Délivré de soi-même

2016/03/31 | Par Robert Laplante

Cet éditorial paraîtra dans le numéro d'avril des Cahiers de lecture de l’Action nationale

Préposé à la bien-pensance dans les émissions d’infodivertissement, auteur célébré d’essais sentencieux et grand semeur de lieux communs, Paul-St-Pierre Plamondon a l’intention de foncer dans l’avenir qu’il voit dans un rétroviseur. C’est du moins ce dont nous menace un article paru dans Le Devoir du 25 mars dernier (Marco Fortier, « Bouillonnement politique à Québec »). Le jeune avocat n’en peut plus d’affronter notre dilemme national. Entre l’impuissance consentie et la liberté à conquérir, le phare de la jeunesse éclairée propose de retourner dans les limbes du ni-ni.

Ni fédéraliste ni indépendantiste, le parti qu’il ambitionne de fonder n’en sera pas moins nationaliste pour se lancer avec fougue à la défense des acquis de la Révolution tranquille. L’avenir est derrière nous, il a souri pendant quelques années et fait grise mine depuis. Il suffira de donner son congé au réel pour qu’un espace politique s’ouvre. Incapable de saisir ou de vivre – si jamais cette conscience a pu effleurer ses ambitions de carrières – avec le constat qu’impose la dureté du régime, le jeune leader de rien a réuni quelques épigones et ils parleront avec assurance d’un avenir fondé sur l’éducation.

Il faut le reconnaître, l’ignorance sur laquelle se construit cette prétention a de quoi justifier tous les appels à l’analyse studieuse. Incapables de prendre acte du fonctionnement et des contraintes du régime qui a, précisément, sapé un à un tous les acquis de la Révolution tranquille dont ils ont la nostalgie, ces nouveaux chevaliers du pragmatisme sont condamnés à réinventer la « roue à trois boutons » si chère au programme politique de Sam Hamad. Il ne suffit pas d’affirmer à coups de déclarations pédantes que le Québec doit faire mieux pour que les choses se passent. Il suffit encore moins de snober son propre peuple pour se proclamer investi de la mission de l’élever à la hauteur de la dignité de ceux-là qui veulent lui faire la leçon. PSPP répète à qui veut l’entendre que le Québec est analphabète puisque, à l’entendre, la moitié de la population aurait du mal à lire un article de journal. Drapé dans la vertu, l’autodénigrement fonde sa posture. Il vaut toujours mieux s’en prendre aux gens qu’au régime. Il faut croire qu’au royaume de l’indigence intellectuelle, l’ignorance satisfaite donne de l’autorité.

C’est parce qu’il est entravé par le Canada que le Québec vit dans une sous-oxygénation intellectuelle qui l’empêche de se projeter avec confiance. PSPP ne s’enfarge pas des faits. Il préfère deviser sur la perte de confiance à l’endroit de la classe politique provinciale plutôt que d’analyser froidement la situation objective de la province. Déstabilisées par les décisions unilatérales d’Ottawa, les finances publiques du Québec sont à la merci d’un régime qui transforme peu à peu notre demi-État en agence de livraisons de services publics. Soutenu avec la complicité des libéraux de Philippe Couillard et de Justin Trudeau, le consentement à la minorisation dicte l’essentiel des programmes et décisions politiques. Le Québec n’a plus de destin propre pour cette engeance.

Prisonnier d’une carte électorale fédérale qui l’a minorisé à tout jamais, captif d’un mode de scrutin et d’un découpage électoral qui consacre le veto d’une minorité de blocage au service de laquelle s’affaire le Parti libéral du Québec, la démocratie québécoise n’est pas malade de notre peuple – quels que soient les travers qu’on lui reconnaisse. Ce n’est ni l’ennui, ni l’ignorance, ni la paresse qui menacent de garder les libéraux au pouvoir pour des décennies. On ne neutralise pas une minorité de blocage en blâmant ceux qu’elle empêche. On la brise en dénouant les contradictions d’intérêt et en imaginant les moyens de rompre les dynamiques institutionnelles qui lui donnent sa puissance et son efficacité. Les Québécois sont divisés par une structure et un régime politique qui nourrissent les divisions en déployant de puissants dispositifs de brouillage qui empêchent le développement d’une conscience claire de l’intérêt national.

La déconstruction du modèle québécois n’est pas d’abord le fait d’une volonté majoritaire – les deux tiers des Québécois n’ont pas voté pour le PLQ –, mais bien la conséquence d’un paradigme de normalisation déterminé à en finir avec les aspirations à se voir, se comporter et se projeter dans des formes et des finalités que le Canada ne veut plus tolérer. PSPP peut bien faire des phrases pour dire sa désolation de voir les CPE saccagés, le système de santé livré en pâture à la médico-business et le système d’éducation transformer en foire marchande, la vérité c’est que ses états d’âme ne changeront rien. Ce qui l’effraie, ce ne sont que les effets d’une régression structurellement programmée et qui ne se combattra qu’en sortant du Canada.

C’est parce que la structure provinciale nous empêche de décider par nous-mêmes que l’indépendance est essentielle. C’est parce que le Canada évolue de son mouvement propre et que ce mouvement l’entraine à intervenir dans tous les domaines de notre vie, à piétiner les partages de compétence et à réduire à l’accessoire l’action du gouvernement du Québec qu’il faut en sortir. PSPP s’agite comme si l’évolution du Québec participait de ses propres choix. Ce que le fonctionnement politique du Canada réel nie chaque jour un peu plus ouvertement. Dans le cadre provincial rien de ce que le Québec choisit ne sera jamais acquis. Rien de ce qui relève de nos choix ne peut être pérennisé.

Il est consternant de constater qu’un intellectuel et ex-politicien de la trempe de Camil Bouchard se soit lui aussi laissé aller aux illusions de l’autonomisme, en suggérant au Parti québécois de renoncer à l’objectif indépendantiste. Il se range dans le camp de la survivance. Comme d’autres, aussi ébranlés que lui, il a peur, Camil Bouchard, peur du saccage qu’il constate, peur de ce qui en découlera, peur de ce que cela signifie de misère et d’inégalités croissantes. Il n’ose pas se l’avouer, mais il a peur du Canada tel que nous le subissons et le subirons de plus en plus durement. La province de Québec ne peut pas nous donner les moyens de poursuivre notre voie propre. Elle ne sera jamais le rempart qu’il souhaiterait voir en lieu et place de la liberté. Il devrait savoir cela, si tant est qu’il a déjà compris que le projet d’indépendance ne peut s’accommoder d’aucun compromis conceptuel : s’il en était autrement, les Québécois seraient bien le seul peuple sur la terre pour qui le renoncement à la liberté serait la meilleure voie d’émancipation et de développement.

Ce n’est pas en répétant que « la population n’est pas là présentement » qu’il fera avancer les choses. On peut comprendre le dépit et l’effarement de l’ex-député, mais il faut lui rappeler ou, à tout le moins, lui faire voir que ce n’est pas en se défilant devant le travail de l’amener à lire sa condition et à se voir dans un cadre qui lui fera prendre conscience de son intérêt qu’on servira le peuple du Québec. Il n’y a plus rien à rénover, la Révolution tranquille est derrière nous. Son moment politique est terminé. Le modèle québécois pour lequel plaident les autonomistes est un spectre évanescent. Il n’aura été qu’une demi-mesure, un programme à moitié fait qui s’est effiloché malgré les efforts consentis par les pseudo-pragmatiques pour s’accommoder des demi-mesures au nom de la bonne entente. La province de Québec ne donnera jamais d’autres fruits, elle nous condamne au compromis bancal et au résultat éphémère.

Les souverainistes n’ont pas réalisé jusqu’à quel point est exigeante la politique indépendantiste. Ils ont été et sont encore trop nombreux à prendre prétexte d’une supposée réticence de l’électorat pour se laisser entrainer dans les logiques de la politique provinciale et les illusions du marketing politique. Ils déchantent sous le resserrement de notre carcan. Plusieurs perdent courage, d’autres vacillent. La morosité et l’effarement font le terreau fertile pour l’émergence des alibis démissionnaires. Mais il n’est plus possible de se laisser berner par l’illusion rhétorique : notre lutte est une vraie lutte, dure, âpre, épuisante mentalement, culturellement. Notre état de peuple dominé se cache de moins en moins bien derrière les métaphores. Le visage de la régression minoritaire est grimaçant.

L’indépendance n’est pas une option réalisable par le bricolage de programmes en vue de faire bouger des segments de clientèles électorales. Elle répond d’un mouvement de fond qui, s’il repose toujours sur une coalition, ne tient pas d’abord au consentement à l’ordre des choses, mais bien à la volonté d’en finir avec lui. Tant que les discussions tenteront de contourner la difficulté de proposer les conditions réelles de rupture des logiques du régime, les entourloupettes politiciennes et les gadgets politiques pollueront le débat. Cela impose une lucidité, un courage et une détermination qui s’accommode fort mal de la lâcheté politicienne sur laquelle repose la politique provinciale.

Les initiatives de PSPP ou les appels au renoncement de Camil Bouchard n’empêcheront pas le Canada de se faire sans nous. Il est inutile de se faire accroire que la politique provinciale peut réunir d’autres acteurs que des gens qui sifflent dans les cimetières. Le Québec n’est pas confronté à choisir entre une liberté allégée (un régime politique minceur) et l’indépendance. Il est en face de sa propre peur. Et il n’a que faire des propositions qui voudraient faire croire qu’il se porterait mieux s’il pouvait se délivrer de lui-même.