Défaite électorale appréhendée

2016/06/15 | Par Gilbert Paquette

Évoquant les effets dramatiques de l’austérité libérale sur le démantèlement de notre État national qui « conduit à éroder le sentiment d’appartenance des Québécois et des Québécoises à leur État », Gérald Larose, ne croit pas le temps suffisant pour « converger vers l’indispensable feuille de route commune ». Il en conclu qu’il « faut d’abord sauver le Québec » et que « Lisée a raison ». Tout ceux qui appréhendent la défaite électorale du PQ négligent ainsi l’effet délétère beaucoup plus grave de ce qu’ils proposent quant à l’érosion du sentiment national au Québec.

Même au prix de cette mise en veilleuse de l’indépendance, justifiée par de nobles motifs ou non, le PQ ne pourra gagner la prochaine élection sans son option. Si la lutte provinciale devait primer la lutte nationale, les « enliseurs » du PQ ne pourront mettre fin au régime libéral et donc, à la destruction des acquis de l’État québécois qui se poursuivra un autre 4 ans. Seule une position indépendantiste assumée permettra de faire le plein des votes indépendantistes et de relancer le Québec. Le réalisme peut parfois se conjuguer avec clarté et détermination.

Premièrement. Sans son option, le Parti québécois continuera à être écartelé entre sa gauche et sa droite. Pourquoi un sympathisant souverainiste voterait-il en 2018 pour un parti qui ne fait qu’abandonner son option à chaque élection ? Pourquoi ne pas voter plutôt pour un parti qui offre des options beaucoup plus claires, soit à gauche, soit à droite. Ce déplacement de l’axe indépendance/fédéralisme vers l’axe gauche/droite est délétère pour notre projet de pays, mais aussi pour le vote au Parti québécois. Sans l’indépendance, le PQ cesse d’être une vaste coalition comme cela a été démontré à plusieurs reprises dans le passé. Encore plus que maintenant, les votes indépendantistes ou nationalistes se distribueront entre les trois principaux partis d’opposition, favorisant ainsi la réélection des libéraux.

Deuxièmement. L’effet à la baisse sur le vote PQ sera aggravé par l’abstention des électeurs indépendantistes déterminés qui, bafoués quant à leur option nationale, décideront de rester chez eux. La participation aux élections était faible avant l’arrivée du Parti québécois, mais elle a augmenté au delà de 80% jusqu’au record de 93,5 % au référendum de 1995. Depuis, elle est retombée à 71,43 % à l’élection de 2014. Un haut niveau d’abstention est la conséquence de l’absence d’enjeux forts et de la démobilisation électorale qui en résulte. Cela aussi favorise la réélection du parti libéral. Le seul antidote consiste à mobiliser le maximum d’électeurs par une démarche indépendantiste claire.

Troisièmement. Depuis plus de cinq ans, la société civile s’est mobilisée et a imposé avec raison le terme de « convergence » à travers de nombreuses initiatives auxquelles j’ai participé intensément : Réseau cap sur l’indépendance, États généraux sur la souveraineté, Congrès de convergence, Rassemblement destiNation. Cela nous a mené à la création des OUI-Québec et à un début de concertation entre les quatre principaux partis indépendantistes. Comme l’ont répété publiquement les autres partis, notamment Québec solidaire et Option nationale, cette convergence devient impossible si le Parti québécois la torpille par l’ambigüité de ses positions sur l’indépendance. Il se condamne ainsi lui-même à subir, comme en 2012 et 2014, la division du vote indépendantiste qui l’empêchera de battre les libéraux.

Quatrièmement. S’il se limite à la gouvernance provinciale, le Parti québécois sera restreint dans les projets qu’il pourra proposer aux électeurs, à cause du statut de dépendance législative, financière et internationale de l’État québécois. Un bel exemple est celui de l’indépendance énergétique, un objectif que partage la majorité des gens. L’indépendance énergique nécessite l’indépendance politique. Sans elle, le Québec est condamné à un combat défensif contre le Canada pétrolier et ses projets comme Énergie Est, plutôt que concentrer ses moyens dans le développement de ses énergies renouvelables et à la lutte pour la protection du Climat, comme le propose Martine Ouellet. Établir un lien fort entre indépendance et projet de société est un autre moyen de vaincre le parti libéral.

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Ce n’est pas la première fois que des indépendantistes sincères, proposent de ne pas tenir de référendum et de n’enclencher aucune démarche vers l’indépendance dans un prochain mandat. Lévesque l’a fait en 1981. J’étais député à ce moment-là et j’étais contre. Une fois réélus, on s’est alors engagé sur la pente savonneuse de la « bonne gouvernance » sans les moyens d’un État complet, face à une crise économique qui frappait durement les finances de l’État québécois. Le recul des appuis au parti devait nous mener, en fin de mandat, au « beau risque », à l’éclatement du parti et à la défaite de 1985 sous la gouverne de Pierre-Marc Johnson où le Parti n’avait plus grand chose d’indépendantiste.

Je rappelle cette triste période de la vie du Parti québécois pour demander à Jean-François Lisée de se garder une petite gêne en invoquant ce précédent pour justifier l’erreur qu’il nous propose de répéter. Bien sûr, nous ne sommes pas dans la même situation qu’en 1981. Mais le Parti québécois doit-il, encore une fois, mettre notre avenir national en veilleuse ? Dans 6 à 10 ans, la veilleuse pourrait être éteinte et d’autres pourraient avoir repris le flambeau de ce parti « enlisé » dans la gouvernance provinciale.