Le dumping américain du lait diafiltré

2016/05/19 | Par Gabriel Ste-Marie

Du lait produit aux États-Unis entre au Canada, sous forme de lait diafiltré, et cause des pertes de milliers de dollars à chacun de nos producteurs laitiers à chaque semaine. Le lait diafiltré est du lait filtré pour retenir seulement l’eau et les protéines et est utilisé par les gros producteurs de fromages, comme Saputo et Parmalat.

Le lait diafiltré entre facilement sur notre marché, parce que le gouvernement canadien ne fait pas respecter ses propres lois. À la frontière, l’Agence des services frontaliers du Canada ne considère pas cette catégorie de lait comme du lait.

Cependant, une fois au Canada, le lait diafiltré change comme par magie de nature et redevient du lait aux yeux de l’Agence canadienne d’inspection des aliments. Il peut donc entrer sans restriction dans la fabrication du fromage.

En règle générale, les pays industrialisés protègent leur secteur agricole par des subventions ou un système de quotas. Dépendre d’autres pays pour nourrir sa population constitue un risque trop important, que les pays riches préfèrent ne pas courir. C’est pourquoi ce secteur échappe aux règles du commerce international, telles que définies dans l’OMC et l’ALÉNA.

Au Canada, le lait, la volaille et les œufs sont protégées par un système de quotas. C’est la gestion de l’offre. Ces secteurs sont placés à l’abri de la concurrence internationale. Les producteurs doivent acheter à gros prix des quotas, qui leur donnent le droit de produire une quantité donnée.

Ces quotas de production sont déterminés en fonction de la demande, afin d’éviter les surplus qui feraient tomber les prix sous le coût de production.

Ouvrir ces secteurs aux importations constitue une aberration, puisque la production de nos agriculteurs se trouve en concurrence avec les surplus de production, souvent subventionnés, que d’autres pays cherchent à écouler. Rien de tel pour tuer une industrie!

Or, c’est exactement l’attitude d’Ottawa envers le secteur du lait. Ce laisser-aller affecte particulièrement les régions rurales du Québec, où se trouve plus de la moitié des producteurs laitiers du Canada et 40% de la production, du fait que les fermes sont de plus petites tailles qu’ailleurs au Canada.

La marginalisation croissante du Québec à l’intérieur du Canada et la diminution de son rapport de force n’est certainement pas étrangère à ce laxisme.

Ottawa a ouvert une première brèche dans la gestion de l’offre pour le lait dans l’Accord Canada-Europe en autorisant l’augmentation des importations de fromages européens. Des compensations ont été promises aux agriculteurs, mais on n’en voit toujours pas la couleur ni dans le budget, ni dans les crédits budgétaires.

Une nouvelle brèche a été ouverte avec le Partenariat transpacifique. Nos producteurs devront faire face à la concurrence des Américains, où le modèle des méga-fermes subventionnées prévaut, et aussi à celle de la Nouvelle-Zélande – considérée comme l’Arabie Saoudite du lait – qui exporte plus de 90% de sa production.

En attendant l’entrée en vigueur de ces traités de libre-échange, nous avons un avant-goût de leur impact avec les importations du lait diafiltré.

Depuis quelques années, la demande mondiale pour le beurre a explosé – comme son prix – ce qui crée un surplus de lait diafiltré, que les producteurs américains écoulent à bas prix chez nous.

Ce dumping entraîne la chute du prix du lait au Québec et au Canada, en plus d’affecter le volume de ventes de nos producteurs.

Le gouvernement fédéral ferme les yeux sur la double définition du lait diafiltré des organismes fédéraux. Plutôt que de procéder à un simple arrimage des lois, dans le respect de la gestion de l’offre, Ottawa préfère ne pas intervenir et laisse trainer les choses en longueur. Les gros producteurs canadiens de fromage en profitent, tout comme les gros producteurs laitiers américains. Pendant ce temps, nos producteurs québécois écopent. Le problème traîne depuis 2013 et va en s’amplifiant.

L’association des Producteurs de lait du Québec évalue à 200 millions $ par année les pertes occasionnées par l’importation de produits laitiers au Canada, soit des milliers de dollars chaque semaine pour chaque producteur.

Pourtant, la raison d’être de la gestion de l’offre est d’équilibrer le marché. En laissant les vannes ouvertes à la frontière américaine, le marché est débalancé et nos producteurs lésés.

Rappelons que la valeur des quotas des producteurs laitiers au Canada est de 20 milliards $. C’est le coût payé par les agriculteurs pour avoir le droit de produire! Abolir la gestion de l’offre coûterait une fortune au gouvernement, qui devrait racheter ces quotas, en plus de déstructurer une industrie importante. Cette option n’est pas envisageable.

Pendant ce temps, on laisse les producteurs américains, largement subventionnés, envahir notre marché sans avoir à acheter de quotas. Il y a là une injustice criante pour nos producteurs. La solution pourrait rapidement être mise en place, mais il faut croire que le poids de nos producteurs pèse moins dans la balance que celui des gros transformateurs.

Pourtant, il s’agit d’un secteur économique très important, particulièrement si on considère l’occupation de notre territoire. Plus de 80 000 emplois directs et indirects sont rattachés à cette filière, qui représente un apport économique de 6,2 milliards $ annuellement.

Au lieu d’être subventionnée, la filière verse plus de 1,3 milliard $ en taxes et impôts par an, pour un lait de qualité qui ne coûte pas plus cher qu’ailleurs. Par exemple, aux États-Unis, les producteurs dopent leur production en administrant de la somatotrophine aux vaches, une hormone de croissance interdite au Canada.

Même si, à la Chambre des communes, les députés du Bloc Québécois interpellent à chaque semaine le gouvernement à ce sujet, celui-ci ne semble pas pressé de faire appliquer la loi et d’harmoniser la classification entre les agences fédérales.

La solution temporaire mise en place est de créer une nouvelle classe de lait, moins chère que le lait diafiltré importé, pour le concurrencer. Parmalat, Agropur, Saputo et les autres producteurs de fromages s’assurent d’un approvisionnement à faibles coûts et nos producteurs laitiers peuvent écouler leur production, mais à prix réduit. Cette solution intérimaire aurait cours jusqu’au 31 juillet et la suite des choses demeure incertaine.

Le choix d’Ottawa de ne pas régler un problème somme toute assez simple et de laisser traîner les choses dépasse l’entendement. En attendant, nos producteurs laitiers en font les frais et commencent à se demander ce qu’on gagne à demeurer à l’intérieur du Canada.