L’intégration est-elle possible?

2016/02/05 | Par Ginette Leroux

Titre : Fatima
Réalisateur : Philippe Faucon
Avec Soria Zeroual, Zita Hanrot, Kenza Noah Aïche et Chawki Amari, dans le rôle du père et la participation amicale d’Isabelle Candelier
Durée :
 79 minutes
Musique originale : Robert-Marcel Lepage
Année de production :
 2015
Producteurs : Istiqlal Films (France) et Possible Média (Canada)
Date de sortie :
 27 novembre 2015

 

« Fatima » est le sixième long métrage du cinéaste français Philippe Faucon. Remarqué à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes au printemps dernier, le film poursuit sa route à Montréal où il est présenté en compétition officielle au récent Festival du nouveau cinéma de Montréal, après un arrêt au 34e Festival du cinéma international d’Abitibi-Témiscamingue.

Philippe Faucon débute sa carrière en 1989. Avec les longs métrages « Samia » (2000), « La Trahison » (2005), « Dans la vie » (2008) et « La Désintégration » (2012), il plonge dans la réalité douloureuse de l’intégration. « Fatima », son dernier opus, poursuit cette quête. Cette fois, le réalisateur maghrébin explore, à l’inverse de son film précédent, l’intégration réussie. « Un arbre qui tombe fait plus de bruit qu’une forêt qui pousse. J’ai pensé qu’il fallait aussi raconter la forêt qui pousse et FATIMA en a été l’occasion », dira-t-il en entrevue, lors de son passage à Montréal.

L’histoire se passe en France, dans un quartier de Lyon où quantité de familles maghrébines ont élu domicile. C’est le cas de Fatima, une Algérienne, immigrée en France avec son mari et ses deux filles. Séparée, Fatima vit maintenant avec Nesrine, âgée de 18 ans et Souad de 15 ans. Son ex-mari a refait sa vie. Il a un bon emploi. Ses filles, il les rencontre à l’occasion. C’est sa façon à lui de voir à leur éducation et à leur bien-être, sans pourtant donner un soutien financier à celle qui porte dorénavant l’entière responsabilité de ses enfants.

Pour faire vivre sa petite famille, Fatima travaille comme femme de ménage. Souvent, elle doit faire face à des patrons, souvent des femmes, qui l’exploitent et menacent de la renvoyer au moindre manquement.

Véritable mère courage, elle aide son aînée à payer ses études et son appartement. Il lui arrive même de vendre ses bijoux. Elle lui prépare des petits plats, lui apporte des draps bien repassés. Pour la mère peu scolarisée, l’avenir de sa fille passe avant son propre bien-être.

Contrairement à sa sœur, Souad, adolescente révoltée, indisciplinée à l’école, donne du fil à retordre à sa mère. Sa paresse n’a d’égale que la vulgarité de son langage et son comportement agressif.

Les deux filles ont honte de leur mère. De son gagne-pain, de sa façon de se vêtir – elle porte le voile – de son ignorance de la langue française. Fatima ne parle qu’un français rudimentaire, quelques mots appris au hasard aux cours de français qu’elle suit dans ses moments libres. Pour ses filles, l’arabe est aussi une langue étrangère. Chacune vit dans un monde parallèle. Les insultes fusent, surtout de la part de Souad, malgré les efforts répétés de la mère pour rétablir son autorité.

Fatima ploie sous la fatigue. Elle n’arrive plus à maintenir le rythme effréné qu’exigent ses multiples emplois et ses responsabilités familiales. C’en est trop. Un jour, épuisée, elle tombe dans l’escalier et se blesse.

Durant les cinq mois que dure sa convalescence, Fatima entreprend l’écriture d’un journal intime dans lequel elle trace le portrait de toutes les Fatima comme elle, des femmes sans statut, des femmes invisibles. Ses écrits, formulés en arabe, à mi-chemin entre le plaidoyer et la confession, révèlent une prise de conscience de son état et confirment le fossé qui l’éloigne de ses enfants.

Elle en confie des extraits à son médecin traitant. « Je ne veux ni voir ni entendre, écrit-elle. Je n’écoute pas mon cœur. Je ne voulais que trouver de l’énergie pour faire mon travail. J’ai mis ma vie et mes filles de côté. Je n’oublierai jamais ce que ma fille m’a dit : Maman tu es une incapable. Elle a dit cela parce que mes filles et ses amies vivent dans un univers français. Et moi, je ne parle pas français. Voilà pourquoi je ne suis pas respectée, reconnue, déclassée. Ça détruit nos enfants. Comment peuvent-elles être fières? C’est comme si elles n’avaient pas de parents. Comme veux-tu parler à tes père et mère si tu ne connais pas leur langue? »

Elle poursuit, cette fois, en s’adressant à ses enfants. « Ta mère a 44 ans tu sais, elle s’habille au marché, à 5 euros la pièce, elle ne gagne pas suffisamment pour payer plus. Son odeur est celle du marché où elle fait ses courses. Elle porte le foulard. Mais elle refuse de voir les gens qui s’interrogent à ce sujet. Cette femme et d’autres comme elles ont besoin de Fatima lorsque Fatima était en forme. Cette femme ne pouvait pas se trouver du travail sans une Fatima. Elle ne peut pas s’habiller ou ses vêtements sentir bon sans Fatima. Elle ne peut occuper un emploi sans une Fatima. Tous les jours cette femme confie ses clés, sa maison, ses enfants à Fatima. Elle ne peut visiter ses amies, faire ses course sans sa Fatima. Elle revient le soir dans une maison de cinq pièces, deux salles de bain nettoyées par Fatima qui travaille de 6h le matin à 8h le soir. La maison est propre, rangée et prête à la recevoir. Fatima retourne elle chez elle où rien n’est fait. Le ménage, la cuisine et ses filles l’attendent. Et ça recommence le jour suivant. Voilà pourquoi, un jour la vie de Fatima vole en éclat. N’en soyez pas étonnés : Où les parents sont blessés, un enfant est en colère. »

Librement adapté du livre de Fatima Elayoubi « Prière à la lune », un recueil de poèmes, de pensées et de fragments divers, Philippe Faucon en a tiré un scénario où le naturel et la simplicité s’unissent pour tracer le portrait de trois femmes de première et de deuxième génération.

Le réalisateur marocain, qui a l’habitude de travailler avec de jeunes comédiens et des non-professionnels, a su, une fois encore, réunir trois comédiennes dont les prestations sont exceptionnelles. La lumineuse Soria Zeroual, qui n’avait jamais joué au cinéma, a su interpréter le rôle principal avec infiniment de justesse, de sensibilité et de délicatesse.

Zita Hanrot et Kenza-Noah Aïche, dans les rôles respectifs de l’aînée et de la cadette, sont magnifiques.

Ce film aide à comprendre, de l’intérieur, les dilemmes que doivent affronter les femmes qui immigrent, souvent malgré elles, dans des sociétés aux valeurs à l’opposé des leurs. Parfois l’intégration devient un problème insurmontable.

Seule la profusion de sous-titres, traduisant les propos tenus en langue arabe, qui se succèdent à grande vitesse au bas de l’écran, peuvent, à l’occasion, causer une certaine frustration. Mais sachez que l’excellent film de Philippe Faucon vaut la peine de surmonter cet unique agacement.

À voir absolument.

Fatima prend l’affiche au Québec le 5 février 2016.