La rébellion populaire contre les tests imposés aux élèves aux États-Unis (2)

2016/04/05 | Par Pierre Dubuc

Diane Ravitch décrit l’évolution récente du système d’éducation américain et la révolte des élèves et des parents contre le système d’évaluation par les tests.

Ex-sous-ministre de l’Éducation sous l’administration de George W. Bush, Diane Ravitch a rompu la politique en vigueur et a sévèrement critiqué l’évolution du système d’éducation américain dans The Death and Life of the Great American School System et dans Reign of Error.

Dans ce deuxième article, nous présentons la recension du livre The Prize de Dale Russakoff par Mme Ravitch. Pour lire le premier article, cliquez ici.

The Prize de Russakoff est un récit passionnant du plan manigancé par le maire Cory Booker de Newark et le gouverneur nouvellement élu Chris Christie du New Jersey pour faire de la réforme de l’éducation à Newark un modèle de portée nationale. Le point central de cette transformation qu’on espérait miraculeuse a été un cadeau de 100 millions $ par Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook, égalé par un autre 100 millions $ provenant d’autres philanthropes désirant prendre part à cette grande aventure.

Russako a été pendant plusieurs années journaliste au Washington Post et elle est l’auteure de plusieurs articles fort pénétrants sur un sujet complexe qui comprend les enjeux politiques de Newark, du New Jersey, de l’extraction d’importantes sommes d’argent à de très riches donateurs, et de l’imposition de réformes par des gens riches à une communauté afro-américaine méfiante.

Cela ne signifie pas que Russakoff néglige l’éducation. Le point central de son livre est la lutte pour le contrôle du budget d’un milliard $ de Newark (« the prize ») et l’affrontement entre de prétendus réformateurs comme Cory Booket et la population de Newark, qui désirait avoir son mot à dire dans l’éducation de ses enfants.

Newark est la plus grosse ville du New Jersey, mais aussi une des plus pauvres. Sa population a diminué après les émeutes des années 1960 et est passée de majorité blanche à majorité noire. L’inscription dans les écoles publiques a chuté dramatiquement, comme le démontre Russakoff. En 1967, 77 000 élèves fréquentaient les écoles publiques, contre 30 000 actuellement, alors que 13 000 élèves sont inscrits dans les écoles à charte.

Plus de 70% des familles sont monoparentales; 42% des élèves vivent sous le seuil de la pauvreté; le revenu médian des familles avec enfants est inférieur à 30 000 $.

Les résultats aux examens et le taux de diplomation dans les écoles publiques atteignent des bas-fonds abyssaux et le réseau public est considéré comme un échec, en dépit de l’importance de son budget.

Newark bénéficiait d’un avantage majeur pour les réformateurs. Ses écoles étaient sous le contrôle de l’État depuis 1995. Le gouverneur avait le contrôle total du district, de son budget et de ses dirigeants. L’État avait mis la main sur le district à cause de ses pauvres performances académiques et de la corruption rampante.

Mais, au cours des quinze années qui ont suivi, l’État n’a pas obtenu de meilleurs résultats que le système antérieur. Cory Booker, maire de Newark depuis 2006, voulait repartir le tout à neuf.

Booker a été élevé dans la banlieue toute blanche de Harrington Park, au New Jersey, et est diplômé de Stanford, Oxford et Yale. Il apparaît régulièrement dans les émissions sur les chaînes nationales de télévision, et est à l’aise parmi les gens riches, puissants et célèbres.

Russakoff décrit une promenade de Booker avec le gouverneur Christie dans Newark, un soir de décembre 2009, au cours de laquelle ils se sont mis d’accord pour élaborer un plan pour une transformation radicale du réseau des écoles publiques de Newark. Le document confidentiel que Booker a transmis à Christie proposait de transformer Newark en « capitale nationale de l’école à charte », de remettre en question la permanence et l’ancienneté chez les enseignants, et de recruter de nouveaux enseignants et de nouveaux directeurs à l’extérieur de Newark, et de mettre en place « des systèmes sophistiqués de données et de reddition de comptes ».

En juillet 2010, Booker a participé à une rencontre sélecte à Sun Valley, où il a côtoyé des directeurs d’importants fonds de placement et des entrepreneurs du domaine des hautes technologies. C’est là qu’il a rencontré Mark Zuckerberg.

Booker savait que des philanthropes cherchaient une ville où ils pourraient faire la preuve du succès de leur modèle d’affaires appliqué au domaine de l’éducation. Il persuada Zuckerberg que Newark était cette ville.

Booker croyait qu’une bonne éducation permettrait à chaque enfant de sortir de la pauvreté, et il croyait aussi qu’il était impossible que cela soit réalisable dans les écoles publiques de Newark à cause de la bureaucratie et des règles de permanence et d’ancienneté des enseignants. C’est pour cela qu’il voulait de l’argent pour transformer la ville en un district d’écoles à charte, sans syndicats, où des réformateurs comme lui pourrait imposer les réformes appropriées, comme d’évaluer les enseignants par des tests, pouvoir les licencier en tout temps, et embaucher les personnes désirées sans entraves.

Au mois de septembre, Zuckerberg, Booker et Christie profitèrent de leur présence à l’émission d’Oprah Winfrey, pour annoncer un don de 100 millions $, qui a eu pour effet de déclencher un tonnerre d’applaudissements. Lorsque Winfrey demanda à Zuckerberg pourquoi Newark, il répondit : « Je crois dans ces personnes-là… Nous faisons un don d’un million pour que le maire Booker et le gouverneur Christie aient la flexibilité requise pour transformer Newark en un symbole d’excellence éducative pour l’ensemble de la nation ».

Comme le souligne Russakoff, « Ce que Booker, Christie et Zuckerberg voulait accomplir à Newark n’avait jamais été réalisé à notre époque : transformer les écoles d’un district urbain en un succès de haut niveau à un échelle universelle. » Comme d’autres réformateurs, Booker le croyait honnêtement : « Nous savons ce qui fonctionne ». L’argent de Zuckerberg allait lui permettre de le prouver. Mais bien que Booker ait été perçu par les médias comme « une rock star », il devait composer avec un déficit budgétaire en hausse et faire face à une augmentation des crimes violents à chaque fois qu’il revenait de ses fréquents voyages de levée de fonds.

Il devait inévitablement se produire une réaction populaire contre Booker, qui était perçu par plusieurs de ses commettants comme consacrant trop de temps à ses riches et célèbres alliés blancs. La personnification du mouvement anti-Booker était Ras Baraka, fils du poète et auteur dramatique Amiri Baraka, enseignant et directeur du Central High School et diplômé d’une université noire, et non de la Ivy League.

Après avoir accepté le don de Zuckenberg, Booker et Christie se mirent à la recherche de nouveaux dons et d’un surintendant partageant leurs idées au sujet de la « réforme ». Ils mirent presqu’un an avant de trouver Cami Anderson, qui possédait toutes les qualifications requises.

Même si elle était blanche et blonde, elle avait grandi dans un milieu multiracial; son conjoint était un Africain-américain, tout comme son enfant; elle avait travaillé pour le programme Teach for America; et elle était une étoile montante au département de l’Éducation de la ville de New York dirigé par le chancelier Joel Klein. Booker et Christie avaient été particulièrement impressionnés par sa rudesse, une qualité nécessaire pour le travail à accomplir.

Russakoff décrit la lutte d’Anderson pour prendre le contrôle du district scolaire et imposer les réformes que les gens de l’extérieur appréciaient, mais que n’aimaient pas les résidents du district. Ces derniers la percevaient comme un agent des philanthropes blancs qui avaient mis de l’argent. Elle ne réussira jamais à gagner leur confiance. Dans une ville de pauvreté extrême, elle touchait 300 000 $ par année et embauchait des consultants à fort prix. Les commissaires scolaires de Newark n’avaient aucun pouvoir et les résidents insultaient Anderson aux assemblées des commissaires. Elle arrêta d’y assister.

Christie persuada la législature démocrate de réduire les dispositions concernant la permanence, mais non celles ayant trait à l’ancienneté. Le plus grand accomplissement d’Anderson a été de négocier avec les enseignants un nouveau contrat qui comprenait la paie au mérite et un nouveau système d’évaluation des enseignants, de même que 31 millions $ de réduction de salaires.

Le moment le plus difficile de sa gouvernance survint lorsqu’elle imposa une réorganisation du système scolaire qui élimina les écoles de quartier et replaça les élèves ailleurs dans le district. Un père de cinq enfants, qui était habitué chaque jour à conduire à pied ses enfants à l’école, devint furieux lorsque ses enfants furent assignés à cinq écoles différentes dans quatre quartiers.

L’histoire se termine quand Cory Booker est élu au Sénat des États-Unis, Chris Christie annonce sa candidature à l’investiture républicaine pour la présidence, et que Ras Baraka est élu maire, en faisant de l’opposition aux réformes d’Anderson, le thème principal de sa campagne, et qu’Anderson démissionne.

Il y a aujourd’hui plus d’écoles à charte à Newark. Aucun des réformateurs ne se préoccupa de la majorité des élèves qui ne fréquentaient pas les écoles à charte, et ce ne sont pas toutes les écoles à charte qui connurent du succès.