La convergence, pour quoi faire?

2016/02/18 | Par Denis Monière

L’auteur est professeur honoraire de science politique à l’Université de Montréal

Depuis quelques mois, certains ténors du mouvement souverainiste lancent de vibrants appels à la convergence des partis indépendantistes. On invoque deux raisons impérieuses pour l’unification des indépendantistes, soit la nécessité de battre le gouvernement Couillard, qui démolit systématiquement les acquis du modèle québécois, et la nécessité de prendre le pouvoir pour réaliser l’indépendance. Cette stratégie de la convergence serait incontournable en raison de notre mode de scrutin qui ne permet pas aux petits partis de faire élire des députés et qui favorise plutôt la concentration des votes pour les deux principales formations politiques. Comme le changement de mode de scrutin n’est pas pour demain, il faut donc trouver une solution concrète pour maximiser l’influence des électeurs indépendantistes.

 Ces divers arguments peuvent sembler logiques, mais relèvent de la pensée magique si on ne prend pas en compte les réalités idéologiques et institutionnelles du mouvement souverainiste. Converger veut dire aller dans la même direction. Or, c’est précisément le coeur du problème. Converger pour faire quoi, pour aller où sur le plan national ?

Il faut d’abord reconnaître l’origine des divergences qui touchent le mouvement souverainiste depuis les années 2000 si on veut déterminer un objectif commun. C’est l’évolution idéologique du Parti québécois qui est responsable de la divergence qui s’est installée dans le mouvement souverainiste. En abandonnant par électoralisme son orientation sociale-démocrate et en renonçant à faire de l’indépendance un enjeu électoral, le Parti québécois a fractionné sa base militante et poussé dans le premier cas ses militants progressistes à fonder Québec solidaire, et dans le second cas, il a obligé les indépendantistes à se mobiliser avec Option nationale pour faire la promotion de l’indépendance, ce que le Parti québécois se refusait à faire.

 Comme l’objectif du PQ s’était réduit à gouverner une province dans le cadre du fédéralisme et du néolibéralisme et convergeait vers le maintien du statu quo social et politique du Québec, il était inévitable que ce positionnement ouvre la porte à l’émergence de nouvelles formations politiques qui expriment une idéologie de contestation. Cette histoire récente de la division des forces indépendantistes montre que l’objectif de la seule prise du pouvoir provincial pour battre les libéraux ne peut fonder la réunification des indépendantistes, puisque c’est la cause même de leur division.

 La première condition idéologique à la convergence est la révision de la stratégie électoraliste du PQ, qui devra faire de l’accession à l’indépendance un enjeu électoral. Cette condition nécessaire n’est toutefois pas suffisante si elle ne s’accompagne pas d’une réorientation du projet de société vers une plus grande démocratie sociale. Le PQ doit redevenir un parti de conviction et non pas un simple parti d’ambition à court terme voué au courtage d’intérêts sectoriels. Il doit aussi redevenir un parti de militants et non pas demeurer un parti asservi aux fabricants d’image. La valorisation du travail des militants sur le terrain sera une façon concrète de rétablir la confiance des citoyens envers les dirigeants du Parti québécois, qui aura besoin de reconstruire son réseau de relais dans la société civile s’il veut compenser sa faible influence médiatique.

 Ces prémisses posées, il faudra ensuite que les trois partis souverainistes s’entendent sur un programme commun de gouvernement, ce qui est une condition indispensable à toute alliance électorale. Prendre le pouvoir n’est pas une fin en soi, c’est la direction de l’action gouvernementale qui compte et qui peut ressusciter la confiance des électeurs. Ce programme commun doit donner des gages de fiabilité aux divers électorats que rejoignent ces partis et inspirer une dynamique qui attirera de nouveaux électeurs.

 La question la plus épineuse demeure : comment organiser cette convergence sur le terrain électoral ? Comme il est peu probable que la fusion des trois partis se matérialise, il faut prévoir des modalités d’ententes électorales qui maximisent les chances de faire élire le plus de députés tout en préservant l’équilibre des forces. On a déjà envisagé dans le passé la solution des primaires, mais celle-ci s’avère impraticable, puisqu’elle avantagerait systématiquement le parti qui a le plus de membres ou qui est le mieux organisé. Cette compétition préélectorale dans le cadre d’assemblées d’investiture conjointes ne produirait que plus de division et d’acrimonie et serait contre-productive sur le plan électoral.

Il faut penser un système de distribution des circonscriptions transparent, équitable et qui minimise les pertes de votes en raison de la concurrence de candidatures indépendantistes. Il faut d’abord protéger les acquis de chaque parti, ce qui veut dire qu’il y aurait 33 circonscriptions protégées : trente pour le PQ et trois pour QS. Dans ces circonscriptions, les partis de la coalition ne se feraient pas concurrence, chaque parti ayant été élu en 2014 organisant le choix de son propre candidat et les deux autres partis acceptant de travailler à son élection. Il reste 92 autres circonscriptions à pouvoir qui étaient représentées soit par des libéraux ou par des caquistes. Si on utilise comme barème de distribution le pourcentage du vote obtenu par les différents partis indépendantistes à l’élection de 2014, le PQ pourrait présenter un candidat dans 69 circonscriptions, QS dans 19 et Option nationale dans 4. Ces circonscriptions pourraient être attribuées par tirage au sort.

 On peut aussi imaginer un système moins contraignant et ouvrant une compétition limitée entre partis indépendantistes en réservant une banque d’une vingtaine de circonscriptions où les partis fédéralistes ont eu le plus grand nombre de votes et où les chances de faire élire un indépendantiste sont quasi nulles. Dans ces circonscriptions imprenables, il y aurait lutte entre les partis indépendantistes.

 Quel que soit le mécanisme de répartition choisi, il n’en demeure pas moins que l’adoption d’une stratégie de convergence dans le cadre de notre système électoral est en soi un défi qui suppose qu’on change de culture politique et qu’on mette l’intérêt national avant l’intérêt des partis. Il faudra que la bonne foi et l’ouverture d’esprit soient au rendez-vous.