Bilan du Sommet des Femmes 

2016/03/08 | Par Rose St-Pierre

Le 3 et 4 mars dernier se tenait le Sommet des femmes à Montréal. Réunissant environ 1200 participantes, cette grande rencontre entre personnalités publiques, citoyennes et politiciennes a permis de faire le point sur la condition des femmes au Québec.

Lors de conférences, panels et ateliers, les participantes étaient invitées à interagir, se consulter et travailler à l’écriture de résolutions qui seraient présentées aux politiciens lors de la dernière journée du sommet.

Femmes racisées, femmes et violence, jeunes femmes et engagement, responsabilités familiales, homme et féminisme sont parmi les enjeux retenus.

Organisé par, entre autres, Lise Payette et Martine Desjardins, le Sommet des Femmes fait suite à la publication cet automne du Manifeste des Femme.

« Il est temps de passer de la parole aux actes, clamera Lise Payette en conférence d’ouverture. Il faut arrêter d’élever les petites filles comme des princesses qui attendent d’être sauvées. Prenons la place qui nous est due. Nous ne voulons plus marcher derrière les hommes, mais côte à côte. Ensemble, nous sommes une force incroyable. Le mouvement féministe a toujours été patient et pacifique. Il n’a jamais provoqué de guerre. Mais il est déterminé à lutter pour que les femmes ne soient plus des citoyennes de seconde classe. »

 

Retour sur deux des 11 ateliers qui ont marqué ce sommet.

Femmes et lieux décisionnels

Rose Marie-Charest, auparavant présidente de l’Ordre des psychologues du Québec, et Louise-Champoux Paillé, administratrice de sociétés certifiées (dont le CHUM et la SAAQ) ont animé l’atelier sur l’égalité homme femme dans les lieux décisionnels.

Les conseils d’administration, conseils syndicaux, comités exécutifs ou assemblées d’actionnaires comprennent trop peu de femmes. Elles sont présentes à 23 % seulement à l’intérieur des CA. Le défi? Convaincre les femmes, et en particulier les jeunes, de siéger sur des conseils et d’occuper des postes décisionnels.

Pourtant, avance Rose-Marie Charest, les organisations auraient tout à gagner d’une représentation plurielle : « Les organisations savent qu’elles doivent être plus diversifiées, mais surtout elles en ont besoin. » Et pour briser le plafond de verre, il faut non seulement que davantage de femmes postulent sur des CA ou des postes de direction, mais il faut aussi « valoriser les femmes au pouvoir. Et aussi comment elles prennent le pouvoir : authentiquement, honnêtement. La sensibilité est au service du pouvoir. Et elle représente un atout! »

Reste que les obstacles à l’engagement persistent et les femmes doivent toujours souscrire à un « uniforme physique et psychologique lourd » lorsqu’elles tentent de se tailler une place dans le boy’s club. Des incitatifs sont donc nécessaires, parce qu’il ne suffit pas que les femmes se lancent et se taillent une place, elles doivent aussi être attendues.

Pour Mme Champoux-Paillé, les outils politiques se font attendre : « Il faut aller plus loin qu’une loi pour atteindre la parité dans les sociétés d’État. S’il faut arriver aux quotas, on y arrivera. Il faudrait aussi que les sociétés cotées en bourse aient des incitatifs. Le pouvoir politique pourrait aussi exiger que les grandes sociétés d’État soient paritaires dans les postes de haute direction. Il faut malheureusement faire pression et exiger un changement pour provoquer une ouverture à la différence. »

Dans la salle, suite au mot d’ouverture de Mme Charest et Champoux-Paillé, de petits groupes de femmes sont attablés et discutent : comment inciter les femmes à se lancer dans le monde des affaires, dans le monde syndical ou politique?

Chaque groupe débat et travaille à une proposition qui sera présentée à l’ensemble : certaines proposent un revenu minimum garanti pour permettre aux mères et aux proches aidantes (en majorité des femmes) d’être présentes sur la place publique. On privilégie aussi l’éducation; sensibiliser à l’égalité dès le plus jeune âge semble essentiel. Les actions de solidarité, le mentorat et le réseautage entre femmes sont aussi évoqués.

« Il faut aussi croire en soi », ajoutera une participante, « Et pour ça il faut se donner du pouvoir dans notre vie personnelle, donner les moyens financiers aux femmes de le faire, éliminer les règles qui nous pénalisent et donner de la visibilité aux femmes qui occupent des lieux de pouvoir. »

 

Femmes et socialisation

Hélène Charron, chercheuse et directrice de la recherche par intérim au Conseil du statut de la femme, anime l’atelier femmes et socialisation. La sociologue disposera de 20 minutes pour résumer des années de recherche en sociologie des genres et vulgariser la grande proposition de ce courant : le genre n’est pas inné, il s’apprend. « On ne naît pas femme, on le devient » écrivait Simone de Beauvoir il y a déjà plus de 50 ans.

Devant un public novice en la matière, Mme Charron fait la démonstration que les rôles traditionnels attribués aux hommes et aux femmes, les stéréotypes sexuels et sexistes et le système de rapports sociaux de sexe inégalitaire conduisent à une socialisation du genre extrêmement discriminatoire.

Dès le plus jeune âge, la famille, les pairs, l’industrie et l’école renforcent des comportements genrés chez les petits. Mme Charron critique l’essentialisme, l’inné ou la nature profonde. Les identités sont construites, suggère-t-elle, et des années de recherche le prouvent.

« La socialisation du genre est très ancrée en nous. En fait, elle est presque inconsciente. Ce sont des règles fondamentales qui dictent les comportements et préférences appropriés pour chaque genre. De grandes institutionnalisations les renforcent : la culture, l’école et la famille. »

Les petits sont déjà envahis d’un univers symbolique avant même la naissance. On décorera la chambre du bébé différemment selon le genre qu’on lui attribue. Les premiers jouets sont aussi genrés : outils, aventures, superhéros pour les garçons et douceur, romance, esthétisme, apparence, relationnel pour les petites filles. Tout est différencié : les couches, les sacs à dos et la couleur des vêtements. « Déjà, on structure les identités et on construit l’imaginaire dans lequel les enfants se projetteront. »

On encouragera d’ailleurs davantage les enfants qui répondent à leur identité de genre, et ce de façon constante. Selon qu’on soit une fille ou un garçon, on ne bénéficie pas du même encouragement à la même échelle. Les attitudes sont en effet différentes envers les filles et les garçons qu’on soit un parent ou un éducateur.

Les recherches démontrent que les enseignants ont des interactions différentes avec les garçons et les filles. On s’attend à ce que les filles respectent davantage les règles, soient plus calmes, maîtrisées et assidues. Elles devraient se montrer plus attentives au regard de l’autre ce qui fragilise souvent leur estime d’elles-mêmes et amène les filles à mieux réussir dans un cadre scolaire.

Mais cela les pousse aussi à s’orienter dans des domaines moins rémunérateurs et plus dévalorisés socialement (et d’ailleurs moins bien payés).

Pour les garçons, il est plus normal d’être agité. Mme Charron avance que dès le primaire, les garçons, à travers certains jeux, comprennent le fonctionnement de certains types d’institutions, de pouvoir, et prennent conscience du jeu politique et de ce qu’il faut faire pour vaincre.

« Même quand on a conscience de cette différence, c’est impossible de rompre entièrement avec ce qui nous a constitué au risque d’être condamné à la marginalité et à l’exclusion sociale. Une large part de ces schèmes sont inconscients et difficiles à déconstruire. »

Une formation d’appoint sur l’égalité des genres pour les éducateurs et les enseignants, ou une campagne de sensibilisation ne suffit pas à renverser ces schèmes fondamentaux. « C’est un travail de longue haleine qui doit être fait et qui doit être structuré dans nos institutions sociales. Ce sera tout de même dur et long de se défaire de nos résistances. Il faut aussi cesser de dire aux enfants qu’on vit dans une société égalitaire et lutter contre un discours qui considère les différences entre les genres comme naturelles. »

Dans la salle, les réactions sont divisées : incompréhension, fascination et indignation. La tâche est énorme à accomplir, mais ce mouvement pourrait aussi rallier davantage. « En fait, les modèles de genres sont toxiques pour tout le monde. Tous les genres souffrent de cette construction sociale, suggèrera une participante, et tous ont intérêt à les requestionner. »

« C’est un arrangement social qui supporte un système de pouvoir, le patriarcat », affirme une jeune fille au micro. D’autres contestent l’analyse et considèrent qu’on interagit indifféremment avec les garçons et les filles et que « la religion constitue une forme de socialisation qui comporte des conséquences beaucoup plus importantes ».« Ensemble nous sommes une force incroyable »