La convergence des idées et des actions plutôt que des partis

2016/02/29 | Par Pierre Dubuc

« En 2012, si on avait attendu après les partis politiques pour se mettre en marche, on aurait attendu longtemps. En six mois, on a réussi à mettre le dossier des étudiantes et des étudiants à l’ordre du jour », nous déclare Martine Desjardins, l’ex-leader du printemps étudiant, rencontrée dans les locaux du Mouvement National des Québécoises et des Québécois (MNQ), dont elle préside aujourd’hui les destinées.

C’est riche de cette expérience qu’elle oppose à la convergence des partis politiques – un débat dans lequel semble s’enliser le mouvement indépendantiste – « la convergence des idées et des actions ».

« Je n’étais pas d’accord à l’époque – et je ne le suis toujours pas – avec l’affirmation de Monsieur Parizeau que le mouvement souverainiste est un ‘‘ champ de ruines’’ », mais il est clair que les défaites du référendum de 1995 et de l’élection de 2014, auxquels s’ajoute le score du Bloc Québécois lors de la dernière élection fédérale, ont fait mal », soutient-elle.

Elle enchaîne : « Le mouvement souverainiste est aujourd’hui à la croisée des chemins. On va vers l’indépendance ou la gestion de l’État provincial. Faut se brancher ».

La solution? Des leaders et de l’action. « Pas juste de belles déclarations, mais des leaders inspirants, par leur attitude et leurs propos dans l’action ».

Se décrivant comme « une militante dans l’âme », l’ex-leader étudiante veut de l’action. C’est la raison pour laquelle elle s’est engagée dans l’organisation du Sommet des femmes, qui se tient à Montréal les 3 et 4 mars au Palais des Congrès à Montréal.

« Les inscriptions vont bon train », nous assure Martine, qui s’attend à plus de 700 participantes. « Après la conférence d’ouverture du jeudi soir sur le thème ‘‘ Pourquoi doit-on parler du féminisme’’, les participantes se diviseront le vendredi dans dix ateliers consacrés au pouvoir social, au pouvoir économique et au pouvoir politique. Chaque atelier aura pour but d’identifier une action concrète prioritaire », précise-t-elle.

Pour s’assurer que leur message soit entendu, l’organisation du Sommet a invité les chefs de toutes les formations politiques québécoises. « On va leur demander : Comment allez-vous répondre aux exigences des femmes? Quelles actions allez-vous mettre en marche? Pierre-Karl Péladeau, François Legault, Françoise David et Andrés Fontecilla ont confirmé leur présence. M. Couillard a, semble-t-il, un conflit d’horaire. On nous dit qu’il sera à Vancouver. On va essayer de le faire participer par vidéo-conférence. »

L’idée de ce Sommet vient de Lise Payette. « Avec Janine Krieber et Flavie Payette-Renouf, la petite-fille de Mme Payette, nous avions créé un OSBL pour célébrer le 75e anniversaire du droit de vote des femmes, le 25 août 2015. À cette occasion, Mme Payette a déclaré : ‘‘ Je rêve d’un Sommet des femmes’’. Nous avons décidé de relever le défi. »

S’en est suivie la publication du Manifeste des Femmes, dont le sous-titre « Pour passer de la colère au pouvoir » se décline aux plans politique, économique et social.

Martine, qui a été candidate pour le Parti Québécois dans la circonscription de Groulx lors de la dernière campagne électorale, réclame « la parité hommes/femmes à l’Assemblée nationale, avec des contraintes et des pénalités en cas de non-respect ».

Le Manifeste rappelle que les femmes ne comptent que pour 27% des députés à l’Assemblée nationale et que le Québec occupe le 44e rang des pays qui cheminent vers l’égalité.

Pour atteindre la parité, le Manifeste propose que « le financement des partis politiques par les fonds publics soit modulé en fonction de l’atteinte de résultats, à savoir un minimum de 40% de femmes élues ».

Le Manifeste exige aussi que le gouvernement se serve de son pouvoir de nomination pour que soient paritaires le Conseil des ministres, les différentes commissions, les organisations gouvernementales et paragouvernementales et les organismes qui reçoivent du financement public.

Au plan économique, le Manifeste rappelle que l’écart salarial entre femmes et hommes demeure environ de 30%, une discrimination qui frappe particulièrement les mères travailleuses à temps plein ou partiel, et exige donc une Loi-cadre sur la conciliation famille-travail-études.

Martine est particulièrement sensible à l’accès à l’égalité dans les métiers traditionnellement masculins. « Auparavant, on pensait surtout à des métiers exigeant une plus grande force physique. Ce n’est souvent plus le cas aujourd’hui. Mais il y a de nouveaux secteurs, comme l’informatique et l’électronique, où les femmes sont discriminées ».

« Une étude a démontré, raconte-t-elle, que des femmes considérées comme meilleurs programmeurs que des hommes, lorsque leur nom n’apparaît pas, sont discriminées lorsqu’on apprend qu’elles sont des femmes. D’autres femmes, qui créent des jeux vidéo, sont victimes de propos sexistes majeurs. »

Le souci de débusquer la moindre discrimination va jusqu’à l’affirmation dans le Manifeste que « les enseignants pourtant majoritaires et syndiquées, gagnent moins par heure travaillée que les enseignants ». Comment cela est-il possible étant donné que les deux sont régis par la même convention collective? Réponse de Martine : « Les enseignantes à statut précaire – qui forment aujourd’hui un groupe important – ne montent pas d’échelon dans l’échelle salariale, lorsqu’elles sont en congé maternité ».

Au plan social, le Manifeste exige la tenue d’une « commission d’enquête sur les abus que les femmes autochtones ont dénoncés » et « des mesures pour que la marginalisation systémique des femmes racisées et des minorités ne soit plus banalisée par les médias et le système éducatif ».

Le Manifeste dénonce aussi la représentation des femmes véhiculée par l’hypersexualisation et la pornographie, mais est muet sur la prostitution. De même, il n’aborde pas la question du voile islamique.

« Nous avons mis ces deux questions, la prostitution et la laïcité, de côté parce que cela divise présentement le mouvement des femmes. On veut travailler sur des consensus ».

Travailler sur des consensus, ne pas craindre de se mettre en mouvement, c’est une recette qui a fait le succès du printemps étudiant et que Martine veut implanter dans le mouvement souverainiste.

Mais pour établir un consensus, il y a un préalable. « Avant de déclencher la grève étudiante, on a fait faire une étude sur les conditions de vie des étudiants. On savait ce qu’il en était, mais on n’avait pas de données. On a été en chercher pour appuyer nos revendications ».

C’est la même logique, nous explique-t-elle, qui a mené le MNQ à contribuer au financement de l’étude Jean Ferretti de l’Iréc sur la francisation et l’intégration des immigrants (voir l’article de Charles Castonguay en page 19).

« On nous dit aujourd’hui que les jeunes ne sont pas souverainistes. Il faut savoir pourquoi. Il faut faire des recherches. Il faut créer des lieux de débat ».

Que le Parti Québécois se trouve aujourd’hui à 27% - 29% dans les sondages ne décourage pas Martine. « Si on attend après les partis politiques avant de se mettre en mouvement, on va entendre longtemps », lance-t-elle en nous invitant à s’inspirer de la Catalogne où l’élan vers l’indépendance est venu de la société civile.

Son espoir communicatif se fonde aussi sur la présence dans différents milieux de ses camarades de lutte du printemps étudiant. « J’en rencontre partout. Dans les sociétés nationales, dans les organisations communautaires, dans le mouvement syndical. Tout le monde fait ses classes. »

 

Photo : Jacques Nadeau