Ce que cache le retrait des chasseurs CF-18 du ciel syrien

2016/02/15 | Par Pierre Dubuc

« Qu’est-ce que vous voulez que je fasse? La guerre à la Russie? », aurait répondu le secrétaire d’État John Kerry à des humanitaires syriens qui critiquaient la passivité des États-Unis face aux raids de Moscou.

C’est la même réponse que nous pourrions servir à tous les commentateurs et éditorialistes va-t’en guerre canadiens et québécois qui sont montés aux barricades et ont tiré à boulets rouges sur Justin Trudeau parce qu’il retirait ses avions F-18 du ciel de l’Irak et de la Syrie.

Leurs critiques ne s’arrêtent pas au Premier ministre canadien. Ils mitraillent également le président Obama qu’ils accusent d’avoir lamentablement échoué et de n’être plus qu’un figurant au Moyen-Orient.

Dans une lettre d’opinion publiée le 12 février dans les pages du Devoir, Nicolas Tenzer – qui se présente comme le président d’un Centre d’étude et de réflexion pour l’Action politique et directeur de la revue Le Banquet – entonne le même air martial sur ce constat : « Ailleurs, le printemps arabe a aussi été réprimé. Nulle part il ne l’a été avec une telle violence qu’en Syrie ».

Un peu « d’étude et de réflexion » lui aurait permis de trouver l’explication. Les autres pays étaient situés dans la sphère d’influence américaine, alors que la Syrie est dans la sphère d’influence russe.

En Égypte, les États-Unis ont appuyé le coup d’État du général Sissi. En Syrie, ils arment et conseillent l’opposition au président Bachar al-Assad, avec l’aide de la France, la Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar.

Après le « succès » des opérations militaires en Irak et en Libye, ces pays croyaient pouvoir réserver le même sort à la Syrie. Mais le gouvernement syrien s’est montré plus coriace. Il a pu bénéficier de l’appui de l’Iran, qui savait que, si la Syrie tombait, elle serait la prochaine cible sur la liste et de la Russie qui cherche à protéger sa sphère d’influence, comme elle l’a fait lorsque les puissances occidentales ont voulu détacher l’Ukraine de la Russie.

 

Un nouveau rôle pour le Canada?

Si le premier ministre Trudeau a paru confus dans son explication du retrait des six chasseurs CF-18, son ministre de la Défense Harjit Sajjan a été plus clair dans une entrevue au Globe and Mail (12/02/16).

Contrairement au président français François Hollande et au secrétaire à la Défense américain Ashton Carter, Harjit Sajjan a refusé de dire que le Canada était en guerre. « C’est un conflit à hauts risques », s’est-il contenté de dire.

Plus intéressante encore est son explication du retrait des CF-18. Les avions, rappelle-t-il, étaient autorisés à survoler l’Irak et la Syrie, sans l’autorisation du gouvernement de ce dernier pays. « Nous respectons les frontières internationales », de déclarer Harjit Sajjan au journaliste du Globe en soulignant que le ministre irakien de la Défense était « ravi » du rôle joué par le Canada en soutien aux combattants kurdes. D’autant plus, que Harjit Sajjan s’est empressé de déclarer que le soutien du Canada aux Kurdes irakiens n’était pas un « soutien à l’indépendance du Kurdistan ».

Au plan militaire, le Canada va intensifier son implication en faisant passer de 69 à 207 le nombre de membres des forces spéciales chargés de l’entraînement des peshmergas kurdes, et ses avions vont continuer à ravitailler les chasseurs de la Coalition. Mais ce qui est à surveiller est le rôle diplomatique que le Canada pourrait jouer.

 

De retour à une politique pearsonnienne?

« Canada is back! », a déclaré avec enthousiasme le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon et il n’est pas interdit de penser qu’il faisait référence au rôle que le Canada a déjà joué par le passé sur la scène diplomatique mondiale.

Cela viendrait conforter les nombreux commentateurs, en provenance du champ gauche de la politique canadienne, qui se disent nostalgiques des « Casques bleus » de l’époque de Lester B. Pearson.

Ce dernier avait obtenu le Prix Nobel de la Paix pour son intervention dans la crise de Suez de 1956. Rappelons les faits. Le président égyptien Nasser nationalise la corporation britannique qui gérait le canal de Suez. La Grande-Bretagne, la France et Israël envahissent l’Égypte pour rétablir le contrôle européen sur le canal. Les États-Unis condamnent leur action et demandent à ces pays de respecter la charte des Nations Unies. Washington craint que l’invasion profite à l’Union soviétique dans cette région stratégiquement importante que les États-Unis convoitent.

Le Canada est préoccupé par les dissensions qui éclatent entre Londres, Paris et Washington. Le ministre des Affaires étrangères Lester B. Pearson propose, après s’être entendu avec Washington, une mission de paix en Égypte.

Il déclare au secrétaire d’État américain John Foster Dulles que le Canada est intéressé « à aider la France et la Grande-Bretagne » et ajoute qu’il voudrait « faire en sorte qu’il soit possible pour eux de se retirer en perdant la face le moins possible et les ramener à se réaligner avec les États-Unis ».

L’Égypte acceptera finalement les termes du règlement proposé par Pearson : retrait des troupes étrangères et installation d’une force onusienne de Casques bleus à la frontière israélo-égyptienne.

Dans The Black Book of Canadian Foreign Policy, Yves Engler montre que chacune des opérations de maintien de la paix, auxquelles le Canada a participé entre 1948 et 1968, était liée directement à des jeux de position de la Guerre froide au profit des États-Unis.

Aujourd’hui, avec le retrait de ses CF-18 du ciel syrien et le respect des frontières internationales, le Canada devient un interlocuteur possible auprès de Bachar al-Assad, de même qu’avec la Russie et l’Iran, si Justin Trudeau suit la suggestion de son mentor Jean Chrétien qui l’incitait à « garder de bonnes relations avec les dirigeants mondiaux ».

Avec la « Trudeaumanie », moussée à l’échelle mondiale par les médias américains, le Canada et son Premier ministre pourraient s’avérer beaucoup plus utile pour Washington sur la scène diplomatique internationale que six chasseurs CF-18 dans le ciel de la Syrie, particulièrement si les États-Unis ne veulent pas en découdre actuellement avec la Russie, du moins pas avant que l’OTAN ait terminé le renforcement récemment annoncé de ses troupes en Europe de l’Est.