Détacher Montréal du Québec

2016/01/29 | Par Pierre Dubuc

Le gouvernement Couillard déposera bientôt un projet de loi octroyant à Montréal le statut de Métropole et à Québec celui de Capitale nationale.

De toute évidence, Québec répondra favorablement aux demandes du maire Coderre, qui a eu la bonne idée de les faire endosser par un Comité de travail sur le statut de la métropole, dirigé par Monique Leroux, p.d.-g. du Mouvement Desjardins.

Denis Coderre et son Comité veulent que Montréal passe de « créature des provinces » – qui est le statut constitutionnel des villes – à « gouvernement de proximité ».

Paradoxalement, la « proximité » supposément recherchée s’accompagne d’une demande de récupération par la ville-centre de plusieurs des pouvoirs assumés actuellement par les arrondissements.

La définition de « gouvernement » du maire est tout aussi problématique. Lors de la dernière campagne électorale, le candidat Coderre déclarait que l’unique point de son programme qui lui tenait à cœur était que « l’Hôtel de Ville n’est pas un Parlement. C’est une administration »!

Le gouvernement Couillard s’apprête donc à doter le maire Coderre d’une stature, qui lui permettra de négocier directement avec Ottawa, court-circuitant le gouvernement du Québec, comme il est en train de le faire dans le dossier de l’oléoduc Énergie Est.

Remplacer les nations par des Cités-États est dans l’ADN de l’idéologie néolibérale. C’est également un projet partagé au Canada par ces fédéralistes qui planifient la partition du Québec – particulièrement de sa métropole – dans l’éventualité d’un vote favorable à l’indépendance. Avant d’aborder le contenu du projet de statut de métropole, un peu d’histoire s’impose.

En 1989, des membres du Equality Party faisaient circuler sous le manteau une proposition d’appui à l’indépendance du Québec en échange de la création d’une Quebec West Province, englobant la majeure partie de l’île de Montréal.

Il n’avait pas échappé aux souverainistes, qui avaient pris connaissance du document, qu’une telle proposition mettait la table pour une éventuelle partition du territoire québécois.

Au lendemain du référendum de 1995, les menaces de partition ont été clairement évoquées. Dans ses Mémoires – Behind the Embassy Door –, l’ambassadeur américain James Blanchard, qui fut très actif dans le camp du Non, a publié une carte illustrant la répartition du vote. Selon lui, Montréal et d’autres régions du Québec « devraient demeurer au Canada, étant donné qu’elles ont voté Non au référendum et ne partagent pas la vision séparatiste ».

À la même époque, le député Stephen Harper déposait à la Chambre des Communes un projet de loi privé qui stipulait que le gouvernement fédéral devrait tenir un référendum le même jour qu’un éventuel référendum québécois et dont une des deux questions était formulée ainsi : « Si le Québec se sépare du Canada, ma municipalité devrait-elle continuer de faire partie du Canada – OUI ou NON? »

Le journaliste Lawrence Martin a écrit dans la biographie qu’il a consacrée à Jean Chrétien que ce sont ces menaces de partition du territoire québécois brandies par le camp fédéraliste qui auraient amené Lucien Bouchard à ne pas enclencher le processus qui aurait pu conduire à un nouveau référendum.

Si on veut être généreux avec Lucien Bouchard, on pourrait émettre l’hypothèse que c’est pour contrer une éventuelle menace de partition qu’il a proposé la fusion des municipalités de l’île de Montréal – avec le projet « une île, une ville » – une manœuvre qu’il aurait camouflée à l’intérieur d’une politique générale de fusions pour l’ensemble des municipalités du Québec.

On connaît la suite pour l’île de Montréal. Jean Charest a été élu en promettant des référendums d’initiative populaire aux populations des ex-municipalités anglophones du West Island et bon nombre d’entre elles ont défusionné.

Au cours du même processus, dans un ultime effort pour contenir le mouvement de défusion sur l’île de Montréal, on a créé les arrondissements en leur octroyant des pouvoirs de quasi-municipalités.

Dans tout ce cirque de fusions-défusions, les francophones ont perdu sur tous les plans.

Déjà, au départ, proposer la fusion des municipalités de l’île de Montréal revenait à donner le pouvoir municipal aux libéraux, pour le plus grand plaisir des anglophones. Pendant que les vieilles dames anglophones brandissaient leurs pancartes d’opposition aux fusions, un observateur perspicace de la scène montréalaise comme Jack Jedwab soulignait qu’avec les fusions, le pouvoir était désormais « à portée de main pour un Parti libéral municipal », ce qui s’est concrétisé avec l’élection à la mairie de Gérald Tremblay, un ancien ministre libéral.

Du côté péquiste, Jean-François Lisée a qualifié avec raison de « faute politique majeure » le projet de fusions de Lucien Bouchard. En analysant les résultats électoraux, il avait démontré que Louise Harel, plutôt que Gérald Tremblay, aurait été élue mairesse dans la ville de Montréal telle qu’elle existait avant les fusions.

Il concluait que « lorsqu’on dirige une nation dont la majorité est minoritaire sur le continent, dont la proportion se marginalise dans la fédération, dont le poids linguistique se fragilise dans sa métropole, on n’introduit pas de réformes institutionnelles qui affaiblissent son pouvoir dans sa principale ville ».

Aujourd’hui, le projet visant à octroyer de nouveaux pouvoirs à Montréal avec le statut de Métropole est tout aussi inquiétant.

Ainsi, le Comité de travail sur le statut de la métropole se prononce contre « la logique où les municipalités sont vues comme de simples ‘‘créatures de la province’’. Cela signifie que les pouvoirs et la liberté d’action de la Ville de Montréal se limitent à ce qui est expressément et spécifiquement autorisé par les lois ». Et, devrait-on ajouter, par la Constitution canadienne.

Pour le Comité, « une nouvelle loi sur la métropole devrait être l’occasion de renverser la façon de faire actuellement utilisée par Québec pour encadrer l’action des municipalités ».

Dans cette perspective, le Comité recommande, entre autres, pour Montréal « une plus grande autonomie administrative et législative ainsi qu’une capacité accrue de définir sa gouvernance », l’application du principe de subsidiarité, l’abolition des approbations ministérielles à l’égard des règlements d’emprunt, un droit d’opting out pour certains programmes, la gestion des bâtiments scolaires, etc.

Soulignons que, dans le contexte de l’accueil des réfugiés syriens, le maire Coderre a réclamé plus de pouvoirs en matière d’immigration et une dérogation à la Loi 101.

Cette loi sur le statut de la métropole devrait aussi, recommande le Comité, « revoir et élargir les pouvoirs de la Ville de conclure des ententes avec une entité gouvernementale, qu’elle soit canadienne ou étrangère, ou avec des organisations internationales en établissant des balises limitant les autorisations ministérielles préalables ».

Évidemment, de tels pouvoirs nécessitent des sources additionnelles de revenus. Le Comité propose donc de permettre à Montréal « de capter une partie plus importante de la production de la richesse que Montréal induit par les actions et les investissements qu’elle réalise sur son territoire » et avance l’idée d’un transfert direct d’un pourcentage de la TVQ perçue sur le territoire montréalais.

De quoi faire l’envie des régions qui demandent, sans succès, que leur soit versée une part des redevances de l’exploitation des ressources naturelles de leur territoire.

Le gouvernement Couillard a déjà accordé aux maires des transformations majeures aux régimes de retraite de leurs employés et, dans le cadre d’un nouveau pacte fiscal, de pouvoir imposer leurs conditions de travail en échange de compressions de 300 millions $.

Maintenant, le gouvernement annonce son intention de dissoudre le ministère des Affaires municipales dans un futur ministère de l’Intérieur et le gouvernement va déposer un projet de loi sur la métropole conférant un statut de quasi-province à Montréal.

Est-on en train de créer une Montreal Province?

 

Photo du photomontage : Pedro Ruiz - ledevoir.com