Réhabiliter la fonction publique aux yeux de la population

2016/06/06 | Par Pierre Dubuc

« Un des principaux acquis de la dernière ronde de négociations du secteur public est le soutien de la population aux travailleuses et aux travailleurs syndiqués. C’est la première fois que cela se produit depuis la campagne de dénigrement du gouvernement Lévesque au début des années 1980 », nous déclare Christian Daigle, le nouveau président du Syndicat de la fonction publique du Québec (SFPQ), rencontré dans les locaux de l’aut’journal.

Depuis plus de 35 ans, la fonction publique subit les assauts répétés de gouvernements, tant péquistes que libéraux, qui souscrivent aux dogmes du credo néolibéral, soit la dérèglementation, la privatisation et la précarisation du travail.

Le portrait actuel du membership du SFPQ en témoigne. De ses 42 000 membres dans la fonction publique et parapublique (employés de bureau, techniciens et ouvriers), 35% sont à statut précaire. Seulement, au cours des quinze dernières années, le syndicat a perdu 5 000 membres. Au ministère des Transports, il n’y a plus que 2 500 ouvriers comparativement à 12 000, il y a 35 ans, à cause du recours effréné à la sous-traitance. Avec le fractionnement de la fonction publique résultant, entre autres, de la création d’agences, le syndicat doit maintenant négocier 40 conventions collectives plutôt qu’une dizaine au début des années 1980.

Christian Daigle a suivi de près cette évolution depuis 1998, date de son entrée dans la fonction publique comme agent d’aide socio-économique dans la région de Québec, d’où il est originaire. En 1999, il s’est impliqué au Syndicat comme délégué et au Comité national des jeunes. Il est demeuré dans le Comité national des jeunes 5 ans de 2000 à 2005, avant d’être élu vice-président à l’Exécutif national.

Depuis plusieurs années, le SFPQ essaie de reconstruire ce que les gouvernements défont pour maintenir une certaine stabilité dans la fonction publique. Le syndicat revendique le rapatriement au sein de la fonction publique des activités cédées à la sous-traitance, entre autres au ministère des Transports, qui est connu comme le « plus gros donneur d’ouvrage au Québec ».

« La sous-traitance, précise Christian, y a pris des proportions endémiques, atteignant quelque 6000 contrats octroyés annuellement pour une valeur de 3 milliards $, soit le double d’il y a dix ans. »

D’autres moyens ont également été mis en œuvre. « Pour lutter contre la précarité d’emplois de ces employés ‘‘occasionnels’’ à temps plein qui occupent des postes auparavant permanents, qui devraient toujours l’être, mais qui ne le sont plus, le Syndicat a fait inscrire la création d’emplois permanents dans la convention collective », nous explique Christian.

« À la signature de la convention collective que nous venons de négocier, les occasionnels qui ont occupé le même poste au moins 44 mois au cours des 48 derniers mois, soit depuis la signature de la dernière convention collective, obtiendront leur permanence. Cela devrait toucher environ 1500 employés. À la convention collective précédente, 3000 occasionnels sont devenus permanents. Depuis 2001, nous avons pu ainsi convertir un peu plus de 10 000 emplois précaires en permanents », précise le président du SFPQ.

Au nombre des dossiers importants pour le SFPQ au cours des prochains mois, Christian Daigle identifie la conciliation travail-famille, d’autant plus incontournable que les femmes constituent les deux-tiers du membership du syndicat, et que l’appareil syndical y est sensibilisé par l’arrivée dans sa structure d’une nouvelle génération de militantes et de militants.

En haut de la liste des priorités, il y a également la perte de services en régions. « Couper deux postes dans un groupe de 4 à 5 personnes à Sept-Îles, ce n’est pas la même chose que retrancher deux postes dans un groupe de 100 employés à Montréal », souligne-t-il en notant, au passage, que cette réduction du membership affecte également la structure syndicale.

« Les conséquences de ces coupures de postes se répercutent sur les services que la population est en droit de recevoir. Par exemple, des usagers ou des bénéficiaires ne peuvent plus rencontrer les employés des services dont ils ont besoin. On les invite à utiliser Internet, à procéder par vidéo-conférence ou à communiquer avec des employés d’un centre d’appels à Trois-Rivières ou à Gaspé. Ils ne parlent pas toujours à la même personne, ils sont obligés de répéter leur histoire. Cela touche des gens qui ont besoin d’accompagnement . »

À l’autre bout du fil, la situation n’est pas plus rose, comme le démontre l’importante recherche que le syndicat vient de rendre publique sur les centres d’appels, où travaillent plus 3 000 de ses membres, dont 70% sont des femmes.

Avec l’implantation des nouvelles technologies, les indicateurs de performance se sont multipliés et le travail s’exerce dans un climat exacerbé de surveillance et de contrôle par des gestionnaires, nous apprend le Rapport de recherche.

« Les appels sont déterritorialisés et répartis centralement à une cadence qui varie entre 2 et 15 secondes, ils sont minutés, surveillés, contrôlés, déclare Christian en se référant à la recherche menée par Catherine Charron. À certains endroits, pour augmenter la performance, il y a décalage des horaires de pause et de dîner entre les agentes d’un même secteur, une surveillance de tous les instants pour éviter le bavardage, l’interdiction de se lever. »

L’enquête effectuée auprès d’un large échantillonnage de 492 personnes nous apprend qu’« à peine la moitié des personnes répondantes croient que leur milieu de travail est sain (52%). 71% d’entre elles considèrent que leur travail est stressant et 64% rapportent que leur environnement de travail leur cause des douleurs physiques. Une personne sur cinq affirme avoir consommé des médicaments de façon régulière pour contrer des symptômes d’anxiété ou de dépression au cours de la dernière année ».

Selon Christian, un des grands défis de son syndicat est de faire connaître cette situation à la population. « C’est l’ensemble du mouvement syndical du secteur public qui doit rétablir des liens de confiance avec la population pour lui expliquer que nous travaillons pour son bénéfice, que de meilleures conditions de travail se reflèteront sur la qualité des services. La FIQ réussit à le faire pour les infirmières et la CSQ pour les enseignants. Nous devons faire passer le même message pour la fonction publique. Après tout, nous accompagnons les citoyens de leur naissance à leur décès. »

Ce ne sera toutefois pas facile, reconnaît-il. « Les médias sont plus intéressés au mariage de Julie et PKP qu’aux grands débats de société. » Mais Christian Daigle ne désespère pas. « Ça fait au moins 7 à 8 ans que nous dénonçons les paradis fiscaux dans le mouvement syndical. Aujourd’hui, je constate que c’est devenu un sujet d’actualité. Sur cette question comme sur les autres, reste à créer un rapport de force pour obliger les gouvernements à agir. »