Le PQ à la croisée des chemins

2016/05/16 | Par Jacques B. Gélinas

Le 2 mai 2016 : démission choc, de Pierre Karl Péladeau, moins d’un an après avoir été élu chef du Parti québécois. Et voilà le PQ plongé dans une nouvelle crise. Crise de leadership, sur fond de crise existentielle. Crise de vocation d’un parti créé pour faire du Québec un pays, mais qui tergiverse et ne cesse de mettre en veilleuse sa propre raison d’être.

Paradoxalement, PKP, cet homme d’affaires qui a admis avoir des croûtes à manger pour maîtriser la joute politique, laisse aux militants du parti un lourd et riche héritage, sous forme d’un double défi à relever:

  • Faire du Québec un pays, malgré la désaffection apparente des jeunes et d’une majorité de la population pour ce projet;

  • Sortir le PQ de l’ornière néolibérale dans laquelle il ne cesse de s’enliser depuis son virage libre-échangiste néolibéral, dans les années 1980.

Ce sont là deux enjeux fondamentaux qui, si on y regarde de près, s’avèrent indissociables. À part sa distinction linguistico-culturelle, en quoi le projet de société du pays à bâtir se distingue-t-il de celui que nous connaissons dans le régime fédéral canadien et de celui des néolibéraux au pouvoir à Québec? Cette question ne peut être éludée.

 

Premier défi: faire du Québec un pays

Ce jour d’avril 2014 où Pierre Karl Péladeau a annoncé sa décision de se lancer en politique, sous la bannière du PQ, il a semé le désarroi chez les ténors du parti. Pourquoi? Parce qu’il a affiché clairement sa volonté de ramener le parti à sa raison d’être: «Faire du Québec un pays!». Joignant le geste à la parole, il a levé le poing du combattant. La majorité des militants s’en sont réjouis, prêts à lui pardonner son passé anti-syndical. Mais voilà que plutôt que de s’en réjouir, les stratèges du parti en ont été gênés. Cachez ce poing que je ne saurais voir!

Pourquoi cette gêne? Simplement parce que la nouvelle recrue du parti avait passé outre à la vieille consigne de mise en veilleuse de l’option souverainiste. Étrange consigne qui se perpétue depuis le référendum de 1980, sauf pour un bref intermède, sous Parizeau, dans la première moité des années 1990.

Revenons au coup de poing PKP. C’était à la veille d’une campagne électorale qui va tourner à la débandande pour le PQ. Car au lieu de saisir la balle au bond et d’assumer, Pauline Marois s’en est trouvée désemparée. La voyant vaciller et patauger dans le flou, le fédéraliste Philippe Couillard a pris plaisir à constamment remettre le sujet à l’ordre du jour. C’est ainsi que la première femme première ministre du Québec a perdu une élection pour ainsi dire gagnée d’avance.

Il faut tirer leçon de ce cafouillage schizophrénique. Écoutons la chroniqueuse Josée Legault: «Impossible de faire progresser un projet politique quand son principal véhicule le voit lui-même comme un boulet électoral dont il cherche constamment à se délester. […] De 1996 à2014, le silence du PQ sur la souveraineté contribua grandement à son propre déclin et à celui de son option» (Le Journal de Québec, le 6 mai 2016).

Les conditions gagantes ne tomberont pas du ciel. Elles se produiront quand un gouvernement indépendantiste fera ce qu’il annonce, et annoncera ce qu’il fait.

Ainsi, dès son arrivée au pouvoir, un gouvernement du Parti québécois devrait commencer à sortir de cette «maison de fous» - dixit René Lévesque - qu’est pour le Québec le système fédéral canadien. Comment? En se réappropriant un à un, unilatéralement, des pans entiers des champs de compétence dévolus aux provinces: la culture, l’éducation, la santé, les affaires municipales, etc. Le gouvernement québécois aurait certes à y consacrer quelques millions, mais ces nouveaux coût lui serviraient d’argument fort pour réclamer des points d’impôt supplémentaires.

Oser. Comme Duplessis qui, en 1954, dans un coup d’audace, a créé la perception directe de l’impôt sur le revenu, sans demander la permission à Ottawa. Comme Lesage qui, en 1965, a créé la Caisse de dépôt et placement, malgré l’opposition féroce du fédéral qui a été mis devant le fait accompli. Deux coups d’audace studieusement préparés, il faut le dire, et jamais osés par d’autres gouvernements.

Voilà ce qui pourrait faire en sorte que les conditions gagnantes prennent forme et que la population devienne prête.

 

Deuxième défi: sortir de l’ornière néolibérale et reconstruire l’État social

Le deuxième leg de Pierre Karl Péladeau se trouve dans la lettre publiée dans Le Devoir du 23 avril dernier, sorte de manifeste qu’il signe conjointement avec la députée Véronique Hivon. Les deux signataires s’insurgent contre «le démantèlement du modèle québécois» et «la déconstruction tranquille» de l’État social par le gouvernement néolibéral de Philippe Couillard.

Ce que la lettre ne dit pas cependant, c’est que le démantèlement avait commencé bien avant. De Robert Bourassa II à Philippe Couillard en passant par Lucien Bouchard, Jean Charest et Pauline Marois, tous les gouvernements, libéraux ou péquistes, ont oeuvré et manoeuvré dans la logique néolibérale, incarnée dans les accords de néolibre-échange. Cette logique, c’est la primauté du marché sur le politique: moins l’État intervient et laisse jouer les lois du marché, mieux se porte l’économie et la société entière.

La lettre du 23 avril vise d’abord à proposer à Québec solidaire une convergence des efforts et des orientations pour débarrasser le Québec des idéologues néolibéraux et, ultimement, pour réaliser l’indépendance du Québec.

Or, un tel rapprochement entre les thèses des deux partis, exigera du PQ un virage drastique. Car ce parti a toujours défendu les accords de néolibre-échange qui restreignent le pouvoir de légiférer des élus et poussent au démantèlement de l’État social. Dans cette foulée, le PQ a pratiqué à sa manière les politiques d’austérité néolibérales, sous le gouvernement Bouchard d’abord, puis sous celui du duo Marois-Marceau. Il a coupé dans les programmes sociaux et manifesté de l’ouverture pour l’exploitation des hydrocarbures à Anticosti et dans le golfe du Saint-Laurent. A-t-on vu un dirigeant de ce parti dénoncer l’Accord économique et commercial global (AECG) Canada-Union européenne ou l’Accord de partenariat transpacifique (PTP)? Deux méga-traités qui risquent de chambarder notre vie en société.

L’appel Péladeau-Hivon propose une «nouvelle route à défricher» pour faire face aux enjeux du XXIe siècle.

Ces enjeux sont énormes: l’avenir de notre habitat terrestre menacé par les dérèglements climatiques et une économie déréglée, l’État social en butte à l’offensive des affairistes au pouvoir, nos ressources naturelles pillées par des intérêts privés, le dépeuplement des régions, l’agriculture tombée sous l’emprise de l’agrobusiness, les transports collectifs négligés en faveur du complexe auto-pétrole. Et le reste.

À titre d’exemple, voici un projet ambitieux, structurant et mobilisateur: le monorail suspendu à moteurs-roues. Ce projet élaboré par l’IREC (Institut de recherche en économie contemporaine), propose la création d’un réseau de transport électrifié, rapide, qui relierait toutes les régions, sortirait le Québec de sa dépendance au pétrole et mettrait à profit une ressource que nous possèdons en abondance: l’hydro-électricité. Le moteur-roue est une invention québécoise géniale, que des gouvernements axés sur des intérêts pétroliers plutôt que sur l’intérêt général ont abandonnée à d’autres.

 

Aux États-Unis, un candidat qui rallie la jeunesse en dénonçant le néolibre-échange

Qui aurait dit qu’un candidat à la présidence des États-Unis se gagnerait la faveur de la jeunesse en dénonçant les dérives néolibérales du vieil establishment du Parti démocrate: les accords de néolibre-échange, les inégalités, la collusion business-politique, la domination de l’hydre financière. Bernie Sanders met de l’avant des objectifs sociaux: éducation gratuite de la maternelle à l’université, salaire viable pour tous, sécurité sociale universelle.

Au Québec, le parti de René Lévesque se trouve aujourd’hui acculé à l’audace, s’il veut rallier la jeunesse. À l’issue des débats qui conduiront à l’élection d’une nouvelle ou d’un nouveau chef, le Parti québécois choisira-t-il l’audace ou le bon vieux sentier battu de «quand-les-conditions-gagnantes-seront-réunies» et de «quand-la-population-sera-prête»?

Martine Tremblay – ex-chef de cabinet de René Lévesque – donne un conseil aux candidates et candidats à la chefferie: pour regagner la confiance de la population et surtout des jeunes, «le nouveau PQ devra étonner» (à l’émission 24/60, le 2 mai dernier). Cela signifie que les instances dirigeantes du PQ ont besoin d’un changement de génération et de vision pour le changement d’époque que nous vivons.