Le néo-colonialisme canadien au Burkina Faso

2016/03/02 | Par Yves Engler

Comment appelle-t-on ceux qui demandent aux gens de croire ce qu’ils disent mais d’ignorer les conséquences de ce qu’ils font? Des doreurs d’image?

Après quelques années de recherches, j’ai réalisé qu’il y a une longue et ignoble histoire d’exploitation des Africains par des Occidentaux qui se drapent dans des intentions humanitaires. Malheureusement, cette pratique n’est pas l’apanage d’un lointain passé.

Un haut placé d’une importante ONG canadienne, qui fonda ensuite la plus grande entreprise minière du Québec, en constitue un exemple récent.

Dans une entrevue accordée à Gold Report en 2012 et intitulée : « En premier lieu, faite le bien, quand vous exploitez une mine d’or : Benoit La Salle », le président de la Société d’Exploitation Minière d’Afrique de l’Ouest (SEMAFO) s’enorgueillissait du fait que la compagnie soit socialement responsable.

La Salle disait : « SEMAFO n’est pas une entreprise qui extrait de l’or, l’expédie à l’étranger et, une fois qu’elle a terminé, lève le camp et s’en va. Les gens voient SEMAFO comme étant un très bon citoyen corporatif. Aujourd’hui, beaucoup de gens considèrent que le rapport sur la CSR (responsabilité sociale corporative) est plus important que notre rapport annuel. » (I)

C’était là une déclaration étonnante de la part d’un individu qui a l’obligation de maximiser le rendement pour les investisseurs. Mais un rapide coup d’œil au dossier de l’entreprise laisse entrevoir une réalité fort différente.

Le Guinée News rapportait en 2014 que les gens qui vivent près de la mine SEMAFO à Kiniero en Guinée avaient le sentiment que « la compagnie canadienne avait apporté plus de malheurs que de bénéfices. » (II)

En 2008, les militaires ont tué trois personnes lors d’une tentative d’expulsion de mineurs artisanaux d’une mine de SEMAFO au sud-est de la Guinée. Monitoring Africa de la BBC rapportait : « Les soldats ont tiré sur une femme à courte distance, ont brûlé un bébé et, dans la panique, une autre femme et son bébé sont tombés dans le puit d’une mine et un homme a fait une chute mortelle alors qu’il tentait de fuir en moto. » (III) En réaction, des résidants de l’endroit s’en sont pris aux équipements de l’entreprise, basée à Montréal, qu’ils tiennent responsable de cette tuerie. (IV)

En septembre 2011 de nouvelles protestations ont surgi. Les gens reprochaient à l’entreprise de ne pas embaucher de jeunes de la communauté et se plaignaient de la dissolution d’un comité chargé d’investir dans le développement communautaire.

Les manifestants ont attaqué les installations de SEMAFO, causant des centaines de milliers de dollars de dommages. (V) Certains ont aussi pris pour cible un autobus transportant des employés de la compagnie, ce qui a amené les autorités à évacuer tous les employés étrangers à Bamako, au Mali voisin. (VI)

En 2014, le Comité Technique de Revue des Titres et Conventions Miniers du gouvernement guinéen a conclu que l’entreprise montréalaise avait omis de payer 9,6 millions $ d’impôts. (VII) Le Comité Technique a aussi découvert que la compagnie n’avait pas « produit d’études de faisabilité détaillées » et qu’elle ne « respectait pas les nouvelles règles du code minier de 2011. » (VIII) Le Comité Technique a recommandé que SEMAFO soit mise à l’amende et que lui soit retirés ses droits miniers dans le pays.

À l’est, SEMAFO a ouvert la première mine d’or à grande échelle du Niger. Une manchette de la section affaires du journal The Gazette de 2007, intitulée : « Une minière d’ici est un joueur majeur au Niger : Ce n’est pas tous les jours que nous recevons un communiqué de presse provenant d’une minière qui exploite des mines d’or qui inclut un chaleureux message personnel du Premier ministre », faisait état des liens serrés entre SEMAFO et Hama Amadou, alors premier ministre du Niger. « Nous travaillons très étroitement avec lui », a déclaré La Salle. « Nous faisons partie de son budget à tous les ans. » (IX)

La Salle a décrit comment le Premier ministre a aidé sa compagnie à briser une grève à sa mine de Samira Hill à l’ouest du pays. « Il nous a donné toutes les bonnes informations pour régler le conflit de façon légale » a déclaré La Salle. « Nous sommes allés en cour, nous avons obtenu que la grève soit déclarée illégale, ce qui nous a permis de congédier certains employés et d’en réembaucher un certain nombre sous un nouveau contrat de travail. Ça nous a permis de nous défaire de quelques employés indésirables parce qu’ayant pris part à quelques grèves.» (X)

Cette grève difficile a mené à une enquête parlementaire portant sur des dommages causés à l’environnement par la mine, sur le manque de retombées pour les communautés locales et sur le traitement réservé aux mineurs. Les membres de l’Opposition ont accusé SEMAFO de payer des « salaires d’esclaves. » (XI) « Les salaires sont très bas », a expliqué Mohammed Bazoum, chef adjoint du principal parti d’opposition du Niger en 2009. (XII)

SEMAFO a aussi été accusée d’avoir négligé de payer les impôts et les dividendes dus au gouvernement. Malgré le fait qu’il possédait 20 % des parts de la mine de Samira Hill, le gouvernement n’a reçu aucun paiement direct de l’actionnaire majoritaire de l’entreprise montréalaise entre 2004 et 2010. (XIII)

Dans le pays voisin, l’entreprise était proche du président Blaise Compaoré, qui a pris le pouvoir en 1987 en assassinant Thomas Sankara, « le Che Guevara d’Afrique », qui avait procédé à d’importantes améliorations sociales et politiques, durant ses quatre années à la tête du pays.

La Salle a travaillé en étroite collaboration avec Compaoré durant presque deux décennies, parcourant la planète en faisant l’éloge du gouvernement du Burkina Faso. Après avoir quitté le poste de Premier ministre qu’il a occupé de 2007 à 201l, Tertius Zongo a été nommé au conseil de direction de SEMAFO, et lors du Gold Forum tenu en Australie en septembre 2014, les dirigeants de SEMAFO ont louangé le gouvernement burkinabé en le qualifiant de « démocratique et stable ». (XIV) Le mois suivant Compaoré était chassé du pouvoir par des protestations populaires, faisant suite à sa tentative d’amender la constitution afin de prolonger la durée de son mandat.

Après avoir mis fin à 27 ans de règne de Compaoré, des groupes communautaires et les mineurs ont entamé une vague de protestations contre les minières étrangères, dont la plupart sont canadiennes. Dans un article de Bloomberg intitulé : « La révolte secoue les mines du Burkina Faso après la fuite du président », le directeur des affaires corporatives de SEMAFO, Laurent Michel Dabire, a déclaré que l’entreprise songeait à financer la mise sur pied d’une nouvelle unité policière, dédiée à la protection des intérêts miniers dans le pays. (XV)

SEMAFO est une conséquence du travail de La Salle à Plan Canada, une composante d’une ONG international jouissant d’un budget d’un milliard $ par année. La Salle a déclaré que SEMAFO « a été créée en 1995 durant ma première visite au Burkina Faso dans le cadre d’une mission de l’ONG Plan. À l’époque je suis président du conseil d’administration de Plan Canada et un des directeurs de Plan International. Alors, après que la visite au Burkina Faso organisée par Plan m’ait donné l’opportunité de créer des liens avec les autorités nationales, j’ai décidé de créer SEMAFO pour participer au développement de l’industrie minière du Burkina Faso. » (XVI)

En tant que porte-parole francophone désigné de Plan Canada, La Salle a fait la connaissance de Compaoré. « Le président s’est adressé à moi », a déclaré La Salle à un autre reporter, « et il m’a dit que je devrais revenir dans son pays avec l’expertise canadienne pour aider son pays à développer son secteur minier. » (XVII)

La Salle a apporté l’expertise et Compaoré a accordé au Canadien un immense territoire à prospecter. « Le territoire que nous avons va bien au-delà de ce que vous pourriez voir n’importe où ailleurs dans le monde », s’est vanté La Salle. (XVIII)

Compaoré a été bon pour La Salle. L’humanitaire canadien a fait des millions de dollars avec les minéraux du Burkina Faso (ainsi qu’avec ceux du Niger et de la Guinée). Quand il a démissionné en 2012, après 17 ans en tant que président de SEMAFO, La Salle a reçu une prime de départ de 3 millions $, en plus de son salaire de 1 million $. (XIX)

La Salle n’est que l’un parmi une longue liste d’Occidentaux qui ont demandé au monde de croire ce qu’ils disent, mais d’ignorer les conséquences de ce qu’ils font – un doreur d’image – qui, en public, se drape dans des idéaux humanitaires, pendant qu’il exploite l’Afrique à fond de train.

 

[i] http://www.theaureport.com/pub/na/first-do-good-when-mining-for-gold-benoit-la-salle

[ii] Alpha Condé suspend le secrétaire général du ministère des mines pour la vente « illicite » des mines d’or de Kiniero, 5 juin 2014 (http://guineenews.org/alpha-conde-suspend-le-secretaire-general-du-ministere-des-mines-pour-la-vente-illicite-des-mines-dor-de-kiniero/)

[iii] Three said killed in army crackdown on small scale miners in central east Guinea, BBC Monitoring Africa –BBC Worldwide Monitoring, 6 juin 2008

[iv] Ibid

[v] Peter Koven, Protests in Guinea won’t hurt SEMAFO, National Post, 21sept. 2011

[vi] Woes for Canada’s SEMAFO at Kiniero; Gold, Africa Mining Intelligence, 28 sept. 2011

[vii] SEMAFO caught out by Mazars law, Africa Mining Intelligence, 24 mars 2015

[viii] Ibid

[ix] Don MacDonald, Local Miner a Major Force in Niger, Montreal Gazette, 16 avril 2007

[x] Ibid

[xi] Geoffrey York, Niger: Digging in: uranium’s next frontier, The Globe and Mail, 9 fév. 2009

[xii] Ibid

[xiii] Lawrence Williams, SEMAFO Facing an African Gold Take-Away?, 1er sept. 2010 (http://www.mining.com/semafo-facing-an-african-gold-take-away/)

[xiv] Burkina Faso coup highlights African investment risks, The West Australian, nov. 2014

[xv] Ibid

[xvi] Daouda Emile Ouedraogo, Benoît La Salle, PDG de la SEMAFO: “Le secteur minier sera un des moteurs du développement du Burkina Faso” 28 mai 2007 (http://www.lefaso.net/spip.php?article21052)

[xvii] Yan Barcelo, Midas Touch: A CA discovers an El Dorado in West Africa, CA magazine, août 2010 (file:///C:/Users/n_hausf/Downloads/CAmagazine-August-2010.pdf)

[xviii] Peter Koven, The benefactor turns a profit; SEMAFO grew out of a charitable visit to Africa, National Post, 29 juil. 2010

[xix] http://affaires.lapresse.ca/economie/energie-et-ressources/201304/08/01-4638807-le-fondateur-de-semafo-quittera-le-conseil.php