CPE : Les parents paient plus, mais pour moins de service

2016/01/26 | Par Rose St-Pierre

En avril dernier, le gouvernement Couillard a adopté, sous le bâillon, la Loi 28 qui doit permettre au gouvernement d’atteindre l’équilibre budgétaire. Parmi les 60 lois et 8 règlements modifiés, on comptait une nouvelle mesure de modulation des frais de garde, selon le revenu des familles.

Cette modulation des tarifs des services de garde est entrée en vigueur le 1er janvier 2016. Le tarif quotidien pour une place varie maintenant de 7,55 $ à 20,70 $ par enfant en fonction du revenu familial. Un taux fixe quotidien à 7,55 $ demeure directement versé quotidiennement au service de garde subventionné et toute contribution additionnelle sera versée à Revenu Québec au moment de produire sa déclaration de revenus.

Conséquemment, les familles avec un revenu de moins de 50 000 $ n’ont rien de plus à payer. Mais, à partir de 50 000 $, le tarif de garde est maintenant fixé à 8 $ par jour. À 100 000 $, le tarif quotidien se situe à 11,41 $. Le tarif augmente ensuite graduellement à un peu plus de 20 $ par jour pour un revenu familial de 160 000 $ et plus. À partir du troisième enfant, aucune contribution supplémentaire n’est exigée.

Le gouvernement estime récupérer ainsi 179 millions de dollars. Louise Labrie, représentante du secteur des CPE pour la FSSS-CSN, explique que rien n’indique que cet argent sera investi dans les centres de la petite enfance : « Nous n’avons, jusqu’à ce jour, aucune idée de la façon dont sera réinvesti ce montant. Nous n’en savons rien. »

Le taux fixe qui doit être payé quotidiennement a d’ailleurs été récemment augmenté à 7,55$. Louise Labrie indique que cette nouvelle augmentation sert à financer directement les subventions offertes aux parents : « Les parents financent donc leur propre subvention ! » À cela s’ajoutera donc, lors de la prochaine déclaration de revenus, la facture annuelle supplémentaire modulée en fonction des revenus. « Les parents paient plus, mais pour moins de service. »

Pour les familles, cette contribution supplémentaire s’ajoute à la suppression du crédit d’impôt non remboursable pour enfants, confirmée lors de la présentation du budget du gouvernement fédéral, l’année dernière.

Cette nouvelle modulation des tarifs est aussi fortement désavantageuse pour les familles à faible revenu. « Pour certains, il est maintenant moins cher d’envoyer son enfant en garderie privée. Le taux fixe quotidien est plus élevé, mais le montant des allocations données en fin d’année compense. »

Ces allocations, faut-il le rappeler, sont absorbées par le gouvernement et donc financées par les contribuables. « C’est certain que la nouvelle tarification pourrait fragiliser les CPE. »

Les conséquences pour les enfants seraient alors nombreuses. « Le service public est de qualité supérieure comparé au privé. Le personnel participe à des formations continues, nous offrons de l’aide personnalisée aux enfants qui ont des besoins particuliers. C’est certain que des enfants qui quitteraient le système public seraient perdants. Et si le système public doit concurrencer avec le privé, c’est tout le monde qui est perdant. »

Le gouvernement Couillard présente la modulation de tarifs comme une mesure plus « progressiste » et « égalitaire » que le tarif unique prôné par le précédent gouvernement du Parti Québécois.

Une vision que critique Louise Labrie : « La modulation telle que présentée est inéquitable. Elle a des effets plus importants sur les familles à faible revenu, alors qu’à partir de 160 000 et plus, le tarif est de 20 $ pour tous. Une tarification vraiment progressiste et égalitaire serait de fixer un prix unique et de palier par les impôts. »

Si les familles divorcées pourront choisir quel parent devra s’acquitter des contributions additionnelles et pourront ainsi bénéficier d’un tarif plus bas, après un an de vie commune, les parents de familles recomposées seront considérés comme conjoints de fait aux yeux de l’État. Le salaire des deux parents sera donc pris en compte, même si les deux conjoints ne paient pas nécessairement tous les frais de service de garde pour toute la famille.

Le changement de tarification prend effet alors que l’Association québécoise des CPE (AQCPE) organisait cette semaine des chaînes humaines devant plusieurs CPE au Québec afin de protester contre l’annonce de compressions de 120 millions de dollars dans les centres de la petite enfance.

« Plus de 80 % du budget des CPE concerne la masse salariale. Qu’est-ce qu’on peut couper ? La formation continue ? Les avantages des travailleuses ? Ou devrait-on couper dans les heures des cuisiniers et acheter davantage de produits préparés, alors que le gouvernement nous demande d’offrir aux enfants des repas équilibrés, santé et de qualité ? Doit-on couper dans la désinfection ou le lavage des jouets et favoriser la propagation de microbes ? Ou encore diminuer les entretiens ménagers ? Des endroits où on peut couper il n’y en a pas. » Pour Louise Labrie, il est clair que ces coupures affecteraient les services aux enfants.

La CSN rappelle qu’une pétition déposée sur le site de l’Assemblée nationale exige l’annulation des compressions annoncées pour 2015-2016 et 2016-2017. Elle réclame aussi un engagement du gouvernement à promouvoir l’égalité des chances en réinvestissant dans les services de garde éducatifs de qualité.

La CSN représente 10 500 travailleuses des centres de la petite enfance, soit plus d’une trentaine de syndicats dispersés dans plusieurs régions au Québec.