Les retombées économiques imaginaires de l’oléoduc Énergie Est

2016/04/25 | Par Bernard Taylor

Face aux critiques des partis de l’opposition, le gouvernement Couillard a finalement décidé de mandater les fonctionnaires du ministère des Finances de faire une étude des retombées économiques du projet d’oléoduc Énergie Est de TransCanada.

Le ministre Leitão avait précédemment annoncé l’octroi du contrat sans appel d’offre à un cabinet de consultants que d’aucuns considèrent proche du gouvernement libéral.

Vu la volonté explicite du premier ministre Couillard de faire plaisir au reste du Canada dans le dossier de l’oléoduc1, on peut légitimement se demander si les fonctionnaires du ministère des Finances auront les coudées franches pour aller au fond des choses et identifier non seulement les soi-disant retombées économiques du projet, mais aussi les coûts réels pour le Québec. En attendant leur rapport cette automne, analysons un peu ce que dit le principal promoteur de ce projet, TransCanada.

Sur son site internet, TransCanada se livre à un exercice de relations publiques qui défie l’imagination. La multinationale prétend que le pétrole de l’Alberta, une fois livré aux provinces de l’est par son oléoduc, ne nous coûterait rien! Mais oui, c’est écrit noir sur blanc, pétrole sur neige! Regardez bien la page internet Énergie Est sur le coût des importations canadiennes de pétrole qui dit :

« Le Canada dépense 26 milliards de $ en importations de pétrole par année. Cet argent… pourrait financer le budget de 20,6 milliards de $ du Québec en éducation et en culture… au lieu de quitter notre pays. Énergie Est réduira ces importations couteuses, ce qui nous permettra de conserver plus d’argent au pays.2 »

Voilà une leçon d’économie 101 pour et surtout par des nuls! C’est vraiment avoir l’esprit tordu de maintenir que si on arrêtait d’importer le pétrole de l’étranger on pourrait dépenser le même argent autrement, par exemple sur l’éducation et la culture, et ceci sans dépenser un seul dollar pour du pétrole. Est-ce que l’équipe de « désinformation » de TransCanada pense vraiment que les Québécois vont avaler cette couleuvre?

TransCanada renchérit sur cette tromperie dans sa présentation de la croissance économique que son oléoduc provoquerait dans les provinces. Énergie Est « ajoutera 9 milliards de $ à l’économie du Québec »3. Vraiment? Il est prévu la création de moins de 2 000 emplois pendant la construction de l’oléoduc au Québec, et par la suite un gros 33 emplois pendant la phase d’exploitation de l’oléoduc4.

9 milliards à l’économie du Québec? Le pétrole albertain traverserait sans arrêt le Québec en route pour le Nouveau Brunswick et l’exportation. Il n’y aura pas de redevances, car selon plusieurs spécialistes, de telles redevances équivaudraient à une barrière tarifaire entre les provinces, ce qui est contraire à l'article 121 de la Loi constitutionnelle de 1867. C’est clair, on va sentir le pétrole passer sous nos pieds au Québec, mais on n’en touchera aucunement les profits.

L’équipe de désinformation de TransCanada veut nous faire croire encore qu’acheter le pétrole des compagnies opérant en Alberta plutôt que des compagnies opérant ailleurs dans le monde nous permettrait des économies. Encore de la tromperie. Le marché du pétrole est en pleine mutation et la différence de prix entre le pétrole des sables bitumeux d’Alberta et le pétrole importé au Canada des États-Unis et d’ailleurs est maintenant moindre que les coûts de transport du pétrole albertain.5 Et puis, pensez-vous que les compagnies opérant en Alberta vont vouloir nous vendre ce pétrole à un prix autre que le prix mondial?

Tandis que TransCanada fait des pieds et des mains pour nous convaincre qu’il faut construire un oléoduc à travers le Québec, il semble évident que celui qui gagnerait sur toute la ligne serait TransCanada lui-même. Quelle surprise! Y aurait-il en fin de compte des retombées économiques pour le Québec si jamais l’oléoduc Énergie Est arrivait à s’étendre dans les riches terres de la vallée du Saint-Laurent? Au mieux des miettes pour quelques municipalités.

Par contre, quels seraient les risques et les coûts éventuels pour le Québec d’un tel projet – les coûts économiques, sociaux et surtout environnementaux? Est-ce que le gouvernement Couillard s’intéressent à connaître ces risques et ces coûts? Voudrait-il en faire une étude? Peu probable.

Heureusement qu’il y a des universitaires et des organisations de la société civile qui s’activent. Pour le Québec, il est clair que le risque numéro un est la probabilité de déversements catastrophiques au niveau des centaines de cours d’eau que traverserait l’oléoduc. Un rapport récent coproduit par plusieurs organisations démontre que l’oléoduc menacerait l’eau potable de plus de 3 millions de Québécois6. Quel serait le coût de tels déversements, Monsieur Couillard?

Il y a malheureusement un autre coût énorme que nous ne pourrons facilement éviter et que, malheureusement, on partagerait avec le monde entier. Les pétrolières de l’Alberta prévoient doubler la production issue des sables bitumineux albertains d’ici 2020 et la tripler d’ici 2035.

Cette production augmenterait les émissions canadiennes de gaz à effet de serre d’une façon exponentielle.

Les gouvernements de l’Alberta et d’Ottawa maintiennent leur tête dans les sables bitumineux et appuient les pétrolières albertaines, tout en se grisant de discours environnementalistes d’une vacuité complète. Quelle farce abasourdissante!

Le projet d’oléoduc Énergie Est a toutes les chances d’être approuvé par l’agence fédérale, l’Office national de l’énergie. Le gouvernement du Québec ne montre pas beaucoup de réaction critique, malgré l’opposition à l’oléoduc déclarée de très nombreuses municipalités.

Par ailleurs, il est intéressant de noter que la liste publiée par TransCanada des municipalités canadiennes qui appuient le projet d’oléoduc Énergie Est ne comprend aucune municipalité québécoise!7

En bout de ligne, il ne restera que le peuple québécois qui demeurera le facteur déterminant et qui pourrait bloquer le projet d’oléoduc. L’opposition citoyenne s’organise et grandit chaque jour. 2017 sera une année mouvementée.

 

4 Idem