Travailleurs Palestiniens : victimes du système d’apartheid israélien

2016/02/16 | Par Rose St-Pierre

Pour souligner ses 40 ans d’appui à des populations en lutte pour leur émancipation, le Centre international de solidarité ouvrière (CISO) a organisé, en septembre dernier, un stage intersyndical de solidarité avec la Palestine. Nous avons rencontré Amélie Nguyen, coordonnatrice au CISO, qui a participé au stage.

Pour Mme Nguyen, il était tout désigné de se rendre en Palestine pour ce stage soulignant les 40 ans de solidarité intersyndicale internationale. La création de liens de solidarité avec les travailleurs d’ici et Palestiniens parait essentielle pour le CISO: « De cette façon, tous sont plus à même de défendre leurs droits ensemble. »

« La précarisation du travail ici dépend des mêmes situations qu’ailleurs : nous vivons tous les conséquences des traités de libre-échange, les effets de la mondialisation. Nous dépendons des mêmes chaines d’approvisionnement à travers le monde; nous sommes très interdépendants entre travailleurs. Ouvrir sur l’international donne une toute nouvelle portée à l’action syndicale. »

Organiser un stage en Palestine est très complexe : « Il existe beaucoup d’imprévus. Il est presque impossible de prévoir les conditions sur place, passer les frontières en ayant un mandat de solidarité est plutôt complexe sans compter que les détours obligés par le mur ralentissent énormément nos déplacements. »

Sur place, les 8 représentants syndicaux ont organisé des rencontres entre des organisations syndicales, des groupes de défense des droits et des groupes de femmes.

« Notre stage en Palestine a eu un grand impact sur nos vies. Personne ne peut rester insensible devant une oppression aussi systématique d’un peuple. C’est impossible de ne pas avoir un sentiment de révolte face au joug israélien. Et le plus impressionnant, c’est la résilience et le pacifisme du peuple palestinien. Les Palestiniens résistent courageusement au désespoir. »

Pour Mme Nguyen, parler de « conflit israélien » fausse notre interprétation de la situation sur les territoires occupés. « Bien sûr on peut parler d’État d’apartheid : les droits palestiniens sont constamment bafoués. Ça s’applique dans toutes les facettes de leur vie et cela au quotidien. D’abord le mur, ensuite un système de routes séparées pour diviser les Israéliens et Palestiniens, les contrôles de sécurité accrus, le système de justice non équitable (les Palestiniens sont souvent jugés par des tribunaux militaires), la non-reconnaissance des droits de propriété ancestraux... À Jérusalem-Est, le système d’aqueduc et la collecte des déchets est lacunaire pour Palestiniens et les routes ne sont pas entretenues. »

Le choc, pour les stagiaires, c’est de voir la portée de l’occupation sur la plus petite parcelle de la vie des Palestiniens. Les déplacements ardus affectent l’accès aux hôpitaux, aux écoles, au travail. « À chaque checkpoint, les Palestiniens se font humilier. Les contrôles sont un stress constant sur leurs épaules. » Sans compter que la négation de leur droit de propriété mène fréquemment à la destruction des maisons palestiniennes.

Être travailleur en Cisjordanie ou à Jérusalem-Est est conséquemment excessivement ardu. Il existe de moins en moins d’emplois en Cisjordanie, depuis les accords d’Oslo, puisque certaines compagnies palestiniennes ne doivent plus venir en compétition avec des produits israéliens. L’agriculture est très affaiblie parce que les terres utilisables en Cisjordanie qui ne sont pas occupées par Israël ou séparées par le mur sont peu fertiles. D’autant plus que les cargaisons de produits périssables sont souvent bloquées aux checkpoints. 

« Par conséquent, plusieurs travailleurs se rendent en territoires israéliens pour se trouver de l’emploi, lorsqu’ils arrivent à obtenir un permis de travail. Ça implique de passer chaque matin et chaque soir par les contrôles, encerclés de barbelés, clôtures, soldats lourdement armés, en étant obligé de passer par les scans à chaque fois. Chaque matin, les travailleurs ne savent pas s’ils réussiront à traverser. Le passage peut même être bloqué sur plusieurs jours. »

Les emplois réservés aux Palestiniens sont majoritairement ceux que les Israéliens ne veulent pas occuper. Les pires conditions de travail sont celles observées dans les colonies. Le salaire minimum palestinien correspond au tiers du salaire minimum israélien.

Dans un tel contexte, il n’est pas étonnant que l’économie palestinienne batte de l’aile. Il manque cruellement d’emplois, les conditions de travail sont mauvaises et la pauvreté croissante. Une personne sur huit seulement, qui entre sur le marché du travail, trouve un emploi, et c’est plus difficile pour les femmes, qui doivent composer avec l’oppression d’une société patriarcale.

Pour la coordonnatrice du CISO, les médias ne sont pas tout objectifs lorsqu’il rapporte la situation israélo-palestinienne : « On traite de la situation comme d’un conflit ou d’une rivalité. On ne mentionne jamais la disproportion du rapport de force. La réalité, c’est qu’il existe un occupant et un occupé ».

Les stagiaires ont visité le village de Bil’in, une petite ville de Cisjordanie située à 12 km à l’ouest de Ramallah où les habitants manifestent pacifiquement face à l’occupation chaque vendredi depuis 10 ans. « Pourtant, depuis 10 ans, ces manifestations n’ont jamais retenu l’attention de la communauté internationale. Tout comme au camp de réfugiés Aida où l’on favorise l’expression des jeunes par les arts, ou à Ramallah où les organisations palestiniennes coordonnent la campagne mondiale “Boycott, désinvestissement et sanctions”. Mais force est de constater que ces démonstrations pacifiques, ça n’attire pas l’attention médiatique. »

L’objectif du stage demeure de partager l’expérience des stagiaires au Québec. « Nous voulons aussi interpeller le public pour créer des liens de solidarité et défendre les droits des Palestiniens à partir d’ici. Les syndicats et groupes de défense des droits nous ont d’ailleurs rappelé à plusieurs reprises que la meilleure façon de les aider c’est la solidarité internationale. »

Le CISO se consacre maintenant à transmettre le message des Palestiniens qu’ils ont rencontrés et mobiliser ici. C’est par cette solidarité internationale que le CISO et leurs partenaires internationaux souhaitent faire changer les positions de leur gouvernement. « Nous maintenons aussi les liens avec les groupes rencontrés : nous transmettons leurs appels et les déclarations des syndicats. Nous partageons aussi certaines initiatives palestiniennes de résistance. C’est le cas de la campagne Boycott, Désinvestissement et Sanction (BDS) et qui fait écho de la demande de faire pression internationalement sur les politiques d’apartheid et de colonisation du gouvernement israélien. »

« Ce n’est pas à l’opprimé de régler le conflit; ils n’ont pas suffisamment de pouvoir pour faire pression sur la puissance israélienne. Seulement la pression de la communauté internationale pourra faire changer les choses. La pression sur le gouvernement doit venir de l’extérieur pour vraiment changer la situation. »

D’ailleurs, si le gouvernement Harper demeurait l’allié inconditionnel d’Israël, sinon son meilleur ami dans le monde, le changement de gouvernement au fédéral ne semble pas rimer avec changement de ton. Tout récemment, la délégation canadienne à l’ONU a voté contre une résolution pour le droit à l’autodétermination du peuple palestinien.

Au courant de l’année 2015, 165 Palestiniens, dont 30 enfants, ont été tués par les forces d’occupation israélienne. De plus, selon le Croissant Rouge palestinien, 14 770 Palestiniens ont été blessés en Cisjordanie et à Gaza entre octobre et décembre 2015. Plus de 300 propriétés palestiniennes ont été démolies forçant le déplacement de 689 Palestiniens, dont 379 enfants. À la fin de 2015, environ 6 800 Palestiniens, dont 470 enfants, étaient détenus dans des prisons israéliennes.