15 $ / l’heure : Un combat qui engage toute la classe ouvrière

2016/05/20 | Par Sylvain Martin

L’auteur est directeur adjoint d’Unifor

Le 1er mai dernier, le salaire minimum au Québec a augmenté de 0,20 $ /h pour s’établir à 10,75 $/h. Cette même journée, la FTQ lançait une campagne pour une augmentation du salaire minimum à 15,00 $ /h d’ici cinq à six ans.

Avec cette campagne, la FTQ se joint à la lutte pour une diminution des inégalités sociales et une meilleure répartition de la richesse. Cette revendication d’un salaire minimum à 15,00 $/h est née aux États-Unis, dans le contexte de la crise économique de 2008.

Des travailleurs et travailleuses ont commencé à s’organiser parce qu’ils s’indignaient du fait qu’ils ne pouvaient aspirer à une vie décente, même s’ils occupaient des emplois à temps plein. Pour ces personnes, tout coûte trop cher. Dans leur cas, satisfaire les besoins essentiels, comme se nourrir, se loger et se vêtir requiert une imagination débordante.

Tout le monde se souvient de reportages nous montrant des travailleurs, occupant un emploi à temps plein, forcés d’habiter dans leur voiture, faute de pouvoir se payer un logement.

Fait intéressant, le mouvement qui revendique un salaire minimum à 15,00 $ / h (Fight for Fifteen) n'origine pas des syndicats américains, mais de groupes communautaires qui luttent contre la pauvreté. Cela en fait une lutte de toute la classe ouvrière et non seulement une lutte du mouvement syndical au bénéfice de ses membres.

À ce jour, des États, comme la Californie et New York, ont décidé de légiférer dans ce sens. Au Canada, la revendication prend de l’ampleur. Dans plusieurs provinces, des groupes s’organisent et revendiquent.

Ici, au Québec, la campagne a été officiellement lancée le Premier Mai. Les dirigeants de la FTQ en ont fait l’annonce en conférence de presse, entourés d’une cinquantaine de jeunes membres des syndicats affiliés à la FTQ. Et, pour cause, parce que c’est le Comité des jeunes de la FTQ qui a mis de l’avant cette lutte.

Nos bons amis de la droite n’ont pas mis beaucoup de temps à agiter leur épouvantail, y allant de déclarations presque apocalyptiques. Selon eux, une telle mesure va provoquer une inflation démesurée et des pertes d’emplois parce que les entreprises ne seront plus compétitives.

La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) propose plutôt d’instaurer une exemption personnelle de base pour les travailleurs à faibles revenus.

J’ai même entendu un analyste économique affirmer qu’un salaire minimum bas n’était pas une si mauvaise chose parce que ça inciterait les jeunes à demeurer aux études! Les études étant préférables à un emploi au salaire minimum. Il faut le faire !

Nous avons un gouvernement qui, depuis deux ans, coupe tous azimuts dans le système d’éducation avec pour résultat que nos jeunes n’ont pas accès aux ressources spécialisées dont ils ont besoin. Cela donne un système d’éducation où les élèves, qui connaissent des difficultés, finissent par décrocher. L’idée du siècle pour contrer ce décrochage serait de s’assurer que ces jeunes aient une vie de misère s’ils se trouvent un emploi!

Toute une idée de génie que de mettre une partie de nos jeunes devant le choix de rester dans un système scolaire qui ne veut pas d’eux ou une vie de misère au salaire minimum.

L’idée que les entreprises perdraient de leur compétitivité si le salaire minimum augmentait est également questionnable. Est-ce qu’il faut comprendre que les entreprises basent une partie de leur compétitivité sur de bas salaires? Faut-il croire que, plutôt que de miser sur la formation de leur salariés et l’introduction de nouvelles technologies, les entreprises préfèrent compter sur le plus bas salaire possible? Malheureusement, c’est souvent le cas.

Cela fait presque 30 ans que je négocie dans le secteur privé et je n’ai jamais entendu un employeur me dire qu’il avait hâte de nous rencontrer pour nous donner des augmentations de salaire. Au contraire, la moindre augmentation est arrachée, souvent au prix de dures luttes.

En réalité, même si les entreprises canadiennes sont maintenant assises sur près de 700 milliards de dollars inutilisés, il est clair qu’elles ne veulent pas participer à la redistribution de la richesse. Qu'est-ce que leurs représentants veulent nous dire lorsqu’ils craignent une inflation démesurée si le salaire minimum augmentait à 15,00 $/h? Qu’ils ont l’intention de refiler cette hausse à leurs clients plutôt que de toucher à ces milliards qu’ils ont engrangés?

Il faut cesser de croire toutes ces hérésies. La réalité est que, partout où le salaire minimum a été haussé à un niveau acceptable, il n’y a pas eu d’apocalypses économiques. Ce que la FTQ propose, c’est une augmentation graduelle sur cinq à six ans. C’est amplement de temps pour permettre aux entreprises et à l’économie de s’ajuster. Des études démontrent qu’il est bénéfique pour l’économie que les travailleurs augmentent leur pouvoir d’achat en ayant un salaire décent.

Un salaire minimum à 15,00 $/h contribuerait à nous sortir de la dynamique néolibérale dans laquelle nous vivons depuis le milieu des années 80. Depuis lors, on tente de nous faire croire que les baisses de taxes et d’impôts ou encore l’instauration d’une exemption personnelle de base pour les travailleurs à faibles revenus, comme la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) le propose, contribuent à enrichir les travailleurs. Tout le monde sait que c’est tout à fait faux! Toutes ces mesures néolibérales n’ont pour seul effet que de diminuer les revenus de l’État et, par voie de conséquence, sabrer dans les services publics et procéder à leur privatisation.

L’idée d’un salaire minimum à 15,00 $/h doit être soutenue, non seulement par la FTQ, mais par la plus large coalition possible. Cette campagne doit être vue pour ce qu’elle est vraiment, une façon de partager la richesse, de diminuer les inégalités sociales et faire en sorte que les travailleurs reçoivent des entreprises leur juste part du fruit de leur travail.