L’après-charte des valeurs: sauve qui peut!

2016/06/09 | Par Djemila Benhabib et Gilles Toupin

Il y a comme une fâcheuse tendance qui se dessine avec cette nouvelle course à la chefferie du Parti québécois. Tendance qui se confirme avec la candidature du nouveau venu Paul St-Pierre Plamondon. Faire table rase de l’infamante charte (mal nommée) des valeurs québécoises semble en passe de devenir le meilleur gage d’« ouverture » offert à un système politique et médiatique dominant, allergique à toute idée d’indépendance et farouchement hostile à la laïcité.

Vous militez pour l’indépendance du Québec ? C’est regrettable. Mais de grâce, éloignez-vous de cette insupportable « chose » qu’est la laïcité, qui n’est en définitive rien d’autre qu’un racisme déguisé. Car dans le cénacle de la pensée dominante, la combinaison des deux est insupportable. Pire encore, la conjugaison des deux est vue comme la superposition de deux monstrueuses tares. Ainsi donc, le « la » est donné. Le périmètre de la pensée indépendantiste est tracé au fer rouge par ceux-là mêmes qui combattent cette idée depuis toujours. Prendre ses distances avec la charte, la dénigrer, voire la crucifier va devenir, dès le lendemain de la défaite de 2014, l’attitude à adopter pour quiconque cultive des ambitions politiques.

L’outrance dans cette position ne se trouve pas dans les volte-face individuelles d’anciens ministres pressés de tourner la page d’une malheureuse épopée collective. Les renoncements, nous en avons connu plusieurs avec le Parti québécois. Le malaise consiste plutôt à se placer dans une position de soumission face à un ordre dominant. Cette mentalité est révélatrice de la canadianisation des esprits qui guette la pensée. La contamination de l’idéologie du multiculturalisme est si forte qu’elle touche aussi les rangs de ceux qui se proclament de l’indépendance du Québec. Bref, il y en a qui s’imaginent rompre avec le Canada en faisant le procès du Québec et de la laïcité… et en reproduisant exactement les schèmes de pensée du multiculturalisme. Il s’agit là d’une grave erreur de jugement.

Si le fédéralisme canadien avait eu cette particularité d’être souple, de tenir compte des aspirations du peuple québécois et de s’adapter à sa réalité, il n’aurait certainement pas été contesté ou si peu. La réalité est tout autre. C’est l’intransigeance de ce fédéralisme qui a créé les conditions de sa remise en cause. En ce sens, la proposition de Nicolas Marceau de repenser le fédéralisme est déconcertante. Ce n’est pas le rôle d’un indépendantiste d’envisager une réforme du fédéralisme. D’ailleurs, le peut-il ? Même s’il le souhaitait de toutes ses forces, quelle emprise a-t-il sur son devenir ? On sait où nous a menés le beau risque de René Lévesque. Alors que reste-t-il ? Quelle est la responsabilité première d’un intellectuel qui a le souci de notre survivance collective ? Penser l’être québécois dans toute sa dimension au-delà du sujet juridique tel que défini par les Chartes est un exercice indispensable pour se sortir de la camisole de force et s’ouvrir à un nouvel horizon politique. C’est ce que nous permettait de faire la fameuse charte des valeurs. La prédominance du juridique sur le politique conçue pour nous minoriser venait de voler en éclats. Créer son propre paradigme, c’est se soustraire à l’ordre établi. C’est sortir de sa condition de « peuple colonisé », comme le répète depuis si longtemps Andrée Ferretti.

 

Sortir de l’impasse

Certes, cette proposition législative n’était pas sans reproches, la stratégie du parti n’était pas sans défauts. Qu’importe, les Québécoises et les Québécois se sont reconnus dans cette démarche qui consistait à mettre un peu d’ordre dans ce fatras des dérogations religieuses. Avec ce projet, nous pouvions enfin espérer sortir de l’impasse dans laquelle nous avait placés (et nous place encore) le laxisme des libéraux face aux lobbys politico-religieux. L’échec des élections de 2014 n’est pas là. Il faut chercher ses causes ailleurs. Il est clair, par contre, que la charte est devenue le parfait bouc émissaire qui a permis de passer l’éponge sur une campagne électorale précipitée, improvisée et absolument désastreuse. L’adhésion à la charte était telle que malgré le matraquage continuel de 2012 à 2014, rien ni personne n’a été en mesure d’entacher sa popularité. Et ça, les médias dominants ne l’ont jamais digéré. Alors, les conditions de l’après-charte se sont mises en place pour mettre « hors d’état de nuire » ses défenseurs les plus en vue.

La première victime de ce coup de balai a été sans conteste Bernard Drainville, un politicien talentueux, courageux et ambitieux, dont la carrière aurait certainement connu un destin différent s’il n’avait pas été le maître d’oeuvre de cette fameuse charte. L’excommunié est donc sacrifié sur l’autel d’une nouvelle concorde hâtive mise de l’avant par le parti pour préparer la prochaine course à la chefferie. Le mot d’ordre était donc lancé. Pour « normaliser » sa place dans le sérail dominant, mieux vaut montrer patte blanche et réciter à souhait le chapelet de l’ouverture béate à l’autre ? S’ouvrir à quoi ? À qui ? Comment ? Dans quelles conditions ? Nul ne le sait vraiment. D’ailleurs, quelle importance ? Là n’est franchement pas la question.

 

Le multiculturalisme est un poison

Ce qui mine notre nation n’est pas la laïcité, mais le communautarisme. Ce qui fragmente notre société n’est pas l’égalité de traitement entre toutes et tous, mais une poussée de la ferveur politico-religieuse qui ne connaît point de limite. Ce qui ensanglante le monde n’est pas l’exercice de la raison, mais les croyances érigées en vérités absolues. Dans ce monde complexe marqué par l’effritement du lien social, la montée des intégrismes religieux et l’avancé sans scrupule d’un consumérisme outrageant, la démocratie s’étiole. Nous souffrons d’un déficit d’idéal commun. Que faire pour protéger et redynamiser la civilisation ? La laïcité propose un horizon. Elle se fonde sur la séparation des pouvoirs politique et religieux, la liberté de croire et de ne pas croire, l’égalité de traitement juridique entre croyants et non-croyants et l’universalité de la loi. Ce que rejette viscéralement la doxa des accommodements dits raisonnables dans laquelle nous enfoncent chaque jour un peu plus les gouvernements actuels.

Le multiculturalisme est un poison. Même à petite dose, il crée les conditions du repli identitaire. Par quoi pourrait-on le remplacer ? Voilà une bonne question qui mérite une sérieuse introspection. C’est une problématique cruciale. Lâcher la « mécanique » et revenir à la pensée est certainement le meilleur gage de succès de cette nouvelle course à la chefferie du Parti québécois. Partagez vos idées !