Tout est relatif !

2016/03/31 | Par Louis Gill

L’auteur est économiste, professeur retraité de l’UQAM

Réaffirmant avec force que la réalisation de l’équilibre budgétaire est une nécessité absolue pour le Québec, le ministre des Finances Carlos Leitão a acclamé du même souffle avec enthousiasme le déficit cumulé de 113 milliards de dollars sur cinq ans (de 2016 à 2021) annoncé le 22 mars lors de la présentation du budget fédéral par son homologue William Francis Morneau, que mon manque de familiarité avec lui m’interdit d’appeler « Bill ». Cette attitude « deux poids, deux mesures » du ministre Leitão se justifierait selon lui par le fait que le niveau d’endettement du gouvernement du Québec serait « beaucoup plus élevé » que celui du gouvernement fédéral.

Or, cette affirmation est difficile à soutenir à la lumière des statistiques comparées produites par M. Leitão lui-même le 17 mars dernier, dans son Plan économique du Québec (page E17). D’entrée de jeu, il faut préciser que diverses mesures de la dette sont utilisées. Le gouvernement du Québec utilise principalement le concept de « dette brute » qui comprend les emprunts contractés sur les marchés financiers et les engagements envers les régimes de retraite, alors que le gouvernement fédéral utilise celui de « dette attribuée aux déficits cumulés », qu’il désigne comme la « dette fédérale ».

En date du 31 mars 2015, la dette brute du gouvernement du Québec représentait 55 % de son Produit intérieur brut (PIB), un niveau plus élevé que celui du gouvernement du Canada (45,6 %), mais qui est loin d’être excessif. À la même date, le rapport au PIB de la dette attribuée aux déficits cumulés du gouvernement fédéral était de 31 %, un niveau à peine inférieur à celui du gouvernement du Québec, 32,7 %. Peut-on alors vraiment accorder de la crédibilité aux affirmations de M. Leitão quant à l’ampleur de l’endettement du Québec ? Ou ne faut-il pas plutôt voir dans son acharnement à réaliser l’équilibre budgétaire coûte que coûte un refus de tourner le dos aux politiques austéritaires qui l’ont guidé jusqu’ici ?

Pendant les six années de déficits budgétaires, de 2009 à 2015, la dette brute du gouvernement du Québec a augmenté de 46 milliards de dollars, mais seulement le tiers de cette augmentation a été le résultat des déficits budgétaires. La majeure partie de l’accroissement de la dette provient des investissements du gouvernement en immobilisations et de ses placements et prêts destinés aux sociétés d’État. Et au cours des prochaines années, même si le gouvernement réalise l’équilibre budgétaire comme il s’y est engagé, sa dette continuera d’augmenter, d’un montant de quelque 15 milliards d’ici 2021, prévoit M. Leitão, notamment parce que le gouvernement continuera d’investir dans les infrastructures.

Paradoxalement, le plan d’investissements en infrastructures annoncé dans le budget fédéral, qui est de 120 milliards de dollars sur dix ans (2016-2026) et qui se présente comme la colonne vertébrale du plan gouvernemental de relance de l’économie canadienne, est un plan relativement modeste si on le compare au Plan québécois des infrastructures présenté dans le budget du Québec, dont les investissements projetés pour les dix mêmes années sont de 89 milliards. Comme la taille de l’économie canadienne est d’environ cinq fois celle de l’économie du Québec, il faudrait que les investissements du plan fédéral d’infrastructures soient de 450 milliards de dollars sur dix ans, soit 3,75 fois le montant prévu de 120 milliards, pour que le plan fédéral ait l’envergure du Plan québécois !

Sous des apparences d’équilibre budgétaire, c’est en réalité un surplus de 1,5 milliards que le gouvernement du Québec a réalisé pour l’année qui s’achève et c’est un surplus cumulatif de 14,5 milliards qu’il projette de réaliser au cours des cinq prochaines années. Mais ces surplus seront entièrement déposés dans le Fonds des générations, afin, soutient le gouvernement, de réduire le rapport de la dette au PIB. Or, s’il ne déposait rien dans le Fonds des générations, ce rapport diminuerait quand même, moins vite assurément, mais il diminuerait néanmoins. Et cela laisserait des milliards de dollars à affecter aux besoins essentiels de la population qui, après des années de compression, continue à être soumise à rude épreuve.