L’affaire Villanueva demeure d’actualité, non seulement parce qu’une pièce de théâtre nous invite à y replonger

2016/03/10 | Par Julien Beauregard

Le 8 août 2008, l'agent du SPVM Jean-Loup Lapointe tire quatre coups de feu lors qu’une intervention auprès de jeunes hommes jouant aux dés dans le parc Henri-Bourassa dégénère. Trois d’entre eux sont atteints, l’un d’eux, Fredy Villanueva, mourra.

Soixante secondes se sont déroulées entre l’arrivée de la police sur les lieux et la conclusion tragique de cette intervention.

Le lendemain, une émeute éclate à Montréal-Nord. Des saccages se sont produits et des incendies sont déclenchés. Des coups de feu sont tirés et une agente de police est atteinte à la jambe.

Tout a peut-être été dit sur la mort de Fredy Villanueva le 9 août 2008. Pourquoi s’y intéresser encore? Peut-être parce que l’enquête publique visant à faire la lumière sur cette affaire, conduite par le juge en chef adjoint de la Cour du Québec, André Perreault, a été l’une des plus laborieuses et couteuses.

Pour un tel travail accompli, les recommandations du juge, coroner ad hoc, sont pour beaucoup des voeux pieux dans l’action politique (rien pour contredire les cyniques).

On pourrait croire que de s’y intéresser encore serait une façon de rentabiliser cet investissement public, mais ce serait agir avec une mentalité de gestionnaire, sans considération pour la tragédie ayant couté une vie humaine et blessé profondément le vivre ensemble.

L’affaire Villanueva demeure d’actualité, non seulement parce qu’une pièce de théâtre reproduisant à sa façon l’enquête du juge Perreault nous invite à y replonger, mais aussi à cause d’affaires similaires qui se sont déroulées dans les dernières années à Ferguson, à Beltimore et à Chicago.

Dans un entretien donné à l’aut’journal, le metteur en scène Marc Beaupré a confié qu’en réalité, ce sont ces événements, qui ont attiré l'ire des Noirs américains des communautés concernées, qui l’ont motivé à mettre en scène la pièce documentaire d’Annabel Soutar Fredy.

Le théâtre documentaire de Soutar (Grains, Sexy béton, Le partage des eaux) incite à la conscientisation dans l’exploration de la complexité de son sujet. Pour ce faire, l’auteure théâtralise autant sa démarche créatrice que le résultat de cette démarche.

Son travail de recherche l’amène à questionner des personnes liées de près ou de loin à ce qui s’est produit le 9 août 2008. Beaupré explique que, très vite, le SPVM, craignant pour son image, a cessé toute collaboration. La pièce évoque ce refus en mettant en valeur la condescendance dont elle a fait preuve à l’égard de la démarche de Soutar.

L’auteure s’est également heurtée à un blocage venant de l’entourage des Villanueva. Cela ramenait trop de mauvais souvenirs. De plus, on comprend, au cours de la pièce, qu’il n’y avait pas d’intérêt pour s’investir dans un projet qui n’aurait pas davantage dénoncé le comportement policier.

Le racisme est l’éléphant dans la pièce. C’est un terme - voire une accusation - qui ne peut être pris à la légère, bien qu’elle soit galvaudée. «Imagine, dit Beaupré, on n’en finit plus, si la police, la GRC, la SQ avoue leur racisme.» Ce serait même trop simple pour expliquer l’affaire Villanueva.

Ni Soutar, ni Beaupré n’ont voulu faire le théâtre du racisme policier, au grand désespoir du groupe de soutien à la famille Villanueva, qui s’apprêtait à dénoncer leur démarche théâtrale, n’eut été la caution morale donnée par l’un de leur membre, Ricardo Lamour.

Ce dernier, tout en maintenant ses réserves à l’égard de la démarche, a accepté d’incarner le juge Perreault. Il porte en lui les contradictions d’un projet intrusif dans la mémoire douloureuse de la communauté de Montréal-Nord, et ce au profit d’un art qui se veut utile, le tout avec une volonté de respect pour les parties impliquées.

Bien qu’il dit avoir voulu montrer «l’opposition entre l’establishment et la rue», Beaupré insiste sur sa volonté de vouloir montrer toutes les facettes de cette affaire. Il indique que le juge Perreault lui-même a inscrit dans son rapport la difficulté d’obtenir toute la vérité sur cette histoire:

«Tout au long des audiences, j'ai tenté de faire en sorte que les témoins aient la possibilité d'exprimer librement leur version de l'événement et que les personnes intéressées situent le contexte de celui-ci pour mieux dégager, à partir des versions souvent disparates, parfois carrément contradictoires, l'essence de ce qui apparaît constituer la trame factuelle afin de mieux être en mesure d'exposer ce qui peut expliquer que Fredy Villanueva ait perdu la vie ce soir-là» (extrait du rapport du juge Perreault).

La conclusion à laquelle on en arrive et à laquelle en est arrivé le juge est que rien de ce qui constitue un élément de preuve isolé ne peut à lui seul expliquer la conclusion tragique de cette affaire. C’est sans compter que le processus d’obtention de la preuve a été vicié par les différents corps de police impliqués.

Jamais Lillian Madrid, mère de Fredy, ne pardonnera au SPVM de lui avoir arraché la vie son fils le 9 août 2008. L’histoire de sa famille est celle fragilisée de réfugiés du Honduras venus reconstruire leur vie à l’écart de la persécution. Maintenant, elle n’a pas plus confiance dans la justice ici qu’elle n’en avait là-bas. Elle regrette même sa venue au pays.

Le temps fera peut-être ce que le système judiciaire n’a pas pu rendre à la famille Villanueva et à la communauté de Montréal-Nord. En attendant, une démarche comme celle menée par Soutar et Beaupré offre des pistes de solutions. «Je fait le pari que le racisme peut être dépassé», confie ce dernier.

En effet, avec une distribution hétéroclite où tous se paragent indistinctement les multiples protagonistes de cette tragédie, la pièce Fredy est en soi une piste de solution à la problématique du vivre ensemble à laquelle n’échappe aucune société moderne.

 

Fredy

Texte: Annabel Soutar
Mise en scène: Marc Beaupré
Avec: Solo Fugère, Ricardo Lamour, Nicolas Michon, Iannicko N’Doua, Alice Pascual, Joanie Poirier, Étienne Thibault
Une production de Porte Parole
Présenté au Théâtre La Licorne jusqu’au 26 mars 2016