islamistes.

 

1 de beaux serpents qui allaient un an plus tard assassiner l’ambassadeur américain et provoquer les attaques incessantes des Républicains militaristes contre Hillary Clinton

2 Rappelons que la carrière militaire de 38 ans du général Bouchard a vu son aboutissement un an après sa retraite de la Royal Canadian Air Force, par sa nomination comme représentant en chef au Canada pour Lockheed Martin, la firme principale avec Northrop Grumman qui construit F-35, drones et bombes. À l’UQAM, les deux principales plateformes d’interventions politiques, l’Institut d’Études Internationales de Montréal et la Chaire Raôul-Dandurand, sont respectivement commanditées par la Banque Scotia et par Power Corporation Financial, les deux plus grands investisseurs canadiens dans les industries d’armement citées + Honeywell et General Dynamics, après SUN Life Financial qui leur a accordé 9 milliards de $ canadiens depuis janvier 2012 (lire www.dontbankonthebomb.com publié en novembre par PAX et ICAN.org). Bien sûr, plusieurs chercheurs de ces plateformes clameront leur indépendance et ils auront raison : nous respectons par exemple les avis équilibrés de Donald Cuccioletta, membre de la Chaire. Par contre, les avis de M. Vincent Marissal, employé de La Presse propriété de Power Corporation, nous semblent teintés par son affiliation. Bombarder est une action très rentable pour ces compagnies militaires, certains missiles coûtant un million de $ pièce et l’armée canadienne influencée par ces industries peut devenir le marteau qui voit en chaque situation internationale tendue un clou qu’il faut frapper en vue de la solutionner.