L’étapisme à l’heure de la mondialisation

2016/05/26 | Par Marc Laviolette et Pierre Dubuc

Par Marc Laviolette et Pierre Dubuc, respectivement président et secrétaire du SPQ Libre

La position de Jean-François Lisée de reporter le référendum sur l’indépendance du Québec à de lointaines « calendes québécoises » fait des adeptes. Dans un texte paru dans Le Devoir du 24 mai, Gérald Larose nous dit que « Jean-François Lisée donne l’heure juste ». Il faudrait d’abord, selon lui, « sauver le Québec » et son modèle partenarial des coups de butoir du gouvernement Couillard avant de songer à l’indépendance.

Quelques jours plus tôt, Jacques Lanctôt, dans sa chronique du 20 mai sur canoe.ca, nous demandait de « faire preuve de réalisme » et d’appuyer la candidature de Jean-François Lisée, le seul, selon lui, en mesure de contrer l’épouvantail du référendum agité par les Libéraux en l’évacuant.

En attendant « le prochain grand rendez-vous avec l’histoire » Lanctôt nous invite à prendre notre mal en patience, tout en espérant que « la Catalogne et l’Écosse nous auront donné un exemple de courage et d’audace ». Mince consolation, d’autant plus que l’Écosse attend le Brexit anglais pour se remettre en marche !

C’est le stade suprême de l’étapisme. L’étapisme à l’époque de la mondialisation.

 

Vers une coalition PQ-CAQ

Gérald Larose fixe comme objectif de « rassembler une majorité de Québécoises et de Québécois » pour « sauver le Québec ». Étant donné la configuration des partis politiques et le refus d’Option nationale et de Québec solidaire de « converger » avec un Parti Québécois ayant mis en veilleuse son option, ne reste plus, pour obtenir cette majorité, qu’une coalition avec la CAQ.

Une telle coalition est-elle envisageable avec un Parti Québécois dirigé par Jean-François Lisée, identifié par les médias à la gauche, alors que François Legault est clairement campé à droite ?

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, Lisée et Legault ne sont pas sans affinités idéologiques. Lisée a reconnu qu’il avait emprunté à François Legault le concept de « gauche efficace », dont il aime se réclamer.

C’est d’ailleurs au nom de cette « efficacité », que Lisée a prôné une hausse importante des tarifs d’électricité pour rendre attrayante Hydro-Québec en vue d’une privatisation de 25 % de ses actifs, et dont le montant de la vente serait consacré au remboursement de la dette.

En éducation, Lisée partageait avec Legault un engouement pour les contrats de performance et les deux étaient partisans de la paye au mérite pour les enseignants, bien que Lisée restreignait la portée de cette proposition aux écoles des quartiers défavorisés.

Toujours au nom de la « gauche efficace », Lisée se disait favorable à une plus grande syndicalisation, mais reniait du même souffle le principe de base du syndicalisme – la solidarité pour faire face à la concurrence – en suggérant de confier aux employés de la fonction publique la gestion de leur travail et la transformation de leur unité de travail en petite entreprise entrant en concurrence avec les autres unités.

Au point de vue fiscal, Lisée a accouché d’un florilège de propositions, toutes plus alambiquées les unes que les autres, mais dont l’essentiel était de supprimer l’impôt des entreprises et l’impôt sur le revenu des particuliers pour les remplacer par des taxes à la consommation. Le montant des tarifs, pour les services publics, devrait être, selon Lisée, modulé en fonction des revenus, abandonnant par le fait même le principe de l’universalité.

Est-ce en appuyant ce recyclage à la sauce québécoises des idées du New Labour de Tony Blair que Gérald Larose croit pouvoir préserver le modèle québécois ?!

Sur la question linguistique, il convient de rappeler que Lisée se vante d’avoir rédigé le discours capitulard du Centaur de Lucien Bouchard et qu’il a fait sienne la position des juges de la Cour suprême, dans l’arrêt Ford de 1988 sur l’affichage. Les juges ont invalidé les dispositions de la Loi 101 en remplaçant l’unilinguisme, qui découlait du concept de « français langue commune », par celui de la « nette prédominance du français », qui impose l’affichage bilingue.

Jean-François Lisée est allé jusqu’à proposer de constitutionnaliser le principe de nette prédominance du français dans l’affichage dans une future constitution québécoise et a fait de ce concept l’axe central de sa politique linguistique, qui comprenait la bilinguisation du réseau de cégeps.

Pas étonnant que Gérald Larose n’y voie pas de problème puisqu’il a lui-même validé ce concept de « nette prédominance » dans le Rapport de la Commission des États généraux sur la situation et l’avenir de la langue française au Québec qu’il a présidée.

Il y a quelques années, lorsque le ministre de la Métropole Jean-François Lisée s’est immiscé dans le débat linguistique pour exiger le bilinguisme des préposés aux guichets du métro de la STM, Jacques Parizeau l’a qualifié avec raison de bon-ententiste.

Enfin, sur la question de la laïcité, Jean-François Lisée s’est prononcé en faveur de l’enseignement de la religion dans les écoles et a écrit que « la majorité francophone doit réaffirmer ses repères et en établir la prédominance sur ces trois plans : l’histoire, la langue et la religion ». De quoi plaire à la clientèle électorale de la CAQ ! (1)

 

Sortie de secours

Il est stupéfiant de voir Gérald Larose, une des chevilles ouvrières des États généraux sur la souveraineté – qui a identifié pas moins de 92 blocages au développement du Québec dans le cadre canadien dans tous les domaines de sa vie collective – se précipiter dans le vide en empruntant la sortie de secours que propose Jean-François Lisée.

Il faut être clair. Sans l’échéance du référendum, la dispersion, le fractionnement, l’étiolement guettent le mouvement souverainiste. Sans rendez-vous référendaire, les acquis de 50 ans de lutte seront perdus. Le mouvement entrera en régression et nous reviendrons au statut de Canada français dans le cadre fédéral des Trudeau, père et fils, comme nous y invitent Jean-Marc Fournier et de plus en plus d’intellectuels nationalistes fatigués.

  1. La critique des positions de Jean-François Lisée est tirée du livre de Pierre Dubuc, Pour une gauche à gauche, Critique des propositions sociales et linguistiques de Jean-François Lisée, Éditions du Renouveau québécois.