Le Japan Times, les blindés et l’amiante

2016/05/13 | Par Pierre Jasmin

Le Japan Times du 8 mai fait écho à la lettre au premier ministre Trudeau où quinze groupes importants, dont Amnistie Internationale, les Artistes pour la Paix et la Ligue des Droits et Libertés, se déclaraient horrifiés par la vente de blindés canadiens à un pays où les droits humains les plus élémentaires sont bafoués .

L’Arabie Saoudite, un pays fabriqué aux frontières dessinées selon ses réserves de pétrole par une alliance anglo-américaine, a répandu par des subventions de dizaines de milliards de $ la pire forme de fanatisme religieux qui soit (depuis les Croisades ?), c’est à dire le wahhabisme djihadiste, utilisé aussi par Al-Qaeda et par l’État islamiste.

Mais cet article en appui à notre protestation collective, a soulevé un autre sujet qui nous interpelle particulièrement :

« Le Canada n’est pas immunisé contre le syndrome de l’hypocrisie internationale. En juin 2011, le gouvernement Harper votait de façon à empêcher l’ajout de l’amiante sur la liste des produits chimiques dangereux de la Convention de Rotterdam de l’ONU. Le Canada s’était successivement opposé à l’inscription de l’amiante sur cette liste lors des assemblées de la Convention en 2004, 2006 et 2008 ; il s’était par la suite abstenu lors des votes de 2013 et 2015. L’amiante ne figure toujours pas sur la liste à cause de l’objection de sept pays : la Russie, le Kazakstan, l’Inde, le Kyrgyzstan, le Pakistan, Cuba et le Zimbabwe. Ce n’est pas que le Canada n’adhérait pas au consensus scientifique de l’époque : l’amiante était interdit de vente à l’intérieur de ses frontières en vertu d’une réglementation stricte sur la santé. Mais le Canada était bien aise d’extraire, d’expédier et de monnayer l’amiante au prix de nombreuses vies humaines dans le Tiers-Monde. On peut se demander si cette exportation n’était pas encore plus immorale [que celle des blindés à l’Arabie Saoudite], bien qu’elle n’ait jamais soulevé une opposition comparable, ni un examen aussi minutieux. » (traduction de l’anglais : Christian Morin)

Nous nous objectons à cette opinion qui dénigre les forces d’opposition à l’amiante. Retour en arrière : le premier gouvernement de René Lévesque, qualifiant l’amiante d’« or blanc », l’avait nationalisé à grand coût, malgré quelques protestations de médecins et de Michel Chartrand, déjà conscients des ravages sur la santé de travailleurs dans les mines et dans l’industrie de construction, sans compter celle des enfants exposés dans des écoles ignifugées avec le produit cancérigène.

Ces ravages avaient été amplement documentés, statistiquement démontrés et vérifiés en janvier 2009 par un rapport dévastateur produit par deux courageux professionnels de la santé – Dr. Fernand Turcotte et Dr. Pierre Auger, experts en épidémiologie et en médecine du travail, hélas contredits par deux recherches secrètement (mais pas assez !) financées par l’industrie du chrysotile de « chercheurs » (qui avaient trouvé avant de chercher !) de l’Université McGill, puis de Concordia.

Heureusement, toutes les directions régionales de santé publique du Québec (incluant celle de la région d’Asbestos) eurent la probité professionnelle d’ignorer ces recherches frauduleuses et, à l’instar du tenace et intègre co-chef de Québec Solidaire, le médecin Amir Khadir, de sommer le ministre docteur Yves Bolduc de ne pas trahir ses obligations déontologiques et de s’opposer à l’amiante.

Mais près de quarante ans après les premières constatations médicales de la nocivité du produit, le 29 juin 2012, un vendredi en fin d’après-midi (meilleur temps pour éviter les questions de l’opposition et des journalistes), le premier ministre Jean Charest annonça à l’Assemblée nationale que son gouvernement verserait un prêt de 58 millions de $ à la réouverture de la mine d’amiante Jeffrey.

Les Artistes pour la Paix réagirent immédiatement en protestant contre la relance d’une activité minière alors responsable, dans le monde, d’environ 100 000 victimes annuelles, selon l’Organisation Mondiale de la Santé.

Puis fut déclenchée une élection provinciale lors de laquelle les APLP, pour la première et unique fois depuis leur fondation il y a 33 ans, lancèrent un appel à voter contre le parti Libéral corrompu et la CAQ pro-nucléaire.

Car, si notre but premier fut la fermeture de la centrale nucléaire à l’aide d’un populaire film réalisé par notre présidente Guylaine Maroist qui démontrait les coûts et les dangers de rafistoler une vieille centrale, notre second objectif était de protéger l’éducation (qui devait bientôt se trouver sous-financée par les Libéraux de retour au pouvoir) et notre troisième, d’en finir une fois pour toutes avec l’extraction de l’amiante.

Notre appel pour cet objectif précis fut acheminé par courriels personnels au futur ministre de la Santé, le Dr. Réjean Hébert, ainsi qu’au futur ministre de l’Environnement, Daniel Breton, une semaine avant que ceux-ci n’annoncent en une conférence de presse le 28 août 2012 que le Parti Québécois ferait écho à « notre » (+ Fondation Suzuki + Québec meilleure mine + chercheurs intègres de multiples universités etc.) demande de fermer la mine d’amiante.

Pierre Jasmin en a aussi discuté avec la déterminée future ministre des Ressources naturelles Martine Ouellet, lors de la première du film Gentilly or not to be au cinéma Beaubien le 11 septembre, quelques jours après les élections.

Plus tard, Radio-Canada Estrie, sans jamais rappeler le travail admirable d’information mené par des dizaines de médecins et activistes de plusieurs pays venus faire des conférences de presse appuyés par la CSN,  a commis à la radio une entrevue incroyablement complaisante et larmoyante avec M. Bernard Coulombe de Mines Jeffrey, relatant ses vains efforts de persuader la nouvelle ministre inflexible, d’allouer le versement de l’argent à une entreprise rentable pour une région démunie (!).

Pierre Jasmin a alors écrit la lettre la plus cynique qu’il ait jamais écrite à titre de v-p des APLP en proposant à Radio-Canada de surfer sur cette entrevue en en faisant deux autres illustrant d’hypothétiques « relances économiques ratées par le nouveau gouvernement » en suggérant, pourquoi pas, des subventions millionnaires aux champs de tabac et l’abaissement de l’âge légal des prostitué(e)s…

Le 14 septembre, l’influent ministre fédéral Christian Paradis, député de la circonscription productrice d’amiante Thetford Mines et chef de la petite délégation québécoise des Conservateurs, a accepté à contrecœur de ne plus s’objecter à l’inscription de l’amiante sur la liste des produits dangereux, car « la décision d’abolir cette industrie a déjà été prise par Madame Marois. Il serait illogique que le Canada s’oppose à l’ajout de la chrysotile à la Convention de Rotterdam alors que le Québec, seule province à en produire, va en interdire l’exploitation », poursuivait M. Paradis, prenant soin de rejeter le blâme de la récession économique touchant la région sur le Parti Québécois.

Il a encore renchéri sur une distinction non scientifique entre l’amiante et la chrysotile, semant la confusion chez les électeurs qui déferont à l’élection québécoise 2014 le Dr. Hébert et les autres députés péquistes de la région estrienne et éliront, à celle fédérale de 2015, un député conservateur représentant Lac Mégantic-L’Érable.

Donnons à l’infatigable militante canadienne Kathleen Ruff1 le dernier mot positif : « la décision du département des Services publics et Approvisionnement Canada d'interdire l'utilisation de l'amiante dans les projets de construction dès le 1er avril 2016, est un jalon important et significatif qui clôt un siècle de politique canadienne de soutien à l'extraction, à la vente et à l'utilisation de l'amiante. C'est le premier pas vers une interdiction totale de l'amiante. »

 

Note : L’amiante est un groupe de minéraux silicates utilisés dans l’industrie de la construction, dont les fibres sont une cause de cancer lorsque respirées. Si le Canada et l’Union Européenne agissent contre l’usage de l’amiante chez eux (le gouvernement canadien a dépensé des sommes importantes pour enlever l’amiante de ses bâtiments partout au Canada, y compris au Parlement et à la résidence officielle du Premier ministre), ils permettent scandaleusement l’exportation de ce minerai dangereux vers des pays en développement aux lois poreuses, où il cause des milliers de victimes.

1 Je remercie Louise Vandelac, chercheure d’une probité inébranlable à l’UQAM qui m’a fait connaître madame Ruff à qui plusieurs points de cet article sont redevables : voir sur

http://www.rightoncanada.ca/wp-content/uploads/2016/05/2016.05.06-Lhisto....