Yvon Charbonneau : de héros syndical à renégat libéral

2016/04/24 | Par Pierre Dubuc

À l’occasion de son décès, les médias ont rappelé les faits d’armes de l’ex-président de la CEQ – aujourd’hui CSQ – lors du Front commun de 1972 – alors qu’il a été emprisonné avec Louis Laberge de la FTQ et Marcel Pepin de la CSN – et ses positions anti-capitalistes.

Par contre, ils ont été plus discrets sur les raisons qui l’on amené à devenir candidat et député libéral, d’abord à Québec, puis à Ottawa.

Comment un indépendantiste gauchiste est-il devenu un fédéraliste pro-capitaliste?

Nous reproduisons un article paru dans l’édition de septembre 1994, no 126, de l’aut’journal, qui explique ce cheminement déshonorant.

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Les dessous de l’affaire Yvon Charbonneau

Lorsqu’il a quitté la CEQ en 1988, Yvon Charbonneau a décidé qu’il était temps pour lui de faire de l’argent. Quelques appels du pied au Parti libéral du Québec ont suffi à lui ouvrir des portes. Le PLQ n’allait pas rater pareille aubaine.

C’est ainsi qu’en 1989, Lise Bacon le nommait à la tête de la Commission d’enquête sur les déchets dangereux. Puis, satisfaits de son travail, les libéraux l’aidaient à se trouver une niche chez SNC, une firme présidée par l’ancien ministre libéral Guy St-Pierre.

D’abord responsable du dossier de l’environnement, Charbonneau devient, en 1990, vice-président à l’environnement chez SNC-Lavalin.

Mais Yvon trouvait que ça ne payait pas assez. Deux ans plus tard, il devient donc vice-président et associé de la firme de relations publiques Premier. Puis, le président de Premier, Guy Lefebvre, forcé de réduire ses activités en raison de problèmes cardiaques, offre au bel Yvon d’acquérir l’ensemble des actions de Premier.

Flairant l’aubaine, Yvon accepte et, confiant en ses moyens et en ses relations, il signe un bail jusqu’en 1997 avec la société Great-West lui permettant de louer un local de 6,000 pieds carrés au coût de 20,000 $ par mois.

Charbonneau est prêt à discuter « business », mais son principal client, le gouvernement, a d’autres préoccupations. Les premiers ministres du Canada viennent d’entériner l’accord de Charlottetown mais, à Québec, on sent que ça ne passera pas comme du beurre dans la poêle. Il faudra mettre tout le monde à contribution.

Des gens de l’entourage de Bourassa laissent entendre à Charbonneau qu’une déclaration de sa part en faveur de l’entente serait appréciée et l’aiderait à obtenir des contrats.

Bon scout, Yvon se dit prêt à plonger même si l’entente contredit toutes les positions qu’il a défendues lorsqu’il était président de la CEQ.

Mais voilà-tu-pas qu’il se rappelle tout à coup que quelques ficelles le relient toujours à la CEQ. En congé sans solde, il doit conserver ses liens d’emploi encore quelques années avec la centrale s’il veut demeurer admissible au RRE, le régime de retrait des enseignants.

Rien de gênant là-dedans, direz-vous, mais Yvon se rappelle une clause de « limitation fonctionnelle » qui interdit aux employés de la centrale de participer à des activités non conformes aux intérêts de la CEQ. Et, comble de malheur, la CEQ vient de prendre publiquement position contre l’accord de Charlottetown!

Yvon décroche le téléphone, joint la direction de la centrale et demande si une intervention de sa part en faveur de l’accord de Charlottetown serait jugée « non conforme aux intérêts de la CEQ ». La réponse est : oui !

Yvon pèse le pour et le contre. Vaut-il lapeine de plonger dans l’arène politique et risquer de perdre son fonds de pension? Il juge que non.

Mais, bien évidemment, cela ne réjouit pas les libéraux et un gouvernement a plusieurs moyens de faire connaître sa mauvaise humeur. Charbonneau commence à trouver que, si les contrats tardent à venir, les mensualités de son loyer, elles, tombent rapidement. Et, en mai 1993, il n’a d’autre choix que de fermer boutique.

Entre-temps, les libéraux ont nommé Charbonneau à la vice-présidence de la Société québécoise de la main-d’œuvre, ce qui lui permet d’y transférer son fonds de pension et de se libérer de ses liens avec la CEQ.

Yvon pouvait alors se lancer en politique.

Mais, en pleine campagne électorale, la Great-West, une filiale de Power Corporation de la famille Desmarais, décide de le poursuivre pour une somme de 600,000 $ pour loyers impayés.

Desmarais voulait-il s’assurer que Charbonneau marcherait dans le droit chemin s’il était élu? Toujours est-il que le tout s’est réglé « à l’amiable » pour la somme de 40,000 $, dont,30 000 $ empruntés à la Banque Nationale.

Si les liens qui unissaient l’employé sans solde de la CEQ à son employeur sont connus, ceux qui lient aujourd’hui le candidat libéral et future député à Paul Desmarais le sont moins.

L’aut’journal, no 126, septembre 1994

 

Photo : Jacques Nadeau