Constituante : les Intellectuels pour la souveraineté approfondissent la question

2016/06/14 | Par Jacques Fournier

L’auteur est organisateur communautaire retraité

Le colloque annuel des Intellectuels pour la souveraineté (IPSO), tenu le 11 juin à Montréal, portait cette année sur le projet d’une assemblée constituante. Un premier panel portait sur la constituante comme mode d’accès à l’indépendance et un second sur les institutions d’un Québec indépendant. Six panelistes judicieusement choisis ont ainsi apporté une contribution substantielle à la question : André Lamoureux, Jonathan Durand Folco, Philippe Bernard, Simon-Pierre Savard-Tremblay, Danic Parenteau et Guillaume Rousseau. Voici un résumé des grandes lignes de chacune des interventions.

 

Premier panel : la constituante, mode d’accès à l’indépendance, animé par Jocelyne Couture, philosophe

Premier paneliste : André Lamoureux – L’appel à la constituante, avant ou après la proclamation de l’indépendance ?

M. Lamoureux est politologue, chargé de cours en sciences po. à l’UQAM. Une constituante est toujours élaborée dans un contexte de grands bouleversements. C’est le mouvement de masse qui provoque le changement, pas l’assemblée constituante. On pense à la Révolution américaine, à la France de 1789, aux Patriotes de 1838, à l’Allemagne en 1919, etc.

Doit-on travailler à adopter une nouvelle constitution pour le Québec avant ou après la déclaration d’indépendance ? La logique veut qu’on l’adopte après. Si on veut l’adopter avant, c’est opter pour le statu quo, donc le fédéralisme. Au mieux, une constitution adoptée avant l’indépendance, c’est une autonomie provinciale plus grande, le fédéralisme renouvelé. Se battre pour une constituante avant, c’est malheureusement ce que propose Québec solidaire (QS).

Des partisans de QS disent que ce sont eux qui sont les premiers à avoir mis de l’avant un projet d’assemblée constituante pour le Québec. Ce n’est pas exact. Il y a 30 ans, il y a eu une tentative de relance du NPD-Québec avec le député Jean-Paul Harney. En 1985, il a proposé une constituante québécoise dont le résultat serait entérinée par la population (mais sans l’indépendance). Or, il faut d’abord faire l’indépendance. Sinon, c’est de l’esquive, du faux fuyant et du trompe l’oeil. C’est ce qu’amène la récente modification du programme de QS concernant la constituante : une assemblée sans mandat initial souverainiste spécifique.

QS n’a jamais démontré qu’il combat le fédéralisme et qu’il est souverainiste. La position de QS sur la laïcité est de la poudre aux yeux. Dans les faits, ils appuient l’intégrisme religieux. La « bataille contre l’islamophobie », au niveau mondial, est orchestrée par les islamistes.

Après l’indépendance, je souhaite une assemblée constituante élue directement par le peuple, pas par des collèges électoraux. Le mode de scrutin doit faire partie de la constitution.

Le Québec du futur devrait prendre position sur deux sujets :

a) le contrôle du territoire : ce qui y circule, ce qu’il y a dans son sous-sol, etc.

b) la laïcité: un État neutre, une séparation formelle de l’État et de la religion. Nous nous sommes libérés de la religion d’État il y a 50 ans, c’est un acquis à consolider.

L’Accord avorté de Meech a marqué la séparation Québec-Canada. L’Accord avorté de Charlottetown a marqué le divorce Québec-Canada. Une constitution efficace et crédible ne peut être adoptée avant la souveraineté.

La masse des gens se mobilisent sur des revendications, pas sur une constituante.

La défaite de 2014 du PQ n’est pas due à ses positions sur la laïcité. Car la Charte sur la laïcité faisait grimper le PQ dans les sondages.

Ce n’est pas le temps de faire un référendum, la population a décroché. Rappel : après l’échec de Meech, 60 % de la population aurait voté oui.

 

Deuxième paneliste : Jonathan Durand Folco – L’assemblée constituante comme auto-institution de la société

M. Durand Folco est professeur à l’École d’innovation sociale de l’Université St-Paul à Ottawa. Je propose une approche hétérodoxe. Il faut repenser l’auto-institution de la société. Et d’abord dans les villes. Le but est dégager un processus d’émancipation et de participation démocratique : que le peuple se gouverne. Joindre la souveraineté de l’État et celle du peuple.

Allons plus loin. Il faut penser la « république sociale » (la Révolution de 1848 en France), celle qui touche l’économie.

On doit viser l’auto-gouvernement des municipalités. Il faut se donner une nouvelle forme de communauté politique qui ne soit pas étatique. En Catalogne, les partis indépendantistes sont présents sur la scène municipale.

Je réponds tout de suite à une objection : si on multiplie les processus constituants au niveau des villes, il y aura une fragmentation. Il faudra alors des alliances entre les communes pour se concerter au niveau national.

 

Troisième paneliste : Philippe Bernard – La constituante, une démarche complexe et hasardeuse

Philippe Bernard est politologue. Seule une loi votée par l’Assemblée nationale constitue une voie réaliste, avec effet légal, pour créer une assemblée constituante. Cela pourrait se faire suite à un engagement électoral précis d’un ou plusieurs partis (coalisés).

L’exercice pourrait coûter 50 ou 60 M $. Mandat : énoncer les principes que la constitution doit respecter (égalité des citoyens, suffrage universel, laïcité, etc.). Aussi : prévoir l’organisation des tribunaux, la charte des droits, la procédure d’amendement, etc.

Deux possibilités pour la composition de la constituante :

a) soit des personnes élues au suffrage universel (avec proportionnelle);

b) soit choisies selon le modèle suivant : une constituante de 155 personnes provenant de cinq collèges électoraux. 1) 40 choisies par les députés de l’Assemblée nationale, 2) 25 nommées par les députés fédéraux québécois, 3) 50 choisies par les grandes villes, 4) 30 en provenance des MRC et 5) 10 représentant les autochtones.

Il faut présumer la bonne foi des participants-es. Le résultat attendu : une constitution interne du Québec, dans l’ordre constitutionnel canadien. Le Québec y gagnerait en autonomie. Ce serait un risque mais ce ne serait pas un beau risque.

Un « projet de société » ne peut être constitutionnel. Cela change avec le temps, c’est la démocratie. Une constitution, c’est une loi fondamentale précisant les institutions démocratiques, ce n’est pas un programme électoral. Idéalement, la création d’une assemblée constituante devrait être votée aux deux-tiers. Si les fédéralistes la boycottent, elle perd de la crédibilité. C’est pourquoi une constituante préalable à la souveraineté n’aurait aucune force, aucun poids.

Rappel : en 1962, c’était une élection référendaire. Si vous nous réélisez, ce sera la nationalisation de l’électricité.

 

Deuxième panel : les institutions d’un Québec indépendant, animé par Pierre Serré, politologue

Quatrième paneliste : Simon-Pierre Savard-Tremblay – La souveraineté à l’ère globale, le défi de la démocratie

M. Savard-Tremblay est essayiste, président de Génération nationale et sociologue. L’indépendance, en soi, c’est souhaitable, c’est la liberté, ce sera un pas dans la bonne direction. C’est une fois le drapeau levé que le combat pour la souveraineté nationale va commencer. Le libre-échange nous amène à un régime post-démocratique. Les États ne sont plus issus de la volonté populaire. Les technocraties décident, les gens d’affaires décident. Les ténors du libre-échange dominent. Contrairement à ce que ses promoteurs disent, les accords commerciaux n’allègent pas les règlements. Ils les judiciarisent. Il y a plus de paperasses et de contraintes qu’avant. Il faut savoir d’emblée quelles institutions internationales on veut rejeter ou accepter quand le Québec sera indépendant.

 

Cinquième paneliste : Danic Parenteau – Une république, qu’ossa donne ?

M. Parenteau est professeur agrégé, département des humanités et des sciences sociales, Collège militaire royal de St-Jean. L’assemblée constituante doit être un élément nouveau dans un virage vers la souveraineté. Le modèle républicain insuffle un nouveau sens à l’idée d’indépendance. Cela nous permet d’y penser avant, pendant et après.

Danger de la constituante : perdre de vue l’idée de l’indépendance. Le modèle républicain, c’est la souveraineté du peuple. Nos institutions actuelles sont marquées par la monarchie (aspect symbolique), le parlementarisme britannique, le mode de scrutin uninominal à un tour, la non séparation exécutif-législatif, la nomination des juges par le gouvernement, etc.

C’est tout cela qu’il faut changer. Il faut prendre le virage républicain : la souveraineté du peuple avant celle de l’État. Il est important de mettre de l’avant le bien commun et l’intérêt général.

 

Sixième paneliste : Guillaume Rousseau – Dialectique autour de l’idée d’une Constitution québécoise

M. Rousseau est professeur adjoint, Faculté de droit, Université de Sherbrooke. Une constituante permet, entre autres, de clarifier les valeurs. C’est aussi un outil pédagogique. Il faut travailler à rallier les progressistes et les nationalistes par le républicanisme.

Une charte des droits constitutionnalisée, c’est bien mais cela risque de renforcer le gouvernement par les juges et les risques de discorde.

Dans la Charte québécoise des droits, on parle de droits économiques et sociaux, incluant le droit à l’école privée. Veut-on vraiment constitutionnaliser ce droit ? La loi 101 pourrait être affaiblie par le constitutionnalisation de certains droits.

S’il faut les deux-tiers de l’Assemblée nationale pour amender la constitution d’un Québec indépendant, est-ce trop élevé ? La création d’un Conseil constitutionnel permettrait de séparer les causes ordinaires et les causes constitutionnelles, ce qui pourrait être une bonne chose.

En résumé, un excellent colloque. Les Intellectuels pour la souveraineté jouent bien leur rôle en organisant un colloque sur ce thème.

Les interventions filmées intégrales sont disponibles sur facebook : https://www.facebook.com/LesIPSO/?fref=ts