Observatoire en matière de droits linguistiques

2016/04/08 | Par Maxime Laporte

En réaction au lancement de l’observatoire «national» en matière de droits linguistiques qui sera lancé jeudi à l’Université de Montréal par le professeur Stéphane Beaulac et le doctorant et chargé de cours Frédéric Bérard, le Président général de la Société Saint-Jean-Baptiste (SSJB) de Montréal, Me Maxime Laporte, et le doctorant en droit linguistique de l’Université de Sherbrooke, Me Éric Poirier, ont soulevé des questionnements quant à l’objet de cet observatoire.

Me Laporte a fait valoir: «Dans un élan pour le moins jovialiste, messieurs Beaulac et Bérard condamnent le soi-disant «catastrophisme» et les mythes qu’entretiendraient les juristes défenseurs du français au sujet des jugements de la Cour suprême, lesquels ne seraient après tout, pas si défavorables au fait français... De plus, ils pointent du doigt le Québec qui plaiderait systématiquement à l’encontre des intérêts des francophones hors-Québec devant les tribunaux.»

Il a affirmé: «Or, il ne faut jamais perdre de vue que c’est le carcan constitutionnel canadien qui divise les Québécois et les franco-canadiens dans leur combat commun pour assurer la survie du français à long terme sur ce continent. L’opposition entre francophones, le constituant l’a en quelque sorte créée. Le fait que la constitution que nous a imposée Pierre Elliott Trudeau mette sur le même pied de fausse égalité, l’anglais et le français au Canada ou la minorité anglo-québécoise et les francophones hors-Québec, voilà ce qui crée les tensions auxquelles on assiste devant les tribunaux canadiens.»

 

Francophones hors-Québec c. Québec

«Si le Procureur général du Québec s’est souvent mêlé, dans notre intérêt national, des causes judiciaires concernant les minorités francophones du Canada anglais, l’inverse est aussi vrai. Par exemple, dans l’affaire MacDonald (1986), la Société franco-manitobaine est intervenue en faveur d’un Anglo-Québécois qui contestait, en vertu de l’art. 133 de la loi constitutionnelle de 1867, un constat d’infraction rédigé en français seulement au Québec... À la fin des années 70, un franco-manitobain, Georges Forest, ainsi que le procureur général du Nouveau-Brunswick, ont appuyé les prétentions de Blaikie et du procureur général du Canada dans leur croisade menée avec succès pour invalider les dispositions de notre Charte de la langue française en matière de langue de la législation…», a rappelé l’avocat de formation.

 

Asymétrie?

Il a ajouté: «Pour que le système soit juste, il faudrait qu’il existe une asymétrie véritable entre le Québec et le reste du Canada au plan des droits linguistiques… Il faudrait qu’au Québec, le français soit vraiment la seule langue officielle et commune et que dans le reste du Canada, les francophones puissent jouir de tous les droits qui sont nécessaires à leur épanouissement… Mais, cette asymétrie n’existe pas, ou si peu que pas. Le projet d’accord du Lac Meech aurait peut-être pu instaurer une telle asymétrie entre le Québec et le Canada anglais, mais celui-ci a échoué, comme on le sait. Si le professeur Beaulac et Me Bérard prétendent à l’existence d’une asymétrie fédérale qui serait profitable au Québec en matière de droits linguistiques, lequel devrait donc s’abstenir de préserver ses droits devant les tribunaux en tant qu’État fédéré, je crois qu’ils prennent leurs idéaux politiques pour des réalités. Plutôt qu’une observation, il s’agit vraisemblablement d’une plaidoirie.»

Me Poirier, qui parle ici en son nom personnel, auteur d’une étude très approfondie sur l’évolution de la Charte de la langue française, a soutenu: «Il est vrai que la Cour suprême, sans jamais utiliser l’expression, s’est montrée ouverte à une certaine forme d’asymétrie… L’arrêt Ford (1988), où la Cour a mis de l’avant le principe de nette prédominance du français dans l’affichage au Québec, limitant raisonnablement la liberté d’expression prévue par les chartes, peut en quelque sorte en être une démonstration, mais seulement dans la mesure où le Québec est capable de démontrer que le français est suffisamment en danger. On pourrait également citer l’arrêt Solski (2005). Or, cette asymétrie n’a pas empêché la Cour suprême d’invalider des dispositions de la Charte de la langue française dans l’affaire Nguyen en 2009. Autrement dit, cette théorie de l’asymétrie – qui demeure une création purement jurisprudentielle, n’a pas actuellement la stabilité et la certitude permettant au procureur général du Québec de faire de la défense d’une interprétation constitutionnelle favorable aux minorités de langues officielles son premier cheval de bataille.»

 

Jugements de la Cour suprême défavorables aux francophones hors-Québec

En conclusion, Maxime Laporte a indiqué: «Messieurs Beaulac et Bérard ont-ils oublié tous les jugements de la Cour suprême qui ont nui aux intérêts des Franco-Canadiens? Tout près de nous, à l’automne dernier, la Cour a donné tort à des francophones de l’Ouest (affaire Caron) qui tentaient de faire reconnaître le bilinguisme législatif en Alberta, invoquant ce qu’ils croyaient être une promesse royale faite aux Métis à la fin du 19e siècle… Et que dire de la décision rendue en 2013 dans Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique, où les francophones ont essuyé un revers quant à leur droit de déposer des documents en français dans les tribunaux de cette province… Dans l’arrêt Mercure (1988), la Cour refuse de reconnaître le bilinguisme législatif et judiciaire en Saskatchewan… Dans Société des Acadiens (1986), on nie à une commission scolaire son droit d’être compris par un juge en français sans l’intermédiaire d’une traduction simultanée. On peut plaider dans sa langue, mais on n’a pas le droit d’être compris dans sa langue.