Pour l’arrêt immédiat du commerce d’enfants et de la location du ventre des femmes pauvres

2016/03/02 | Par Michèle Sirois et Diane Guilbault

Les auteures sont respectivement présidente et vice-présidente de PDF Québec (Pour les droits des femmes du Québec)

Des images de mignons bébés dans les bras de parents visiblement comblés circulent sur le net. Les médias font large part aux vedettes américaines et même québécoises comme Joël Legendre, qui ont eu recours à des mères porteuses. Comment ne pas s’attendrir et dire oui à ce phénomène qui prend de l’ampleur ?

À la suite de Noam Chomsky, on peut parler d’une véritable opération médiatique pour « fabriquer le consentement » et amener la population à adhérer aux politiques mises en place pour favoriser l’industrie milliardaire qui fait commerce de la chair humaine et organise le tourisme reproductif. Et cela, sous le prétexte de mieux encadrer une réalité sociale qui existe et d’assurer « l’intérêt supérieur » de l’enfant déjà né.


 

Les dérives de l’industrie de la maternité pour autrui

Un millionnaire japonais qui a commandé 16 enfants en Thaïlande, un bébé trisomique abandonné par ses parents commanditaires, des femmes indiennes déplacées au Népal pour servir de reproductrices. Ce ne sont que quelques-unes des dérives de cette industrie.

D’origine indienne, l’universitaire Sheela Saravanan a témoigné aux Assises pour l’abolition universelle de la maternité de substitution (février 2016) de ce qui se passe en Inde, pays qui compte plus de 3 000 cliniques qui ont recours aux mères porteuses.

Ces dernières sont recluses dans des établissements sans assurance-maladie, sans pratiquement aucune mesure de protection en cas de complications, avec une très faible rémunération et avec très peu de droits. Quant aux enfants handicapés, c’est l’orphelinat ou la rue qui les attendent.

De plus, un véritable eugénisme s’installe à la faveur des possibilités offertes par le diagnostic pré-implantatoire qui permet de sélectionner le sexe de l’enfant et un certain nombre de caractéristiques désirées par les parents qui commandent l’enfant. L’enfant « à la carte » favorise la production d’enfants « blancs », le plus souvent pour des parents occidentaux.

C’est une véritable division internationale de la reproduction qui est en train de se mettre en place. Les ovules proviennent souvent de femmes pauvres de l’ancien Bloc de l’Est, mais qui seront implantés de plus en plus dans le ventre de femmes du Tiers-monde, pour moins cher et avec « l’avantage » que celles-ci ont moins de droits qu’aux États-Unis, au Canada ou en Europe de l’Ouest.

 

Paver l’expoitation des femmes avec de bonnes intentions

Au Québec, même si la situation des mères porteuses n’est pas aussi dramatique que celle des femmes des pays pauvres, il existe un écart de richesses et de pouvoir entre les femmes susceptibles de devenir mères porteuses et ceux qui les mettent sous contrat, à savoir les parents commanditaires qui font affaire directement avec une mère porteuse ou, situation plus fréquente, les agences bien organisées offrant le service clé en main avec une batterie d’avocats, de financiers et de cliniques de fécondation in vitro.

C’est, en fait, toute cette série d’intermédiaires qui récolte vraiment la manne alors que ce sont les mères porteuses qui courent tous les risques et devront remettre l’enfant coûte que coûte aux personnes qui l’ont commandé, conformément au contrat. En fait, parlons plutôt « des » enfants d’une mère porteuse ainsi conçus, car c’est plus rentable d’implanter plusieurs embryons, même si c’est plus risqué pour la mère.

Dans un tel contexte d’échange marchand, peut-on croire ceux et celles qui parlent d’encadrer le recours aux mères porteuses si la mère consent « volontairement » à remettre l’enfant à ses commanditaires ?

Cette notion de consentement est pourtant la pierre angulaire de la réforme du droit de la famille au Québec proposé en juin 2015 par le Comité consultatif sur le droit de la famille (CCDF) présidé par le juriste Alain Royi. C’est aussi la position défendue par le Conseil du statut de la femme (CSF) dans son avis portant sur les mères porteuses de février 2016ii.

Qui peut vraiment croire à la gratuité dans ce cas, à part quelques rares cas d’entraide familiale ? Qui peut affirmer sans l’ombre d’un doute l’existence du consentement éclairé et libre quand les mères porteuses ont si peu de pouvoir face à des agences si puissantes ?

 

Écran de fumée

« Conditions minimales d’encadrement », comme le propose le comité consultatif, « mère bénévole » comme le demande le CSF, « non aux maternités pour autrui commerciales », que voilà un bel écran de fumée pour camoufler la brèche importante qu’on vient de faire au principe fondamental de la société québécoise, soit l’inviolabilité de l’être humain et la gratuité des produits du corps humain, comme le sang, les organes, le lait maternel et, bien sûr, les enfants. N’est-ce pas dangereux d’ouvrir la porte aux vautours pour ensuite prétendre protéger les victimes ?

Sous prétexte de prendre acte de l’existence de ce phénomène et de protéger les femmes et les enfants, l’exploitation des potentialités reproductives des femmes ainsi que l’achat et la vente d’enfants acquièrent une véritable légitimité, conduisant logiquement à la légalisation de la maternité pour autrui et permettant ainsi à l’industrie du ventre des femmes de prospérer au grand jour.

Tout cela dans un contexte où le gouvernement fédéral ne cache même pas son mépris de la loi de 2004 interdisant de rémunérer les mères porteuses, en incitant ouvertement les gens à faire du tourisme procréatif à l’étranger ce qui leur permet de contourner la loi canadienne!iii Sans compter également les tractations qui sont en train d’être menées au niveau international par l’entremise de la Conférence de La Haye laquelle semble très ouverte aux demandes de l’industrie de la maternité pour autruiiv.

 

Contrer le commerce et le blanchiment d’enfant

Dans un système économique globalisé qui ne s’embarrasse pas de principes moraux, la recherche du profit maximal s’intéresse à la traite des êtres humains, notamment à la traite des femmes et des enfants, au commerce des organes, des ovules et au développement de la maternité de substitution.

Malheureusement, pour l’industrie de la reproduction, le Code civil du Québec présente une entrave majeure, avec son article 541 qui prévoit que toute convention de maternité pour autrui est nulle, de nullité absolue, ce qui implique que les agences et les parents qui commandent un enfant n’ont pas de recours légaux pour faire exécuter le contrat.

Par contre, la mère porteuse n’a pas non plus de protection pour forcer les parents commanditaires à remplir leurs responsabilités. Au lieu de bonifier l’article 541 pour assurer la protection de la mère porteuse, le CCDF propose de supprimer cette protection juridique essentielle pour éviter le commerce de mères porteuses. Le Conseil du statut de la femme a lui aussi renoncé à cette protection juridique se contentant d’affirmer des principes généraux.

Pour contrer le commerce d’enfant, il faut refuser de légaliser le recours aux mères porteuses et renforcer certaines dispositions du Code civil du Québec. Tout comme on refuse de blanchir l’argent issu des paradis fiscaux ou de trafics illégaux, il nous faut également tarir à la source le développement du commerce illégitime et illégal de la chair humaine.

On doit cesser le « blanchiment d’enfant » qui s’opère par la reconnaissance par l’État civil du lien de filiation entre les parents commanditaires, qui ont contourné la loi, et l’enfant issu d’une MPA.

 

Respecter les droits humains

Que faire alors pour assurer les droits fondamentaux de l’enfant déjà né et qui n’est nullement responsable des conditions de sa venue au monde ? L’une des avenues serait de confier l’enfant à des parents qui sont inscrits sur la liste d’adoption et dont les capacités parentales ont été évaluées par les autorités compétentes.

Ainsi, l’intérêt supérieur de cet enfant sera bien mieux assuré que par des parents commanditaires dont la seule évaluation aura été leur capacité de se payer un enfant.

Par le fait même, on viendra également protéger l’intérêt supérieur de l’ensemble des enfants et leur droit de ne pas être considérés comme des marchandises et des objets de contrats commerciaux.

On ne peut emprunter la voie de l’encadrement du recours aux mères porteuses, tout comme on n’accepte pas d’encadrer d’autres violations des droits humains comme la violence, l’esclavage ou le tourisme sexuel sous prétexte que ça existe.

La dignité des femmes et la protection de leurs droits fondamentaux exigent qu’on ferme la porte à l’industrie des mères porteuses, comme vient de le faire la Suède et ainsi que le demandent le Parlement européen et les signataires de la Charte pour l’abolition universelle de la maternité de substitutionv.


Le silence «tonitruant» de la gauche au Québec

On aurait pensé que la gauche québécoise serait depuis fort longtemps montée au créneau pour dénoncer un commerce qui s’apparente à la traite humaine. En effet, la MPA constitue une pratique par laquelle des femmes démunies sont pendant 9 mois les esclaves d’un contrat lequel, via une agence, les lie à des commanditaires qui désirent s’acheter un enfant qui aura leurs gènes. Ce n’est pas le hasard si, de plus en plus, on fait porter cet enfant par une femme de couleur qui, ça tombe bien, ne transmettra pas ses traits «exotiques» au bébé.

En France, la gauche est divisée. Au Québec, elle est pratiquement absente du débat. Comment l’expliquer ? Méconnaissance des enjeux éthiques soulevés par la maternité pour autrui ? Ou bien prise de position en faveur des personnes présentant une infertilité médicale ou sociale qui demandent que la société mette à leur disposition un utérus de femme en prétendant rétablir ainsi une certaine « justice reproductive »? C’est en tous les cas l’étrange choix qu’a fait la Fédération du Québec pour le planning des naissancesvi. Ainsi, des organismes que les femmes se sont donnés pour défendre leur libre choix de procréer adhèrent à la proposition de la gestation pour autrui afin d’assurer que l’enfant soit le produit des gènes du père. Comment expliquer ce retour du patriarcat et cela, même parmi des organismes ou des associations dont la mission première était de protéger les droits des femmes ?


 

i Pour un droit de la famille adapté aux nouvelles réalités conjugales et familiales, http://www.justice.gouv.qc.ca/francais/publications/rapports/pdf/droit_fam7juin2015.pdf