Le gros mensonge à l’œuvre à Concordia

2016/01/22 | Par Yves Engler

Le gros mensonge est une technique de propagande généralement utilisée lorsque dire la vérité vous serait défavorable.

Le principe est de ne jamais admettre avoir commis une erreur ou avoir mal agi et, au contraire, de toujours insister sur une version qui vous situe dans le camp des bons. Ce qui s’est réellement passé n’a aucune importance. La clé est de répéter votre histoire encore et encore jusqu’à ce que la plupart des gens vous croient.

Bien que le gros mensonge soit généralement associé à des gouvernements autoritaires, son emploi est en fait assez répandu.

Par exemple, le journal The Gazette a récemment publié à la Une un article faisant état d’étudiants juifs de l’Université Concordia qui « sentent qu’ils sont la cible d’une campagne de haine ». Selon l’article, ce sentiment viendrait du fait que plusieurs autres étudiants se disent solidaires du peuple palestinien.

À la fin novembre, le groupe étudiant Solidarity for Palestinian Human Rights a organisé une semaine de promotion du mouvement BDS, soit boycott, désinvestissement et sanctions à l’égard de l’État d’Israël.

Sans mentionner aucun incident raciste, The Gazette a déclaré que cette activité constituait un événement haineux. La reporter Karen Seidman s’est limitée à citer une personne qui se plaignait d’« un climat hostile sur le campus » et une autre qui dénonçait « des conférenciers qui calomniaient les tactiques d’Israël et qui vomissaient leur haine ».

Dans son article, Seidman a aussi décrié un référendum, tenu l’an dernier, à l’issu duquel les étudiants de premier cycle ont voté en faveur de la tenue d’une campagne BDS contre Israël.

Alors pourquoi est-ce un gros mensonge?

Premièrement, parce que la partie que défend la journaliste est dépeinte comme étant victime de haine sans apporter aucune preuve, sinon des sensibilités heurtées par des critiques à l’endroit de l’État israélien.

Deuxièmement, et plus important encore, tout un discours a été construit de façon à ignorer toute référence historique qui pourrait présenter les sympathisants palestiniens sous un jour positif ou même mettre en contexte leurs actions.

Pendant qu’elle présente une simple semaine de solidarité comme étant un événement haineux, la reporter tait le fait qu’un institut très bien financé de Concordia œuvre à effacer toute trace des Palestiniens de la mémoire historique.

En 2011, le multimilliardaire David Azrieli a fait un don de 5 millions de dollars à l’Université Concordia pour la mise sur pied de l’Azrieli Institute of Israel Studies, soit le don le plus important jamais reçu par la Faculté des arts et des sciences. Cet argent a servi à financer des conférences, des bourses d’étude et aussi la création du premier programme de mineure en études israéliennes offert dans une université canadienne.

Il ne s’agissait pas là d’un don désintéressé et apolitique. Cet Israélo-Canadien, décédé récemment, était un magnat de l’immobilier et un ardent défenseur d’Israël. Azrieli disait : « Je suis un sioniste et j’aime le pays ».

Durant la Nakba, en 1947-48, il était officier dans une brigade à majorité anglo-saxonne de la Haganah (force militaire sioniste). Dirigée par Ben Dunkelman, un major canadien de la Seconde Guerre mondiale, la 7e brigade a activement participé à la dépopulation forcée des villages palestiniens.

« Dans plusieurs des récits de la tradition orale palestinienne », note l’historien israélien Ilan Pappé, « peu de noms de brigades sont mentionnés. Toutefois, celui de la 7e brigade revient encore et encore, toujours associé à des adjectifs tels que terroristes et barbares ».

La 7e brigade a commis des atrocités à Safsaf, Saliha, Sa’sa et Jish. Entre 60 et 94 Palestiniens ont été tués à Saliha, une ville du nord comptant quelques milliers d’habitants. Yosef Nahmani, un fonctionnaire du Fonds National Juif, a noté dans son journal que « 60 à 70 hommes et femmes ont été tués après avoir brandi un drapeau blanc ».

Pour commémorer cette brutale 7e brigade, Azrieli a payé pour que l’on construise un théâtre sur les Hauteurs du Golan, occupées par Israël.

Depuis son ouverture, l’Institut Azrieli s’est révélé être plus qu’un défenseur d’Israël sur le campus. Son directeur, Csaba Nikolenyi, est membre du Canadian Academic Friends of Israel et, en mai dernier, l’Institut a été l’hôte de la conférence annuelle de l’Association for Israel Studies.

Dans le cadre de cet événement, l’activiste pro-sioniste Irwin Cotler et l’ambassadeur d’Israël Rafael Barak ont prononcé des discours. Après avoir assisté à la conférence, l’éminent activiste anti-palestinien Gerald Steinberg a décrit le don d’Azrieli comme faisant partie d’une contre-attaque en réponse à l’activisme pro-palestinien à Concordia.

L’Institut est conçu dans le but de bannir les Palestiniens de leur patrie. Sur son site Internet le mot Palestine n’est jamais mentionné. Dans une lettre à The Gazette datée de décembre 2014, Nakina Stratos écrivait : « En parcourant le site du Azrieli Institute for Israel Studies, je n’ai pas trouvé les mots Palestine ou peuple palestinien. Comment un institut qui enseigne l’histoire d’Israël peut-il ne pas mentionner la Palestine sur son site Internet? Ceci, à mon avis, tient du discours israélien d’extrême droite qui consiste en une totale confiscation de l’histoire palestinienne dans le but d’effacer le concept de Palestine du dictionnaire du Moyen-Orient ».

Mais plutôt que de tenter de savoir ce que pensent les étudiants palestiniens d’un institut universitaire grassement financé qui oblitère leur existence, la journaliste de The Gazette affectée à l’éducation a choisi de se concentrer sur de vagues allégations de haine à leur égard rapportées par quelques étudiants juifs sionistes.

Les oppresseurs et leurs supporteurs deviennent ainsi les victimes. Ceux qui prennent fait et cause pour les opprimés sont dépeints comme des tyrans.

Le gros mensonge à l’œuvre.