Belote et rebelote

2016/04/12 | Par Michel Rioux

Chez un tailleur de pierres
Où je l’ai rencontré
Il faisait prendre ses mesures
Pour la postérité

- Jacques Prévert

Il y a de cela un certain nombre d’années, au moment où Victor-Lévy Beaulieu publiait LA REINE-NÈGRE et autres textes vaguement polémiques, j’avais commis dans ce journal un texte portant le titre La Reine de carreaux. Il y était question d’une petite vice-reine d’opérette, Michaëlle Jean, ci-devant gouverneure générale du Canada et, à ce titre, préposée à faire le ménage et à frotter les carreaux fédéraux à Ottawa, en lieu et place d’Élisabeth la seconde.

Elle parlait d’elle à la troisième personne. Le journal Libération l’avait présentée comme un heureux mélange de Lady Di et de Nelson Mandela. Harper l’avait inscrite dans la lignée de Samuel de Champlain, rien de moins. Comment garder la tête froide face à pareilles billevesées ?

Elle n’avait pas su la garder froide, sa tête. En octobre 2005, à l’occasion d’un banquet de la tribune de la presse, elle avait lancée, devançant en cela les recettes pompettes télévisées : « Ce soir, les autres, on s’en fout ! Je vais faire une folle de moi. »

Visiblement, elle avait atteint son objectif, à un point tel que sa propre sœur s’en était émue le lendemain, en s’adressant à sa Grandeur pour lui reprocher de s’être aventurée en terrain politique: « Se moquer aussi subtilement de tous ceux et de toutes celles qui aspirent à faire du Québec un pays souverain, n’y a-t-il pas là une intention politique à peine dissimulés ? »

C’était une soirée d’octobre. Cela n’en fit pas pour autant un évènement…

Mais son penchant pour les ors de la Couronne, les paillettes et tout le clinquant qui fait qu’on remplace par l’avoir ce qui nous manque comme être lui avait fait renier, comme à son prince consort d’ailleurs, quelques convictions visiblement fragiles par eux partagées.

Un documentaire tourné en 1991 par Jean-Daniel Lafont, La manière nègre, la présentait en compagnie de poètes engagés dans la lutte pour l’indépendance, les Chamberland, Godin, Ferretti, Vallières, Laferrière et autres, levant leurs verres «  à l’indépendance et aux indépendances ».

À l’époque où elle faisait la folle à Ottawa, les rumeurs portant sur ses goûts somptuaires couraient. Cela s’appellerait tomber en transe canadienne, à ce qu’on dit.

Belote et rebelote.

Sa Grandeur remet ça ces jours-ci. Après avoir été élue à la tête de l’Organisation internationale de la francophonie grâce aux fonds publics gracieusement fournis par Ottawa, Québec et l’université d’Ottawa, on apprenait récemment que le goût du luxe ne l’aurait pas quittée, loin de là ! 65 000 $ pour un séjour au Waldorf Astoria de New York, 20 000 $ pour un piano à queue dans sa résidence.

Comme il est difficile de se débarrasser de ses mauvaises habitudes. Des sommes que la Très Honorable, envoyée spéciale de l’Unesco en Haïti, aurait peut-être pu consacrer à y soulager la misère.

Côté cinéma, l’Excellence rapplique aussi. Vingt-cinq ans après La manière nègre, le consort revient cette fois avec Un film avec toi. Le toi étant elle, rien de moins. Film présenté le 21 avril au festival Vues d’Afrique, sous la présidence d’honneur de… son Excellence. Radio-Canada en a acheté les droits et le diffusera en mai.

Que l’Office national du film ait subventionné le projet de M. Lafond à hauteur de 50 000 $, cela ne peut étonner quand on sait comment le canadian branding est omniprésent dans les officines fédérales.

Mais que diable va donc faire dans cette galère la Sodec, une institution québécoise, y allant d’un soutien de 39 675 $ ? En quoi, on se le demande, cette œuvre tout entière consacrée à la gloire d’une altesse visiblement aux prises avec une crise aigüe de king size ego trip ajoute-t-elle à la gloire du Québec et à notre réputation ?

Dans sa première intervention publique après avoir été élue au poste de secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie, la Sérénissime n’avait rien trouvé de mieux que de répondre en anglais à la question d’un journaliste.

Ce qui avait mis le ministre français Laurent Fabius dans tous ses états. Et ce qui en dit long sur sa méconnaissance des arcanes de la diplomatie, malgré ce qu’en prétend l’ONF dans son communiqué : «  Filmé de l’intérieur, Un film avec toi dresse un portrait intime et sensible de cette femme d’État qu’elle a su devenir. »

Femme d’État ? On n’a vraiment pas peur des mots à l’ONF ! Ni du ridicule ! Après Abdou Diouf et Boutros Boutros-Ghali, quelle débarque mon Dieu !