Cinq propositions pour réduire le taux de suicide au Canada

2016/02/03 | Par Jitender Sareen et Cara Katz

En dépit des grands titres récents sur le sujet, les taux de suicide et de tentative de suicide n’ont pas beaucoup bougé au Canada depuis plusieurs dizaines d’années (11 sur 100 000). Ce qui a changé, c’est le taux de suicide chez les militaires, qui connaît une augmentation après être resté stable durant des décennies.

Quarante-mille soldats ont participé à la mission canadienne en Afghanistan. D’où l’inquiétude légitime que suscitent les problèmes de santé mentale et les suicides rapportés chez les forces armées et les vétérans. D’ailleurs, le ministre de la Défense que le ministre des Anciens Combattants a fait de la prévention du suicide une grande priorité, et avec raison.

Le problème ne concerne pas que l’armée; les populations autochtones affichent elles aussi des taux de suicide élevés, en particulier celles des communautés nordiques éloignées.

La réduction du taux de suicide chez les militaires, les anciens combattants et la population civile nécessitera l’action concertée de tous les secteurs, tant au niveau fédéral que provincial. Voici cinq stratégies prometteuses en matière de prévention du suicide qui sont fondées sur des données probantes.
 

1. Établir un registre national des personnes au comportement autodestructeur

Les comportements autodestructeurs constituent le plus important prédicteur d’une éventuelle tentative de suicide. C’est pourquoi il est essentiel d’établir un registre national confidentiel des personnes qui les adoptent, semblable à celui que l’Irlande a mis en place. Ce registre aurait pour but de colliger des données précises et d’évaluer les méthodes probantes mises en œuvre pour réduire le risque de tentative future.

 

2. Investir dans les thérapies anti-suicide

Actuellement, les méthodes et les programmes destinés aux personnes ayant des tendances suicidaires visent à traiter les problèmes sous-jacents relatifs à la santé mentale ou à la toxicomanie. Or des travaux récents ont remis cette idée en question et démontré la nécessité d’une intervention psychologique directement axée sur le comportement suicidaire. D’après les observations, deux approches – la thérapie cognitivo-comportementale et la thérapie comportementale dialectale – ont permis de réduire les tentatives de suicide chez les personnes qui ont des antécédents de comportement autodestructeur.

Ces deux types de thérapie visent à analyser la cause des pensées suicidaires, à améliorer les mécanismes d’adaptation face au sentiment de détresse et à mettre en œuvre des plans soigneusement conçus pour réduire le risque de tentative éventuelle. Pour améliorer l’accès à ces thérapies, il faudra des investissements importants à l’échelle nationale.

 

3. Réduire l’accès aux moyens létaux

C’est l’approche qui a donné les résultats les plus probants en matière de prévention du suicide à l’échelle mondiale. Le suicide est bien souvent un acte impulsif. L’accès aux armes à feu est un facteur de risque; il joue un rôle dans la moitié des suicides réussis aux États-Unis.

Dans l’armée suisse, le fait d’avoir limité l’accès aux armes a découragé le passage à l’acte dans près de 80 % des cas. Même si les décès par arme à feu sont moins courants au Canada, 20 % des hommes qui se suicident recourent à ce moyen.

Au Royaume-Uni, on a montré que le fait de réduire le nombre de comprimés dans les contenants de Tylenol diminuait le taux de suicide. Au Canada, les médicaments d’ordonnance, notamment les opioïdes, les anxiolytiques et les antidépresseurs sont des causes fréquentes de mort intentionnelle ou non intentionnelle. L’idée de limiter l’accès des personnes au comportement autodestructeur à des quantités importantes de médicaments d’ordonnance ou en vente libre peut donc aider à réduire le nombre de suicides et de morts accidentelles.

 

4. Les morts accidentelles ou de cause indéterminée doivent être recensées comme des suicides

Les morts accidentelles ou de cause indéterminée s’apparentent à des suicides. Nous savons que les taux de suicide dans le monde sont largement sous-estimés dans une proportion de 30 % ou davantage. L’explication, c’est qu’il est souvent difficile de déterminer la nature du décès et, plus précisément, s’il s’agit bel et bien d’un accident ou d’un suicide. Il arrive souvent que la difficulté d’en décider amène le coroner à attribuer une cause indéterminée à un décès.

Des éléments indiquent que certaines méthodes de suicide sont plus susceptibles de conduire à une classification indéterminée. De fait, au Royaume-Uni, les décès par blessure dont le motif demeure incertain sont systématiquement comptabilisés dans les statistiques sur le suicide.

 

3. Toute stratégie de prévention du suicide doit inclure la prévention des blessures

Nous avons appris que les morts par suicide ou par accident concernent des individus qui partagent un grand nombre de facteurs de risque : appartenir au sexe masculin; être jeune; être célibataire; avoir un degré de scolarité peu élevé; avoir un faible revenu; avoir un caractère impulsif; avoir des problèmes de santé mentale et de dépendance.

En règle générale, selon qu’il s’agit des blessures par accident ou du suicide, les efforts de prévention sont distincts. Compte tenu du degré de vulnérabilité commun aux populations concernées et du fait qu’un nombre élevé de morts accidentelles ou de cause indéterminée sont peut-être des suicides, toute initiative de prévention du suicide devrait englober un volet prévention des blessures.

Pour véritablement réduire les taux de suicide au Canada, nous devrions jeter un coup d’œil du côté des disciplines médicales qui sont parvenues à réduire la mortalité. À titre d’exemple, les responsables de la prévention en matière de VIH et de cancer ont établi des registres nationaux et investi abondamment dans la création de programmes innovateurs pour lutter contre ces maladies mortelles. Il nous faudra les imiter et déployer une action nationale concertée afin de mettre en œuvre des stratégies probantes visant en particulier les comportements suicidaires.

Jitender Sareen est expert-conseil auprès du site EvidenceNetwork.ca, professeur de psychiatrie à l’Université du Manitoba et chef d’équipe du Manitoba Population Mental Health Research Group.

Cara Katz est chercheuse débutante au sein du Manitoba Population Mental Health Research Group et résidente en psychiatrie à l’Université du Manitoba.