Bourbier informatique du gouvernement du Québec

2016/05/13 | Par Richard Perron et Pierre Riopel

Les auteurs sont respectivement président du SPGQ et conseiller à la recherche au SPGQ

Parmi les problèmes informatiques que connaît le gouvernement du Québec, mentionnons les fréquents dépassements de coûts de grands projets informatiques comme SAGIR (Solutions d'affaires en gestion intégrée des ressources) ou le DSQ (Dossier santé Québec).

Lors de l’étude des crédits, le Secrétariat du Conseil du trésor (SCT) parlait d'un coût final de 570 M$ pour SAGIR. En fait, il s'agissait strictement du budget de développement, auquel s’ajoutent des frais de récurrence et d'exploitation qui s’élèvent à 710 M$, comme le recours à des consultants privés. Le coût total de SAGIR s’élèverait donc plutôt à un minimum de 1,2 G$. Dans le cas du DSQ, les mêmes frais additionnels que pour SAGIR s’élèveraient à 450 M$.

Le SCT a très récemment publié un portrait de la main-d’œuvre en informatique dans la fonction publique du Québec – environ 9 000 employés. Le tiers de cette main-d’œuvre est constituée de consultants externes. Dans des domaines stratégiques pour l’expertise, comme ceux de la programmation et de la gestion de projets, c’est plus de la moitié de la main-d’œuvre qui est composée de consultants externes.

Qu’en est-il ailleurs? Qu’en pense la France?

Dans une récente enquête[1], la Cour des comptes (une juridiction financière française) explique que les problèmes inhérents à la conduite des grands projets informatiques relèvent souvent d’une mauvaise gestion des compétences en informatique, incluant une trop grande dépendance envers les consultants externes.

 Le recours à la sous-traitance gouvernementale en informatique ne dépassant pas 10 % en France, la Cour stipule qu’un mauvais équilibre entre compétences internes et externes demeure une source importante de problèmes. Elle mentionne que le choix de l’externalisation soulève le problème de la perte des compétences et de la dépendance vis-à-vis du fournisseur, et peut constituer une erreur stratégique.

La Cour mentionne, à titre d’exemple, que les pays qui recourent davantage que la France à l’externalisation semblent en dresser un bilan plutôt négatif. Ainsi, au Royaume-Uni et au Québec, les défaillances dans les grands projets informatiques des années 2000 ont été en grande partie imputables à l’externalisation excessive et à la dilution des responsabilités qui s’en est suivie, notamment dans la définition des besoins. Le suivi des relations contractuelles n’a pu limiter les risques. Finalement, ces pays font le constat d’une dérive importante des budgets. Le coût de développement de l’informatique publique au Royaume-Uni, ramené au PIB, est le double de la moyenne européenne. De ce fait, un programme de réinternalisation a été engagé.

La réinternalisation consiste à convertir des postes de consultants externes en des postes permanents intégrés dans la fonction publique. Le cas de la Driver and Vehicule Licensing Agency (DVLA) caractérise bien ce processus tel qu’appliqué au Royaume-Uni. La réinternalisation de 300 consultants à cette agence – sur un total de maintenant 600 informaticiens – a déjà engendré des économies de 300 M£ (561 M$); d’autres économies de 225 M£ (420 M$) sont à prévoir.

La DVLA a développé des réseaux et de nouveaux modèles d’affaires pour attirer les employés les plus compétents en leur donnant plus d’autonomie et des défis technologiques à relever, sans oublier de vrais plans de carrière. Les Her Majesty's Revenue and Customs (250 embauches) et la Home Office (en processus de recrutement) ont également changé leur modèle d’organisation traditionnelle du travail.

Le Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ) soutient qu’il faut réduire le nombre de consultants externes dans la fonction publique québécoise en réinternalisant au moins 1 500 emplois de consultants - sur 3 000 - pour vraiment reconstruire l’expertise interne en informatique et diminuer les coûts, comme c’est le cas au ministère des Transports - 970 embauches.

Une partie de l’enquête réalisée par la Cour des comptes s’appuie sur une importante analyse comparative réalisée par le gouvernement français sur la gestion des grands projets informatiques dans les administrations étrangères, incluant le Québec, intitulée Le pilotage et l’audit des grands programmes informatiques de l’État (2012)[2].

On y apprend que pour maintenir l’attractivité du secteur public, ce dernier devrait se doter de dispositifs performants de formation en cours de carrière afin de conserver ses talents. Cette enquête traite aussi de valorisation des emplois, de développement de parcours professionnels, de changements dans l’organisation du travail et l’identification des compétences indispensables à construire une expertise interne pour faciliter la réinternalisation.

En 2009, les travaux de divers comités dirigés par le SCT avaient pourtant déjà identifié et ciblé quatre types de ressources et quinze fonctions ou emplois stratégiques en informatique pour reconstruire une expertise interne. Les politiques-cadres, les plans stratégiques et les diverses stratégies déployées par le SCT qui ont suivi visaient tous à développer cette compétence. Pourtant, ils ont tous lamentablement échoué.

Il faut aussi payer des salaires concurrentiels pour attirer et fidéliser une main-d’œuvre compétente et expérimentée. Quant on constate que ces spécialistes, travaillant au sein des gouvernements de l’Ontario ou du fédéral, gagnent plus de 50 % de plus que ceux qui font le même travail pour le gouvernement du Québec, il est clair que nous avons tous intérêt à corriger le tir et offrir des salaires compétitifs, comme le réclame la CAQ d’ailleurs!

Il en va de notre capacité de nous doter de services publics performants, intègres et de qualité. Espérons que nos cousins français pourront constater bientôt que nous ne vivons pas sur une autre planète.